"Alien : No Exit", de Brian Evenson
EVENSON (Brian), Alien : No Exit, [Aliens™ No Exit], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié, [Paris], Le Cherche-Midi, [1986, 2008] 2011, 326 p.
Quoi comment ? Un roman « d’Alien » par Brian Evenson ? LE Brian Evenson d’Inversion, de La Confrérie des mutilés et de Père des mensonges ?
…
‘tendez voir.
…
Non, il y a bien écrit « Brian Evenson » sur la couverture, et pas « Alan Dean Foster » ou que sais-je. Et il y a bien un Alien dessus aussi, à savoir le plus chouette monstre inventé par le cinéma contemporain, tout au long d’une série remarquable de par sa qualité (je rappelle aux étourdis qu’elle ne comprend que trois épisodes).
Alors, le mélange des deux…
Bon, ça sent le livre écrit pour payer ses impôts. Mais comme j’aime beaucoup Brian Evenson, et que j’adore « Alien », ma curiosité perverse m’incite à tenter l’expérience.
Entamons.
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Ouh putain.
Ça commence quand même très mal… Comme une grosse merde, aurais-je déjà envie de dire…
…
Mais persévérons.
…
Tiens, ça s’améliore. Sans atteindre des sommets, ça se lit bien jusqu’à la fin, comme un divertissement honnête, bien que l’on puisse légitimement préférer la première moitié du roman, malgré son début calamiteux, à la seconde, où l’action prend le pas sur le polar SF que l’on lisait jusqu’alors.
Bon. On peut bien en parler, donc.
Le roman se situe semble-t-il un bail après les films (on n’y verra aucune mention de Ripley, au passage), et sans doute, d’après ce que j’ai cru comprendre, après les comics publiés par Dark Horse. Entendre par là que la menace constituée par les Aliens est connue, qu’elle a consisté en une véritable invasion, qui a été repoussée.
Anders Kramm était un employé de la Compagnie, Weyland-Yutani, spécialisé dans les enquêtes sur les Aliens et dans leur élimination subséquente. Ça s’est mal fini pour lui (début du roman, ridicule) : pour avoir appliqué d’un peu trop près les directives de la Compagnie, Kramm a perdu sa femme et sa fille aux mains des Aliens, et vécu un véritable cauchemar, seul dans une ruche pendant près d’une semaine, épisode tragique qui ne cesse de le hanter. Pour fuir ce souvenir, Kramm, qui claque la porte de Weyland-Yutani, décide de se faire cryogéniser au service d’une petite entreprise (ce qui est très con, mais passons).
Trente ans plus tard, il est réveillé. La petite entreprise a été rachetée par Planetus, le principal rival de Weyland-Yutani. Les deux compagnies se partagent l’exploitation et la terraformation de la planète C-3 L/M. Or un incident s’est produit là-bas, qui ressemble fort à une incursion alien. Les sept (et non douze, comme le dit la couverture ; le chiffre n’est bien entendu pas innocent…) scientifiques de la base de Weyland-Yutani, six hommes et un androïde, ont été tués, et les hommes ont été retrouvés le sternum perforé, comme si un chestbuster en avait jailli. Mais il y a quelque chose qui cloche dans tout ça, et qui fait penser à une mise en scène… Pour son plus grand malheur, Kramm, secondé par Frances Stauff de Planetus, mène l’enquête. Et, inévitablement, cela va le conduire à affronter son plus grand ennemi : ses propres cauchemars.
Bon.
Ainsi que je l’ai déjà dit, ça commence vraiment très mal, et on craint le pire en lisant la (heureusement) fort courte première partie du roman. On ne reconnaît pas ici Brian Evenson, et on peut à bon droit redouter la quasi-novélisation de bas étage. Puis ça s’améliore : la phase « enquête » du roman est tout à fait sympathique, et contient quelques passages où l’on reconnaît davantage l’auteur de La Confrérie des mutilés (dont une très charmante scène de torture). Et finalement, on se prend au jeu.
Oh, ça ne vole jamais bien haut, c’est quand même un peu écrit avec les pieds – on sent que le bonhomme ne s’est pas foulé, et qu’il a probablement, en même temps, visé un public plus jeune que pour ses autres romans – et sans doute traduit itou (on trouve quelques perles assez croquignoles, m’étonnerait que Héloïse Esquié, qui avait fait du bon travail sur Père des mensonges si je ne m’abuse, se soit trop foulée elle aussi, et je doute que le roman ait été relu avec sérieux).
Mais ça se lit. Comme un honnête divertissement, finalement pas pire qu’un autre. Les amateurs « d’Alien » – et plus encore d’Aliens, le deuxième épisode réalisé par James Cameron, c’est surtout à celui-là qu’Alien : No Exit fait penser – ne seront probablement pas déçus du voyage, premières pages exceptées, même s’ils pourront très légitimement rechigner devant quelques punchlines pas toujours nécessaires et un humour parfois lourdingue, mais en même temps très hollywoodien. Tiens, voilà, « hollywoodien » : c’est sans doute le terme qui caractérise le mieux ce roman, riche en clichés et n’hésitant pas à faire étalage de la vacuité de ses personnages (a fortiori ceux qui ne sont là que pour nourrir les vilaines bébêtes, bien sûr, et qui ont « victime » écrit sur le front). Mais finalement, comme un blockbuster correct, avec un peu de bière et de pop-corn, ça passe.
Mais c’est quand même pas très glorieux, et, surtout, ça ne permet en rien de juger du réel talent de Brian Evenson. Ses admirateurs risquent de déchanter, s’ils s’attendent à quelque chose de très personnel, à une véritable relecture de la mythologie « Alien » par ce brillant écrivain. À ceux qui veulent véritablement juger le travail d’auteur de Brian Evenson, on ne conseillera bien entendu pas ce roman « professionnel » : qu’ils se précipitent plutôt sur les excellents La Confrérie des mutilés et Inversion. Mais si vous êtes prêts à placer 19 € (quand même) dans un pur divertissement façon « roman de gare », alors pourquoi pas… Ça casse pas trois mâchoires à un Alien, mais ça a au moins le mérite de respecter la mythologie de la chose. Pas terrible, donc (franchement pas terrible, même), mais pas scandaleux non plus. Médiocre, quoi, au sens strict.
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