"Apologie pour le plagiat", d'Anatole France
FRANCE (Anatole), Apologie pour le plagiat, Paris, Les Éditions du Sonneur, coll. La Petite Bibliothèque, [1891-1892] 2013, 42 p.
Dans ce tout petit ouvrage prisé par Alain Minc (entre autres) reprenant deux articles publiés originellement dans Le Temps les 4 et 11 janvier 1891, Anatole France (que je n’ai jamais lu par ailleurs, je plaide coupable…) part d’une énième accusation de plagiat (lancée par un inconnu à l’encontre d’Alphonse Daudet) pour livrer une brève réflexion pleine de « bon sens » (horrible expression) sur cette notion si controversée.
Je dois dire que le sujet m’intéressait, d’autant plus que mes idées ne sont guère fixées en la matière. L’accusation, de nos jours, revient régulièrement (et je ne suis d’ailleurs pas forcément le dernier à l’employer), parfois – souvent ? – de manière totalement illégitime ; mais il est vrai que notre époque croit – ou plutôt feint de croire… – que l’originalité est la première des qualités (en passant, je ne peux m’empêcher de noter ici que c’est particulièrement le cas en science-fiction, avec l’obsession du novum, surtout quand un thème SF est repris en littérature dite générale ; paradoxe, tant la SF est par essence une littérature intertextuelle : une histoire de nains – avec des putains de grosses haches – juchés sur des épaules de géants, quoi… ou l'inverse), et que les sommes parfois conséquentes en jeu peuvent justifier tout et n’importe quoi…
C’est contre ces deux aspects qu’Anatole France s’élève dans l’Apologie pour le plagiat, et il ne manque pas de déplorer tant la vaine course à l’originalité que le mercantilisme qui s’est installé dans l’art.
Le prix Nobel de littérature (enfin, pas encore, à cette époque-là) commence par montrer à grands renforts d’anecdotes édifiantes que les « situations » étant en nombre limité, elles appartiennent à tous ; peu importe à ses yeux qui a « eu » le premier l’idée, ce qui compte vraiment est de la traiter au mieux. En outre, le coupable de plagiat l’est souvent sans même le savoir (ce qui invalide totalement l’accusation, bien entendu). Mais Anatole France entend aussi démontrer que celui qui accuse de plagiat peut très bien en avoir commis un lui-même, inconsciemment donc, mais aussi sciemment, surtout à l’époque classique, où la notion même de plagiat recouvrait un sens bien différent, consistant, non pas simplement à emprunter à quelqu’un, mais à emprunter tout et n’importe quoi, le bon grain comme l’ivraie.
Dans le second article, ainsi, Anatole France se penche sur les cas de Molière et Scarron, le premier ayant emprunté (notamment dans le Tartuffe et L’Avare) au second, mais le second ayant lui-même trouvé ses situations – et il le reconnaissait volontiers – de l’autre côté des Pyrénées, dans la littérature espagnole florissante (où, si ça se trouve, Molière a pu piocher lui aussi sans nécessairement passer par Scarron).
Le problème, c’est qu’Anatole France ne va guère plus loin dans ces deux petits articles ; on sent la fatigue de l’auteur confronté à ces sempiternelles accusations, et son regret devant la marchandisation de l’art, conséquences à ses yeux de l’individualisme forcené de son temps (alors pour ce qui est du nôtre, hein…), mais c’est à peu près tout. Et je le regrette : on en reste donc au stade du « bon sens », sans atteindre à celui d’une véritable réflexion qui aurait pu être probablement très enrichissante (au figuré ; au « propre », mieux vaut conserver les accusations de plagiat). Ce que dit Anatole France est vrai, bien sûr, et devrait être plus souvent pris en considération dès lors que l’on brandit cette grave accusation, mais il n’en reste pas moins que des éléments subsistent dans l’ombre. On pourrait sans doute établir une typologie du plagiat, selon ce qui le motive et ce à quoi il aboutit ; ou encore s’interroger davantage sur la valeur intrinsèque de l’originalité. Mais Anatole France en reste au stade des faits et de leur premier degré d’interprétation ; c’est juste, c’est même érudit, mais c’est un peu décevant… Je n’y ai en tout cas pas trouvé ce que je cherchais (mais le format ne permettait sans doute guère une réflexion plus poussée). Ce n’est pas inintéressant, cela donne quelque peu matière à réfléchir, mais il y a sans doute encore de quoi faire…
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