"Contes de Terremer", d'Ursula Le Guin
LE GUIN (Ursula), Contes de Terremer, [Tales from Earthsea], traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [2001, 2003] 2008, 440 p.
Retour au « cycle de Terremer ». L’immense Ursula Le Guin avait pourtant qualifié le quatrième roman, Tehanu, de « dernier livre de Terremer », mais, ainsi qu’elle s’en explique dans un « Avant-propos » (pp. 13-19), sa création lui a échappé, et lui a dans un sens « dicté » de nouvelles histoires… Dans le monde de la fantasy (et tout autant de la science-fiction, d’ailleurs), ce genre d’annonce a généralement de quoi faire peur. Mais nous parlons ici d’Ursula Le Guin, ce qui est assez rassurant en soi. On la croit volontiers, quand elle nous déclare avoir encore bien des choses à dire concernant ce qui est peut-être la plus célèbre de ses créations (mais pas la meilleure en ce qui me concerne, je suis définitivement un fanatique du « cycle de l’Ekumen »…). Et ces Contes de Terremer (troisième volume du cycle dans son édition française, après Terremer et le tout récemment repris en poche Tehanu, et avant Le Vent d’ailleurs ; notons, au passage, que le titre ne doit pas induire en erreur : les nouvelles comprises dans ce volume n’ont rien à voir avec le film du fiston Miyazaki, inspiré avant tout par L’Ultime Rivage), pour être parfois inégaux, sont bien une œuvre de qualité, et certainement pas une énième variation vaguement et tristement mercantile autour d’un mythe littéraire au renom déjà bien assuré.
Ursula Le Guin aborde cette fois Terremer par le biais de nouvelles (ce qui, si je ne m’abuse, est une première, exception faite de « La Règle des noms », nouvelle que l’on peut envisager comme étant à l’origine du cycle). Celles-ci, présentées dans un ordre conforme à la chronologie interne du cycle, nous décrivent plusieurs siècles de ce singulier univers ; mais, pour être disparates, elles n’en présentent pas moins une très forte unité thématique, qui place bien les Contes de Terremer dans la continuité de Tehanu : en effet, Ursula Le Guin, à travers ces cinq nouvelles de taille très variable, nous conte généralement des « histoires » (tout sauf manichéennes) de changement, d’évolution, dans lesquelles les femmes sont souvent au premier plan. Enfin, le cadre rural et « simple » est souvent privilégié sur l’épique, mais il y a cette fois des exceptions. En ce sens, Contes de Terremer constitue donc une synthèse appréciable des volumes précédents.
Le recueil s’ouvre sur le plus long des récits le composant, une très ample novella que l’on pourrait à vrai dire aisément qualifier de court roman : « Le Trouvier » (pp. 21-171). Un mythe fondateur, dans un sens : Ursula Le Guin nous y conte en effet, au cœur de « l’âge sombre » de Terremer, où la magie est stigmatisée et les magiciens sont persécutés, la création de l’école de magie de Roke par le « trouvier » Loutre, ainsi que son émancipation et son combat contre un seigneur pirate, Losen, et le terrible mage qui le domine. Le caractère « synthétique » des Contes de Terremer est particulièrement sensible dans ce texte à la fois mythique et concret, et alternativement contemplatif et épique (une grande bataille chez Ursula Le Guin ? Allons bon !). La thématique du changement est flagrante dans ce récit initiatique, au niveau individuel comme au niveau global ; mais la thématique féministe ne saurait également faire de doute, avec la Main et cette superbe figure mythique qu’est l’esclave Anieb. Un peu longuet, cela dit.
« Rosenoire et Diamant » (pp. 173-219), ensuite, est une « fantasy de mœurs » un peu convenue, mais en même temps d’autant plus charmante qu’elle se montre cruelle. S’y pose avant tout la question du choix, ce qui autorise un regard différent – et bienvenu – sur la magie. Ah, et, accessoirement, j’y ai obtenu la confirmation que je ne comprenais rien aux femmes.
(Broumf.)
Passons.
« Les Os de la terre » (pp. 221-249), où l’on retrouve Ogion, le maître de Ged, et où l’on en apprend davantage sur sa formation et son caractère, me paraît être le texte le plus anecdotique du recueil. L’alliance des deux mages pour combattre un tremblement de terre, en tout cas, n’est guère palpitante. On y préférera largement, sur un mode plus contemplatif, un joli portrait de vieillard en la personne de Dulse, le maître d’Ogion.
A contrario, « Dans le Grand Marais » (pp. 251-296) me paraît constituer le sommet du recueil. Superbe cadre rural à la manière de Tehanu, beau portrait de femme authentique et simple avec Émer… et surtout, superbe réhabilitation du mage fou Irioth (avec une petite visite de l’archimage Ged). Une très belle nouvelle, complexe et subtile, élégante et juste. Rien à redire.
Suit une novella très appréciable, « Libellule » (pp. 297-393), qui fait la transition entre Tehanu et Le Vent d’ailleurs. Si la conclusion est un peu décevante, rappelant sans doute trop le roman précédent, ce long récit à la fois majestueux et non dénué d’humour, qui pose plus frontalement que jamais la question du rapport des femmes à la magie et du sexisme de Roke, se savoure de bout en bout. De quoi donner envie, assurément, de passer à « la suite », ce que je ne manquerai de toute façon pas de faire.
Cerise sur le gâteau, le volume s’achève sur une « Description de Terremer » (pp. 395-441), détaillant l’histoire de ce superbe univers, ses peuples et ses langues. Une annexe certainement pas superflue, qui ravira tous ceux qui, comme moi, raffolent de ce genre « d’encyclopédies imaginaires ». À vrai dire, l’idée (un peu couillonne, totalement vaine, et en même temps trop ambitieuse, sans doute) d’écrire un petit quelque chose, en partant au moins d'une « concordance », sur les univers d’Ursula Le Guin, idée qui me titillait depuis quelque temps déjà, ne s’en est trouvée que renforcée… Heureusement que cela existe probablement déjà, et que j’ai trop de choses à li… de travail à accomplir, tiens.
Bilan assez clairement positif, au final. Je ne cacherai pas que, comme pour les volumes précédents, ces Contes de Terremer m’ont parfois tiré quelques baillements (surtout les trois premiers textes, à vrai dire : les trois derniers m’ont passionné…) ; en fermant le volume, je n’osais pas encore trop me prononcer… Mais avec le recul, et le temps de la réflexion, il ne saurait faire de doute que ce recueil vaut bien le détour ; et j’en viendrais presque à me demander si ce n’est pas le meilleur et le plus riche volume de « Terremer » jusqu’à présent, en fait…
« Suite » et « fin » (?) avec Le Vent d’ailleurs. On verra bien.
Commenter cet article