"La Nuit du Minotaure", de Paul Halter
HALTER (Paul), La Nuit du Minotaure, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2008, 190 p.
Club Van Helsing, saison 2, épisode 2 (enfin, je crois...). Après un Crépuscule Vaudou de Jean-Marc Lofficier très honnête, changement complet d’atmosphère avec cette Nuit du Minotaure, qui ne gagnera certainement pas le prix du titre le plus inventif de l’année. La Louisiane dévastée par Katrina cède la place à l’Alsace pittoresque façon Hansi, et Hugo Van Helsing, archétype du chasseur de monstres, à un bien plus banal Roland Bayard, amateur de Picon bière et de bouchées à la reine, privé parigot dans la droite lignée de Nestor Burma. Du coup, loin des bisseries fantastiques plus ou moins sympathiques et des bourrinades effrénées plus ou moins éhontées auxquelles on avait eu droit jusqu’alors, le prolifique auteur de polars Paul Halter nous livre cette fois un CVH façon Agatha Christie, whodunit à énigme entièrement dénué de fusillades et autres acrobaties ninjesques. Ce qui surprend, tout d’abord, mais n’est pas sans conférer à cette Nuit du Minotaure un certain charme suranné…
On passera vite sur le prologue crétois (qui en dit trop, ou pas assez, c’est selon), pour aborder directement le vif du sujet. Comme l’annonce si judicieusement la quatrième de couv’, « la France a peur ». D’étranges meurtres bien craspecs se sont en effet succédés en peu de temps dans les petits villages de Wingen-sur-Moder, Froeschwiller, Betschdorf, Niederbronn et Neubourg (ach, l’Elssas…). C’est le moment où le héros déclare avec un jingle : « Je crois que nous avons affaire à un serial killer. » (TAN !) Nos braves gendarmes n’osent pas encore, ceci dit. Hugo Van Helsing, quant à lui, rajoute un détail qui change tout : nous n’avons pas affaire à un criminel normal, mais à un monstre. Un VRAI monstre.
Un tueur sauvage et insaisissable, dont on craint même, à en croire le témoignage certes suspect d’un ivrogne, qu’il ne dispose de la faculté de se rendre invisible. Un tueur qui obéit à un rituel précis, frappant tous les neuf jours. Une localisation des victimes dont on comprend bien vite qu’elle ne laisse rien au hasard. Et puis il y a les blessures infligées aux victimes, qui n’évoquent aucune arme habituelle, mais font davantage penser aux cornes d’un immense taureau… Hugo Van Helsing pense bien vite au Minotaure, et charge son chasseur franchouillard on ne peut plus typique Roland Bayard d’enquêter sur la chose. Il va lui falloir faire preuve d’astuce, et de célérité : tous les neuf jours, il y a une nouvelle victime… et les meurtres semblent chaque fois plus sauvages.
Heureusement pour lui, Roland Bayard n’est pas tout seul. Outre ses inévitables contacts dans la police (bien pratiques, ma foi ; ah, le bon vieux temps du service militaire…), il peut compter sur l’aide, notamment, de Stéphane Baudouin, démonologue et criminologue (démarquage pour le moins limpide de Stéphane Bourgoin, le célèbre spécialiste des tueurs en série et du racolage actif), de la (nécessairement) belle Brigitte Maurer, qui avait participé à la randonnée crétoise qui a mal tourné dans le prologue, et même d’Etienne, le fiancé bourrin d’une des victimes, qui, il l’a juré, compte bien faire la peau du salopard grand responsable de tout ça. En chasse ! Il faut rassembler témoignages et pièces à conviction, dresser des cartes, réviser ses classiques mythologiques, jouer aux échecs et déchiffrer du linéaire B (tranquiiiiiiiiiiiille !). Et plus vite que ça, parce que le tueur voit rouge.
On est donc bien aux antipodes du sinistre Léviatown, ce qui est nécessairement une bonne chose. Mais quant à parler d’une réussite dans la gamme du CVH pour cette Nuit du Minotaure, ben, faut voir…
Commençons par le positif. Déjà, si l’on ne peut pas dire de Paul Halter qu’il écrit « bien », son roman reste quand même éminemment lisible, à la différence de l’étron sus-nommé, et, j’en ai bien peur, du suivant dans la série… Ensuite, et sans surprise, le cadre alsacien est bien maîtrisé par l’auteur natif de Hagueneau, qui nous en livre une peinture très correcte et crédible, quand bien même un tantinet « touristique » à l’occasion, étrangement... Il y a néanmoins un indéniable souci de réalisme et de documentation dans La Nuit du Minotaure : plutôt que de se risquer à l’écriture d’un récit fantastique (quand bien même certaines scènes horrifiques, sans êtres ni originales, ni fascinantes, restent très correctes), Paul Halter a bien rédigé son roman à sa façon, et avec astuce ; le fantastique à proprement parler, d’ailleurs, ne survient qu’assez tardivement : La Nuit du Minotaure repose surtout sur un fonds mythologique et historique assez bien maîtrisé, s’autorisant certes quelques licences poétiques, mais avec un souci de crédibilité qui rend le tout efficace et convaincant. Enfin, la résolution de l’énigme est assez prenante, fourmillant d’astuces et de petits jeux logiques pour le plus grand plaisir du lecteur. Certes, cela peut donner l’impression d’un Cluedo à l’échelle de l’Alsace, mais pourquoi pas, après tout ? Jusqu’ici, tout va bien.
Hélas, La Nuit du Minotaure n’est pas sans défauts. On commencera par noter, sans surprise, qu’il souffre du défaut si fréquent dans les whodunits : si l’énigme est saisissante et l’enquête prenante, sa résolution s’avère finalement décevante… D’autant que le lecteur tatillon peut se plaindre à l’occasion de quelques procédés employés par l’auteur : les fragments de linéaire B décryptés au fur et à mesure et pile au bon moment, c’est « un peu » gros… Et la démonstration, au final, si elle est assez convaincante dans l’ensemble, me paraît néanmoins très contestable sur deux ou trois points, ce qui est plus ennuyeux… Dans la série des gimmicks disgracieux, on remarquera au passage que l’assistance procurée à Roland Bayard par tout une kyrielle de seconds rôles d’une triste fadeur, non seulement n’est guère crédible étant donné le caractère tout de même très particulier de l’enquête… et a fortiori de la proie, mais donne aussi un peu l’impression, surtout pour ce qui est de Brigitte et d’Etienne, d’une enquête « ludique » et un peu gamine, façon Club des Cinq… Au passage, l’inévitable love story entre Brigitte et Roland, quand bien même discrète, est pour le moins surfaite. Dommage, enfin, que tout cela manque d'humour...
Au final, La Nuit du Minotaure est ainsi un roman relativement distrayant, et on ne s’ennuie pas à le lire, mais il donne un peu la désagréable impression d’un bouquin rédigé « professionnellement », une commande livrée en mode automatique, et dont l’astuce indéniable dans l’énigme est hélas sabordée en définitive par quelques poncifs du genre dont on aurait gagné à être débarrassés, et quelques raccourcis narratifs qui sentent le petit joueur… Dommage. Ca se lit bien, on ne s’ennuie pas vraiment, mais ça s’oublie presque aussitôt lu. Alors disons, mouais, bof.
Médiocre plus, quoi. Dans quelques jours, avec Saigneur des loups de Pierre Grimbert, je vous causerai de ce qui s’annonce d’ores et déjà au mieux comme un médiocre moins…
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