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"Annales de Klepsis", de R.A. Lafferty

Publié le par Nébal

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LAFFERTY (R.A.), Annales de Klepsis, [Annals of Klepsis], traduit de l'américain par Emmanuel Jouanne, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1983] 1985, 254 p.

 

Avec ces Annales de Klepsis, j'en arrive – déjà ! – à la moitié de mon mini-cycle consacré à R.A. Lafferty, et je crois qu'il m'est maintenant possible de le proclamer haut et fort à la face du monde : j'aime R.A. Lafferty ; oh oui je l'aime ; et même je le kiffe veugra, comme disent les jeunes. Pour tout un paquet de raisons dont je vais tâcher de vous donner un aperçu. Mais, déjà, à l'époque, Theodore Sturgeon – c'est-à-dire tout sauf une pine – disait de Lafferty qu'il était « le plus fou, le plus pittoresque, le plus imprévisible des écrivains vivants » ; et que Sturgeon comme Lafferty ne soient plus de ce monde ne change rien à l'affaire, non mais. D'ailleurs, ces Annales de Klepsis en fournissent une bonne illustration, avec tous ces fantômes et je-ne-sais-quoi qui rodent et font entendre leur volonté aux vivants.

 

Mais commençons par le commencement (c'est toujours une bonne idée). Klepsis, donc, est une planète, destination de choix pour tous ceux qui ont la double malchance d'être unijambistes et irlandais – ils ont des facilités de paiement. Parmi les voyageurs qui débarquent sur la planète pirate au début du roman, on trouve notamment Long John Tong Tyrone (oui, c'est un unijambiste irlandais), historien de son état ; il est venu sur Klepsis en apprenant que cette planète, bien que colonisée par l'humanité depuis environ deux siècles, n'avait pas d'histoire ; et il entend bien en écrire une (qui s'appellerait, au hasard, Annales de Klepsis). Mais la tâche s'annonce rude ; notamment en raison des délicieux raisins « Mon Dieu, quels raisins ! », qui sont un tantinet psychotropes. Mais se dresseront également plein d'autres obstacles au château Ravel-Brannagan, où pirates vivants comme morts peuvent se révéler de sacrées nuisances, tandis que l'Équation Apocalypse, implacable, suit son cours logique jusqu'à la fin du monde – ce qui ne facilite pas le travail de notre historien, un peu pressé par les événements, et pas si distingué que ça (mais qui en profite quand même pour épouser une princesse au passage).

 

...

 

Annales de Klepsis. C'est... comment dire ? Un planet opera à la Jack Vance, qui serait écrit par Lewis Carroll et interprété par les Monty Python ? Peut-être bien. C'est en tout cas parfaitement délirant de la première à la dernière ligne (mais ça, j'imagine que vous l'avez compris à la lecture de cette petite introduction), et tout aussi jubilatoire. L'imagination de R.A. Lafferty est d'une fertilité extraordinaire, et sans véritable comparaison. Et quel plaisir à la lecture de ces réjouissantes improbabilités !

 

Un des atouts de Raphaël Aloysius Lafferty, tant qu'on y est, est son caractère inclassable. Annales de Klepsis relève à première vue évidemment de la science-fiction – qu'est-ce que ça pourrait bien être, sinon ? Pourtant, l'improbable règne ici en maître, et c'est le délire bien plus que la physique qui impose ses lois au récit. Fantômes et je-ne-sais-quoi se promènent en toute liberté sur cette planète à l'océan d'eau douce, regorgeant de trésors de pirates et de dragons indiqués par des croix sur des cartes. On y saute d'un monde à l'autre – hop – comme si de rien n'était, et on y croise des oiseaux savants venus des astéroïdes pour faire étalage de leur génie mathématique, tandis que des déplaceurs de mondes se mettent à l'oeuvre, lâchant au besoin la proie pour l'ombre (c'est le problème avec les jumeaux cachés, ou je-ne-sais-quoi). Tout peut arriver, et c'est généralement le plus saugrenu et le plus inattendu qui vous saute à la gueule à chaque tournant de ces Annales de Klepsis aussi cohérentes et lucides qu'un troupeau d'otaries bourrées à la bière. SF, alors, ou pas SF ? Mais qu'est-ce qu'on s'en fout ! L'important c'est que c'est sacrément bon, à hurler de rire parfois, et réjouissant à chaque page.

 

Servi par une plume aussi impeccable que limpide, ce délire invraisemblable emporte le lecteur loin de toutes les conventions – et on en redemande. Aussi n'en ai-je décidément pas terminé avec R.A. Lafferty, un des plus grands écrivains de... Oh et puis merde avec ça ! Mort aux frontières ! Vive le bordel et la piraterie contractuelle ! Gloire aux Irlandais unijambistes ! Prospérité pour Klepsis l'improbable et ses pirates fantômes ! Et donnez-moi encore un peu de ces raisins « Mon Dieu, quels raisins ! », histoire de poursuivre un peu, au-delà de sa non-fin, ce « trip inferno-paradisiaque ». Mon Dieu, quel roman !

 

Allez, pour la prochaine fois, je vais tâter un peu de la nouvelle avec Lieux secrets et vilains messieurs.

CITRIQ

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G
RAL est probablement plus à l'aise dans des nouvelles ou enfin des textes courts que dans des romans. Comme au bout de vingt ou trente pages, il avait noyé dans de la bonne bière son intention de<br /> départ, on peut s'y perdre. Et c'est très bien comme ça.<br /> Avez-vous compris le monde?<br /> Eh bien il n'est pas nécessaire de tout comprendre dans RAL pour apprécier un coucher de soleil sur la mer, à Trégastel, au hasard.
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C
Je l'ai justement trouvé en seconde main il n'y a pas longtemps (ainsi que le livre d'or du monsieur). Mais je dois dire que je suis ressortie un peu perplexe des "Quatrièmes demeures" il y a<br /> quelques mois, ayant eu l'impression de ne rien comprendre à ce que je lisais pendant les deux premiers tiers, ne réussissant à m'approprier l'histoire que sur le dernier. Peut-être retenterai-je<br /> le monsieur...
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N
<br /> <br /> OUI. IL LE FAUT.<br /> <br /> <br /> <br />
G
Il est vrai que RAL est un très grand.<br /> Je crois du reste que c'est l'auteur le plus représenté dans la GASF.<br /> Il est également vrai, hélas, qu'il n'a pas ou peu de lecteurs et que tous les éditeurs qui s'y sont frotté, dont je fus, ont pris de terribles pannes à une époque où il y avait un vaste public<br /> pour la science-fiction et où se vendaient même d'affreuses merdouilles (pas chez moi évidemment).<br /> Il faut dissoudre le peuple.
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N
<br /> <br /> Je vote pour.<br /> <br /> <br /> <br />