Arlis des forains, de Mélanie Fazi
FAZI (Mélanie), Arlis des forains, Paris, Bragelonne – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2004] 2010, 307 p.
Ma chronique figurait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.
On a souvent et à juste titre loué – mais pas sur le site du Cafard, étrangement… – les talents de nouvelliste de Mélanie Fazi : que ceux qui en douteraient aillent immédiatement jeter un œil, ou même deux, sur ses excellents recueils Serpentine et Notre-Dame-aux-Écailles. Mais la réédition d’Arlis des forains, second roman de l’auteur et prix Masterton 2005, est l’occasion de voir ce dont elle est capable sur la forme longue.
Arlis James a onze ans. C’est un orphelin, élevé par des forains, dans une Amérique très (trop ?) vaguement définie, tenant plus du fantasme qu’autre chose, et difficile, pour ne pas dire impossible, à situer dans le temps. On l’a « trouvé », tout petit, dans la cage de l’ours Palmer, et depuis, il a été élevé par Lindy, qui lui a donné son nom.
Les autres enfants ne comprennent pas Arlis. Pour eux, l’enfant des forains mène une vie de rêve : pas d’école, pas d’attaches ; un ours, des singes et des serpents comme animaux « domestiques » ; la fête foraine en permanence… Mais, pour lui, la réalité est tout autre : lui aimerait avoir une vie plus « normale », il aimerait aller à l’école ; surtout, il aimerait savoir qui sont ses « vrais » parents…
Un jour, la caravane des forains fait halte dans la petite ville de Bailey Creek – cadre unique du roman. Là, Arlis, fait la connaissance des filles du pasteur local, et notamment de la malicieuse, cruelle et insupportable Faith, la cadette ; celle-ci – blasphème ultime et/ou confirmation de son prénom ? – l’initie, dans les champs de blé s’étendant à perte de vue, auprès de l’épouvantail, à d’inquiétants rites mi-païens mi-sataniques, invoquant le Seigneur des Moissons. Et, bientôt, d’étranges phénomènes semblent se produire autour des deux enfants… Fruits de leurs fantasmes ? Simples jeux innocents ? Quoi qu’il en soit, ces mystères – au sens fort, aurait-on envie de dire – seront pour Arlis l’occasion d’une quête des origines, d’une interrogation ultime de son passé…
Arlis des forains fait immanquablement penser à d’autres œuvres : si l’absence de véritables « freaks » dans la caravane des forains évacue étrangement le chef-d’œuvre de Tod Browning, on ne peut par contre s’empêcher de penser au célèbre et indispensable Cristal qui songe, de Theodore Sturgeon, ou, plus récemment, à l’excellente série à peu près contemporaine – tout juste antérieure pour être plus précis – La Caravane de l’étrange (Carnivále en VO), elle-même sous haute influence du roman de Sturgeon. Comme chez ce dernier, on se retrouve avec Arlis des forains dans un roman très intimiste et subtil, procédant par petites touches, et où l’enfance est magnifiquement dépeinte, de façon très touchante.
Mais si Cristal qui songe joue la carte de l’ambiguïté entre science-fiction et fantastique, Arlis des forains est clairement un pur roman fantastique : si ambiguïté il y a (et il y a…), c’est donc dans le caractère réel ou non de la surnature. Tout au long du roman, Mélanie Fazi sait remarquablement bien maintenir l’équilibre entre les deux thèses, celle selon laquelle les événements dépeints sont bel et bien surnaturels et celle selon laquelle ils ne le sont pas. Un exercice de haute voltige, très délicat, qui mérite d’être salué. Ce n’est pas la moindre qualité de ce roman, par ailleurs fort bien écrit, d’une plume toujours agréable et fluide, qui coule toute seule sans le moindre accroc.
Pourtant, ce n’est pas sans raison que l’on dit de Mélanie Fazi qu’elle est meilleure – bien meilleure – nouvelliste que romancière, et Arlis des forains n’est pas sans défauts. On ne s’attardera guère sur le flou, voire l’invraisemblance du cadre, après tout peut-être voulus, car participant de l’atmosphère du récit. Plus gênantes, des longueurs sont à signaler, et le roman aurait sans doute gagné à subir deux ou trois coupes ici ou là. De même, on pourra signaler comme péchés de jeunesse un certain nombre de lourdeurs dans la narration, comme – notamment – quelques pénibles et fort naïves dissertations sur la religion et la foi en général, ou certains rebondissements plus ou moins bien gérés (un l’est particulièrement mal : le « grand déballage » de Katrina au chapitre 15). Enfin, on pourra trouver la conclusion du roman un tantinet frustrante…
Arlis des forains n’est donc certainement pas ce que Mélanie Fazi a fait de mieux. Pour autant, cela reste un roman fantastique de facture plus que correcte, subtil, touchant et bien vu. Si l’on conseillera en priorité Serpentine et Notre-Dame-aux-Écailles aux néophytes, Arlis des forains constituera néanmoins par la suite une lecture tout à fait recommandable.
Commenter cet article