"Ada ou l'Ardeur", de Vladimir Nabokov
N.B. : Compte rendu rédigé à un mauvais moment, je vous prie de m’excuser pour ses flagrantes insuffisances.
NABOKOV (Vladimir), Ada ou l’Ardeur. Chronique familiale, [Ada or Ardor : A Family Chronicle], traduit de l’anglais par Gilles Chahine avec la collaboration de Jean-Bernard Blandenier, traduction revue par l’auteur, Paris, Fayard – Gallimard, coll. Folio, [1969-1970, 1975, 1994] 2009, 765 p.
Nabokov, l’immense Nabokov, disait, à ce qu’il semblerait : « Ada est probablement l’œuvre pour laquelle j’aimerais qu’on se souvienne de moi. » Pas de chance, il y a Lolita… Mais ça n’empêche pas Ada ou l’Ardeur de figurer parmi les ouvrages les plus plébiscités de l’auteur, même s’il se traîne l’étrange réputation de « roman pour écrivains ».
En tout cas, en faire une critique n’est pas particulièrement aisé… d’autant plus que l’auteur lui-même achève son roman sur sa critique : « Le château d’Ardis – les Ardeurs et les Arbres d’Ardis – voilà le leitmotiv qui revient en vagues perlées dans Ada, vaste et délicieuse chronique, dont la plus grande partie a pour décor une Amérique à la clarté de rêve – car nos souvenirs d’enfance ne sont-ils pas semblables aux caravelles voguant vers la Vinelande, qu’encerclent indolemment les blancs oiseaux des rêves ? Le protagoniste, héritier de l’une de nos plus illustres et plus opulentes familles, est le Dr Van Veen, fils du baron « Démon » Veen, mémorable personnalité de Reno et de Manhattan. La fin d’une époque extraordinaire coïncide avec la non moins extraordinaire enfance de Van. Il n’est rien dans la littérature mondiale, sauf peut-être les réminiscences du comte Tolstoï, qui puisse le disputer en allégresse pure, innocence arcadienne, avec les chapitres de ce livre qui traitent d’ « Ardis ». Dans cette fabuleuse propriété de campagne de l’oncle de Van, Daniel Veen, grand amateur d’art, un ardent amour d’enfance va naître et se développer en une série de scènes fascinantes entre Van et la jolie Ada, une gamine vraiment exceptionnelle, fille de Marina, l’épouse entichée de théâtre de Daniel. Le fait que leurs relations ne sont pas qu’un dangereux cousinage, mais présentent un aspect défendu par la loi, est suggéré dès les premières pages.
« Malgré les nombreuses complications de l’intrigue et de la psychologie, le récit va bon train. Avant même que nous ayons le temps de souffler et de contempler tranquillement le nouveau décor au milieu duquel le tapis magique de l’auteur nous a « versés », une autre charmant créature, Lucette Veen, sœur cadette d’Ada, s’emballe pour Van, notre noceur irrésistible. La destinée tragique de Lucette représente un des « highlights » de ce délicieux livre.
« Le reste de l’histoire de Van a pour sujet – présenté d’une manière franche et colorée – sa longue aventure amoureuse avec Ada. Leur roman est interrompu par son mariage dans l’Arizona avec un éleveur de bétail dont l’ancêtre fabuleux découvrit l’Amérique du Nord. Le mari meurt, les amants sont réunis. Ils passent leur vieillesse à voyager ensemble et à séjourner dans les nombreuses villas, chacune plus belle que l’autre, que Van a érigées un peu partout dans l’hémisphère occidental.
« La délicatesse du détail pittoresque n’est pas le moindre des ornements de la présente chronique : une galerie treillissée ; un plafond peint ; un joli jouet échoué parmi les myosotis d’un ruisseau ; des papillons et des orchis papilionacés en marge du roman, un lointain voilé vu d’un perron de marbre ; une daine héraldique qui tourne la tête vers nous dans le parc ancestral ; et bien des choses encore. »
…
Que dire de plus ? Non, mais franchement ? L’auteur lui-même a fort bien décrit son propos dans ces deux dernières pages narquoises et enjouées, comme l’est le roman dans son ensemble. Nous y vivons avec lui les amours pas très innocentes (autant le dire : incestueuses) de Van et des sœurs Ada et Lucette dans la magnifique demeure d’Ardis, sur Antiterra, planète jumelle et inaccessible, celle probablement où l’on attend sur Le Rivage des Syrtes, ou bien où l’on erre dans le dédale de Gormenghast. Mais avec plus de luminosité, sans doute.
Si le ton change en cours de route, la majeure partie du roman est frappée au sceau de la joie pure et de l’amour intégral. Ce qui peut être agaçant… Enfin, ça l’a été pour moi, mais le moment où je l’ai lu y était pour beaaucoup. Mais il y a ces si beaux personnages, si troublants tous autant qu’ils sont, et, bien sûr, cette plume inimitable et polyglotte (du coup, le texte est bourré de calembours et de mots-valises qui passent plus ou moins bien en français, mais aussi en anglais et en russe, ou alors peut-être que non… ?).
Roman amoureux et lumineux, Ada séduit avant tout, et se pose incontestablement en modèle d’érotisme.
Commenter cet article