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"ABC Dick", d'Ariel Kyrou

Publié le par Nébal

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KYROU (Ariel), ABC Dick. Nous vivons dans les mots d’un écrivain de science-fiction, illustrations de Gosia Galas, Paris, Inculte, coll. Essais – Temps réel, 2009, 427 p.

 

Eh oui, encore Philip K. Dick. Pourquoi pas, après tout ? N’est-il pas le plus beau, le plus fort, le plus intelligent, le plus barbu ? Je continue donc mon exploration des textes sur Dick, après (outre les analyses figurant dans les ouvrages de Dick) le numéro de Bifrost qui lui fut consacré jadis, Je suis vivant et vous êtes morts d’Emmanuel Carrère, Invasions divines de Lawrence Sutin, Regards sur Philip K. Dick d’Hélène Collon (éd.), et Les Romans de Philip K. Dick de Kim Stanley Robinson, tous ouvrages très recommandables, chacun dans son genre.

 

Le livre qui va nous retenir aujourd’hui adopte une forme un peu différente. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un abécédaire, ou si l’on préfère d’un dictionnaire, composé de soixante entrées thématiques, allant de « Androïde » à « Zonard » (les, en gros, 300 premières pages), suivi d’environ 125 pages de « notes et bibliographie » (tout de même). Outre cette apparence pour le moins particulière, le fond également promet de détonner par rapport à l’exégèse dickienne habituelle, du moins si l’on s’en tient aux promesses affichées par le préambule : il faudrait donc s’attendre ici à une lecture très personnelle de Dick, revendiquant sa subjectivité, et intéressée avant tout par les idées qui s’y déploient, dans un champ notamment philosophique et politique, et dans la mesure où elles semblent d’actualité (d’où le sous-titre : « Nous vivons dans les mots d’un écrivain de science-fiction »). Révélateur de ce fait, la bibliographie en fin de volume, où tous les textes (à l’exception notable des romans de « littérature générale ») de Dick se voient attribuer une note, non pas relative à l’intérêt littéraire, comme on pourrait s’y attendre, mais un « CIA » (aha – coefficient d’intérêt actuel) relatif aux seules idées.

 

On entame donc la lecture de ce beau livre avec curiosité, espérant lire quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire. Hélas, n’en déplaise à l’auteur qui critique, par exemple, le classicisme des travaux de Sutin et Robinson, la plupart des développements relatifs à l’œuvre dickienne – sa vie n’apparaît quasiment pas dans cet ouvrage, qui n’a strictement rien de biographique – sont généralement assez convenus ; c’est que l’on a déjà tellement écrit sur Dick… Autant dire que l’amateur de Dick, et a fortiori celui qui ne s’est pas contenté de lire l’auteur, mais a aussi lu sur l’auteur, n’apprendra pas grand-chose de neuf dans cet ouvrage.

 

Du coup, c’est quand Ariel Kyrou s’éloigne un peu de Dick pour confronter son œuvre à notre monde contemporain qu’il est le plus intéressant : on trouvera de belles pages, par exemple, sur la robotique et l’informatique contemporaines, envisagées sous l’angle de l’intelligence artificielle et de la vie artificielle. On notera aussi quelques intéressants développements d’ordre philosophique, à l’aune des penseurs contemporains, Baudrillard en tête. Quelques développements d’ordre politique sont également intéressants (même si l’on peut à bon droit juger Ariel Kyrou obsédé par le « Léviathan capitaliste »…).

 

Cela dit, le reste n’est pas sans intérêt pour autant : l’analyse, enthousiaste, est généralement pertinente, et toujours ou presque d’un abord clair et simple. Si l’implication de l’auteur (le « je » est récurrent) n’entraîne pas une lecture si originale que ça, en fin de compte, l’ensemble est néanmoins de très bonne tenue, généralement lucide, et on suit volontiers l’auteur dans ses développements.

 

Oh, il y a bien quelques traits qui peuvent légèrement agacer de temps à autre : l’obsession évoquée plus haut, un ton un peu bobo, voire un mépris latent du genre science-fiction, pas exactement porté aux nues (même si l’auteur a l’air de connaître son sujet, au-delà du seul Dick).

 

En fait, ce dernier trait me semble désigner le public idéal de cet essai : non pas les lecteurs de Dick et de science-fiction en général, qui n’y apprendront pas forcément grand-chose, mais les lecteurs de « blanche » qui voudraient découvrir cet auteur qui sort de plus en plus jour après jour et film après film du ghetto science-fictif. Ils trouveront sans doute là de quoi attiser leur curiosité, et l’enthousiasme déployé par Ariel Kyrou pour son sujet a de quoi en convertir plus d’un, m’est avis.

 

Pour les autres, cet ouvrage n’est cependant pas sans intérêt. Certes, on ne lui confèrera pas de caractère indispensable, mais sa présentation sous forme d’abécédaire et sa bibliographie détaillée en font un outil de recherche potentiellement utile, et la clarté d’exposition comme la justesse de la plume d’Ariel Kyrou nous donnent un ouvrage d’une lecture tout à fait agréable et convaincante. Alors on se contente du peu que l’on apprend réellement, et, ma foi, on ne regrette pas pour autant sa lecture. D’autant qu’on en ressort avec une furieuse envie de relire Dick… et c’est déjà ça de gagné.

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