"Pixel Juice", de Jeff Noon
NOON (Jeff), Pixel Juice. Histoires, nouvelles, fragments, dub remix, modes d’emploi, [Pixel Juice], traduction de l’anglais par Marie Surgers, [s.l.], La Volte, [1998] 2008, 312 p.
Aujourd’hui, Nébal fait dans le hype de la vibe, dans le in du groove. Depuis le temps que les plus connards élitistes des connards élitistes disent du bien de Jeff Noon, auteur mancunien chtarbé écrivant de la SF-mais-pas-tout-à-fait, et sempiternellement comparé à, entre autres, Lewis Carroll et William Gibson, excusez du peu, il fallait bien que je m’y mette un de ces jours… J’avoue, j’avoue : le buzz autour des deux précédentes parutions françaises du monsieur, Vurt et Pollen, déjà chez (souvent très courtes) La Volte, m’avait laissé pour le moins sceptique. Bref, j’étais passé à côté. Puis, re-belote pour NymphoRmation et Pixel Juice. Cette fois, je craque ; parce que Pixel Juice est un recueil de nouvelles (et fragments, et dub remix, et poèmes, et modes d’emploi), et que ça m’attire davantage, na. Et aussi que ça me semblait le meilleur moyen d’aborder l’univers semble-t-il si particulier du bonhomme. Un premier contact avec la nouvelle « ExtroVurt » dans le dernier Bifrost (nouvelle reprise ici, pp. 155-161) ne m’avait pourtant (Manchester) pas tout à fait convaincu : ça m’avait paru pas mal, oué, mais pas transcendant pour autant… Mais bon.
Pixel Juice, donc. Cinquante (cinquante !) histoires, souvent très courtes, et toutes plus déglinguées les unes que les autres ; plus ou moins reliées entre elles ; très variées, cela dit. Mais présentant tout de même un certain nombre de points communs, qui font du recueil une sorte de roman caché, éclaté, pas vraiment un fix-up, mais… Pour tout dire, j’ai souvent pensé à La Foire aux atrocités, notamment dans (nord de l’Angleterre) les fragments et modes d’emploi bien sûr, quand bien même l’atmosphère est passablement différente, et l’abord autrement plus aisé. Parmi ces points communs, il y a notamment le cadre – Manchester, très souvent – et de nombreuses (big, big, big) allusions et références à la culture gravitant autour de la techno et de la house.
Quoi de plus normal ? Eh ! Nous sommes à Madchester (Namchester si vous y tenez), là où les lundis sont joyeux quand ils ne sont pas bleus comme la jolie couv’ ; c’est après tout dans cette morne ville industrielle du nord de l’Angleterre que l’acid house de Chicago et la techno de Detroit, via l’Haçienda (FAC51), ont généré en Europe l’âge d’or des clubs et des raves, et bientôt les belles heures de l’ambient house, de la jungle et du big beat. Dub it wide open ! Move your body ! Que cette dimension figure dans Pixel Juice ne pouvait que me séduire, et…
« Ta gueule, Nébal, t’es supposé nous causer d’un bouquin, là, pas nous passer de ta musique de bouse qu’on s’en bat la race. »
…
Béotiens !
Et grossiers personnages.
Mais, voyez-vous, c’est que cette dimension a son importance dans Pixel Juice : Jeff Noon mixe les histoires, scratche les personnages, enchaîne les thèmes, à l’instar d’un DJ acidifié bien comme il faut (ou d’un maniaque de l’Absolu). Du coup, Pixel Juice évoque parfois un battle entre Lewis Carroll et J.G. Ballard, avec Borges qui trippe sur le dancefloor, Gibson et Dick se disputant le stroboscope : gamins (Noon lui-même) rêveurs et scaraboussoles, putes et modes d’emploi. Les DJ zonent dans Madchester, parfois plus cabots que nature, ou s’évadent dans le Vurt à coups de plumes. Une montre invisible vaut bien une Aston Martin DB5. Les lettres se livrent, et les cachetons poétisent. Les macs ont douze ans, et le modèle Marilyn Monroe est défectueux. Les (faire sa) pubs tuent, et les perversions se baladent dans les rues sans leur pervers attitré. Et beaucoup d’autres choses, de ce genre ou d’un autre.
Le mieux, finalement, c’est peut-être de laisser Noon lui-même faire sa pub – « Pixel Dub (kid remix) » (pp. 310-311) :
Dans des boutiques d'objets magiques
On achète des trucs poétiques
Et un mac très mini
Devient très très mini
Quand il tombe sur son papa qui nique.
C’est n’importe quoi, ce bouquin
Une montre enchante un gamin
Les pubs évoluent
Un DJ salue
Godzilla lui file un coup de main.
Tiens, un œuf dans l’utérus
La star oubliée, c’est Janus
Un mort par fetish ?
Ah ça c’est fortiche.
Une bestiole crache le feu par l’anus.
Toujours la pluie tombe comme des pleurs
Sur des pixels et des voleurs
Et des DJs, les revoilà
Il veut prouver quoi, Noon, là,
Lui qui est toujours au lit à dix heures ?
À New York un robot serre les fesses
Une langue dans le ventre, c’est l’ivresse !
Miroirs biscornus
Des livres qui tuent
Mais ça c’est piqué à Borges.
Le style ? Dingue et frénétique
La langue ? Anti-génétique
P.K. Dick arrive
Et on récidive
Dans des délires alphabétiques.
Oh, ces perversions !
Flingues, putes, drogues à foison
Les critiques devraient le brûler
Devraient vraiment l’adorer
Et on va en vendre des millions.
Ça, je sais pas… Mais c’est vrai que (« à suivre ») ça le mériterait. Parce que le résultat de ce joyeux foutoir est absurde so british mais cohérent, et diablement enthousiasmant, tour à tour drôle et émouvant, beau et sordide, et toujours superbement écrit et d’une inventivité exemplaire. Cette virée nocturne et lumineuse (« à suivre ») au milieu des putes et des DJs et des gamins m’a bien plu, c’est le moins qu’on puisse dire. Pixel Juice est bien un bouquin qui mérite (« à suivre ») son buzz.
Du coup, « à suivre » avec NymphoRmation. (EDIT : Non ! On repart avec Vurt !).
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