"A nos pères", de Tarik Noui
NOUI (Tarik), À nos pères, Paris, Inculte, 2012, 193 p.
Quand je me suis procuré ce court roman à l’occasion des quatrièmes Dystopiales – où Tarik Noui était le seul auteur non étiqueté « imaginaire » –, cela faisait déjà un petit moment que l’on m’en faisait la propagande, en me disant qu’il s’agissait en gros d’un « Fight Club avec des vieux ». Ce qui, à s’en tenir au pitch, n’est pas faux, mais est tout de même bien réducteur. Je dois dire toutefois que, comme pour les jeunes cons du roman, l’idée de débris se castagnant la gueule me plaisait bien… Mais j’ai le mal en moi, comme vous vous en êtes peut-être rendu compte. Et donc, hop, acquisition, lecture. Et maintenant faut que je vous en cause… sauf que j’ai pas forcément grand-chose à en dire, surtout vu la taille du bouquin (la pagination étant un peu trompeuse : les chapitres sont très courts, et les sauts de page systématiques…).
Lucius Marnant est donc un vieux. Pas hyper-vieux, mais vieux quand même. Et à la retraite, bien sûr. Il ne touche donc pas vraiment de quoi subvenir à ses besoins – or, niveau santé, ça tend à se dégrader… Lucius n’a pas grand-chose à faire de ses journées. Comme un vieux, quoi. Il y a bien Mona, qui est vieille, mais bon… Ils baisent toujours, mais elle perd de plus en plus la boule… Et, des fois, comme pour lui rappeler sa triste condition, la nouvelle lui parvient du décès d’un autre vieux de sa connaissance. Il se rend alors au cimetière et assiste, en compagnie d’autres vieux, à l’enterrement dudit vieux.
Un jour, ça se passe mal. Un vieux, bourré comme un coing, se met à tripoter la fille du macchabée dans le bar où la célébration s’achève. Lucius lui intime d’arrêter, et lui suggère d’y aller mollo sur les verres. L’autre n’apprécie pas. Bref échange de coups : Lucius étale le malotru pour son compte.
Lahire a assisté à la scène. Et il a lié connaissance avec Lucius. Un peu plus tard, il lui propose un marché : participer à des combats de vieux pour la plus grande satisfaction de la jeunesse débauchée, dans le sous-sol d’une boîte de nuit. De quoi gagner un peu d’argent, la somme nécessaire à ses soins, et à son éventuelle entrée dans une maison de retraite digne de ce nom (si tant est qu’il en existe). Lucius accepte. Et il se débrouille plutôt bien. Il y prend goût. Il se sent vivant quand il cogne.
« Ce soir mesdames, mesdemoiselles, messieurs, ce soir, comme chaque soir, des hommes finis, des reliques d’un temps qui ne nous intéresse plus, des moins que vivants, vont s’affronter pour essayer de récupérer la dignité qu’ils n’ont plus ! Et devant vous, jeunes, beaux et puissants ! Ils vont déposer leurs dernières forces comme on dépose une offrande au pied de la vie ! »
C’est comme ça que Lucius retrouve celui qui se fait désormais appeler Aldo. Aldo fuit la vieillesse. En dandy pathétique, il joue de la façade, et gaspille l’argent qu’il n’a pas en alcool, en drogue et en putes. Une vie. Lucius pratique un peu, bon gré mal gré. De temps en temps, une jeunette bourrée vient s’empaler, autant que faire se peut, sur son sexe à demi mou. Mais ce qui compte, c’est le combat. Toujours le prochain combat. Et l’instinct qui y préside.
Bien entendu, tout cela est destiné à mal finir…
À nos pères, à l’origine une pièce radiophonique pour France Culture, déploie ce canevas relativement simple en usant d’une structure presque systématique : de très brefs chapitres de deux paragraphes, le premier rapportant le récit et les pensées de Lucius, le second les dialogues en italiques. Ce dispositif singulier fonctionne étonnamment bien.
La plume de Tarik Noui, particulièrement laconique, est également très efficace. L’action est d’une violence sèche et frontale – autant vous prévenir, bande de pervers, ça ne fait vraiment pas rire du tout… –, la pensée hachée. Le tout est sobre, dépouillé, sans excès d’aucune sorte. Et surtout pas – ouf – dans le pathos.
Ce qui n’empêche pas À nos pères d’être très émouvant, à sa manière. Les scènes avec Mona, notamment, sont poignantes. Et Tarik Noui jette un regard sans concession sur notre société, même si probablement pas d’une manière aussi ouvertement politique que dans Fight Club. Reste un édifiant tableau de la vieillesse, une réflexion plus subtile qu’il n’y paraît sur la vie, la mort, et toutes ces sortes de choses, portée par de très beaux personnages, Lucius en tête.
Pas le livre de l’année, non, mais un bon texte assurément, témoignant d’un réel talent. Aussi violent qu’émouvant, d’une noirceur rare, à faire déprimer le plus optimiste des jeunes cons croquant la vie à pleine dents… en attendant la mort.
Une lecture idéale pour les fêtes, donc.
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