Fantasy, 2007, Paris, Bragelonne, 2007, 122 p.
Les hypothétiques lecteurs habituels de ce blog miteux (les fous) ne seront sans doute guère surpris d’apprendre que je suis la pathétique victime d’une cruelle malédiction. Mais c’est un fait : quand j’entre – innocemment – dans une librairie, invariablement, de vils esprits démoniaques surgissent des étalages. Et là c’est le drame : « Ah oui, tiens, ça, ça a l’air bien… Ah, et pis ça aussi… Et ça, on en avait dit du bien, aussi, d’ailleurs… Ah, et ça, c’est une honte que je ne l’ai toujours pas lu… Tiens, c’est quoi, ça ? Ah ben ça a l’air sympa, je prends, hop… Argh ! J’ai failli passer à côté de ça, horreur ! »
Oui, horreur. J’étais entré innocemment, pourtant… Mais je ne peux ressortir que les bras chargés de bouquins tous plus attirants les uns que les autres, quand bien même j’en ai déjà une cinquantaine qui m’attend sur mon étagère de chevet. Et j’ai ce rictus étrange, lâche et pathétique, celui du névropathe pris sur le fait, conscient d’être relaps, et dont la seule défense, tristement puérile, consiste à masquer sa joie de posséder encore un peu plus derrière un vain et hypocrite « ce n’est pas ma faute »…
Mais d’ailleurs, ce n’est pas ma faute ! Les vendeurs sont de mèche, et il y a un complot international contre moi. Je le sais. Ils guettent mes allées et venues, surveillent mon emploi du temps ; et quand j’approche de leurs sinistres temples de la consommation culturelle, ils lâchent dans un éclat sardonique les nouveautés incontournables et les rééditions tant attendues comme le chasseur sa meute sur la biche innocente.
Et des fois, ils vont même jusqu’à me faire des cadeaux, les sadiques. C’est ainsi qu’une cruelle tenancière de lupanar bibliophile m’a un jour fait présent de l’opuscule dont je vais vous entretenir immédiatement.
…
Cruelle, ai-je écrit ? Halte à la paranoïa, Nébal ! Cette dame, sans doute prise de remords devant ma triste affliction qu’elle entretenait jusqu’alors avec l’abnégation et l’immoralisme qui font le bon commerçant, cette dame, donc, entendait probablement par ce présent me faire prendre conscience que, ben, des fois, y’a des trucs que je pourrais m’abstenir de lire, tout de même, et même que ça me ferait le plus grand bien, si si.
Fantasy 2007, donc. Un bref recueil de nouvelles publié par Bragelonne, et gracieusement offert à tout acquéreur d’une Intégrale Bragelonne (ce qui n’était d’ailleurs pas mon cas sur le moment, mais bon, j’ai depuis plus ou moins régularisé ma situation avec le premier volume de l’intégrale de Conan). Est-il nécessaire de présenter Bragelonne ? Non, sans doute pas. On en a assez parlé comme ça. J’avoue avoir peu lu de bouquins dudit éditeur, de toute façon, et par voie de conséquence ne pas être le mieux placé pour en parler, en bien comme en mal. Je confesse de même ne guère être attiré par la « big commercial fantasy », comme on dit, surtout quand elle se contente de plagier Tolkien jusqu'à plus soif, et pas davantage par le « nouveau (?) space opera ». Surtout quand il faut en passer par des cycles interminables aux couvertures racoleuses, et d’autant plus que le prix desdits bouquins n’a pas grand chose à voir avec celui que l’on est en droit d’attendre d’un roman résolument populaire, ne visant qu’au divertissement le temps d’un voyage en train, d’une attente à la Sécu ou d’un lézardage au bord de l’eau (ce qui est parfaitement légitime, et me plaît bien, des fois). Là, c’est dit. J’ai persiflé un peu, certes – mais bon, j’avais dit beaucoup de bien de l’édition de Conan, ça compense. Et puis, avec ce petit bouquin, deux des gros inconvénients signalés ne s’appliquent pas, par définition : 1° c’est gratuit ; 2° : c’est court. Alors tentons l’expérience, en toute objectivité.
Ceci dit, pas facile de rester objectif très longtemps, du fait de l’édifiante « Introduction » auto-promotionnelle (pp. 7-9) signée de « Stéphane, Alain, Barbara, David, Pascal, Olivier, Fabrice, Emmanuel, Leslie, Angéla, Claire, Yoann, Cécile, Jennifer, Bruno et Alexandre », que l’on pourrait à peu de choses près résumer ainsi : « Oui, cher lecteur, chez Bragelonne, on n’hésite pas à te prendre pour un con, des fois. » Merci, ça fait toujours plaisir… Bon, on va dire que c’est une fausse note, que l’intention était peut-être louable et le discours sincère, péchant seulement par maladresse… La suite ne peut qu’être meilleure, après tout ?
Ben, faut voir. Difficile en effet de trouver un quelconque intérêt à « La Rumeur des enfants de la brume » de Trudi Canavan (pp. 11-38). Un bel exemple de vide, une fantasy dénuée d’originalité comme de style. On l’a déjà lu ailleurs, et en mieux. La pathétique chute moralisante n’arrange rien à l’affaire. On oublie, même pas besoin de se forcer.
Ca ne s’arrange guère avec Simon R. Green et son « Tueur d’hommes » (pp. 39-62), lorgnant cette fois du côté de la sword’n’sorcery avec aussi peu d’originalité et de talent que le texte précédent. Du plagiat d’Howard, jusqu'aux emprunts lovecraftiens. On est bien loin, cependant, du souffle lyrique des épopées hyboriennes : le vide, là encore. Plutôt que de perdre votre temps avec cette novélisation d’une brève partie de Donj’, lisez Robert E. Howard (ou Karl Edward Wagner, tiens), ça a quand même autrement plus de gueule et d’intérêt que ce torchon pondu en une demie-heure.
Louise Cooper, avec « Les Reflets sur l’onde » (pp. 63-86), remonte incontestablement le niveau. Ce qui n’est guère un exploit, hein : ne pas s’attendre, avec ce conte joli quand bien même un peu trop niais, à un incontournable de la fantasy contemporaine ; Louise Cooper manque tout autant d’originalité que ses prédécesseurs, mais s’applique quand même un peu plus, et cela se sent. C’est médiocre, mais ça se lit.
Et on achève enfin ce triste panorama avec « Le Diseur de vérité » de William R. Fortschen (pp. 87-123). L’appartenance à la fantasy est à vrai dire assez discutable dans ce bref récit historique prenant place lors de l’invasion du Khwarezm par les hordes mongoles. Un cadre relativement original, et plutôt bien employé ; si l’intrigue est alambiquée, elle se laisse suivre néanmoins avec plaisir, celui que l’on ressent à lire de la bonne littérature de divertissement, un peu couillonne, mais ça va quand même. Pourtant, on retourne avec ce texte au 53e sous-sol, certains passages étant à s’arracher les cheveux… Mais à qui la faute, cette fois ? Je suis un peu perplexe : je ne suis pas sûr, en effet, qu’il faille imputer entièrement la responsabilité de l’échec de cette nouvelle (qui aurait pu être assez sympathique) à son seul auteur ; oh, sans être en mesure de l’affirmer catégoriquement, je subodore bien ici ou là quelques approximations ou inexactitudes historiques, et doute fort que le texte original soit bouleversant de style… Mais le texte français n’est pas seulement plat ou mauvais : il est tout simplement atroce, d’une maladresse terrifiante dans ses vaines tentatives pour sonner « médiéval », et accumulant les phrases qui ne veulent tout simplement rien dire. Or cette nouvelle a été « traduite » par Karim Chergui, dont certains travaux, à l’occasion, m’avaient déjà laissé un peu sceptique ; et je n’ai guère été étonné de le voir figurer cette année parmi les nominés pour le razzie award de la pire traduction… Mais je ne suis pas un traducteur, c’est vrai ; et je serais bien incapable de faire une traduction, c’est vrai aussi. Je ne peux donc rien affirmer, si ce n’est ceci : ça sent l’élément à charge, quand même…
Globalement, devant le manque de preuves déterminantes permettant de désigner le grand responsable de tout ça, comme le juge au criminel, je me vois contraint de faire appel à mon intime conviction. Et là, c’est tout vu : Fantasy 2007 est une vilaine bouse. Heureusement que c’est gratuit… sinon on aurait bien pu parler d’escroquerie, comme d’insulte au bon goût des lecteurs.
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