"Atomik Aztex", de Sesshu Foster
FOSTER (Sesshu), Atomik Aztex, [Atomik Aztex], traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, Albi, Passage du Nord-Ouest, [2005] 2013, 285 p.
Les amis de Nébal sont indéniablement kools, mais aussi sadiques. Ils ont ainsi profité de mon anniversaire pour m’offrir Atomik Aztex, roman bizarre du pouète amérikain Sesshu Foster merveilleusement traduit par Brice Matthieussent (qui a dû se prendre de vilaines suées au passage, saluons-le). Et je les en remercie, parce que ce livre est effectivement excellent ; mais, mazette, il fut aussi d’une lecture éprouvante malgré sa relative brièveté ; et en plus, maintenant, il faut que je trouve komment en parler, et ça s’annonce pas facile.
C’est, en effet, qu’il n’y a pas vraiment de trame dans Atomik Aztex. Autant le dire de suite : ce roman échappe largement à la kompréhension, et, si le lekteur l’apprécie, c’est sans doute à un pur niveau émotionnel et esthétique. Parce que c’est divinement ékrit, c’est souvent drôle, c’est assez unique, et toutes ces sortes de choses.
…
Bon, essayons quand même d’en dire quelques mots.
Atomik Aztex suit (très vaguement) deux fils narratifs (enkore que ce soit peut-être un peu gonflé que de les qualifier ainsi, d’autant que l’on passe sans cesse de l’un à l’autre, en plein milieu d’un paragraphe, comme ça, pof).
Dans la ville de Vernon, pas loin de Los Angeles, nous avons donk un narrateur qui travaille dans un abattoir Farmer John, à dépecer du kochon toute la journée pour faire des hot-dogs. Un peu paumé, un peu dépressif, ledit narrateur mène ainsi une vie de merde dans un kadre de merde. Le contremaître Max est toujours derrière lui, à chercher tous les moyens possibles de le virer ; et il n’arrange sans doute pas les choses quand il accepte l’offre de Tina la Kommuniste, qui l’incite à faire signer des pétitions aux travailleurs en faveur de son syndikat pour une élection à venir.
Mais non, ceci n’est pas la Réalité. La Réalité, elle est ailleurs, dans une maison obscurément.
Voilà : les Aztèkes, qui ont toujours été les plus kools, ont vaincu les stupides Europiens qui ont voulu les envahir il y a de ça quelques sièkles. Les Espagnols ont été asservis, et l’Empire Socialiste et Teknospirituel Aztèke domine. Huitzilopochtli ! À Teknotitlan, les sakrifices humains continuent pour la plus grande gloire des dieux aztèkes, et c’est très bien comme ça. En tout cas, notre narrateur – Zenzontli, Gardien de la Maison Obscure (plus en raison de son ascendance prestigieuse qu’en fonktion de ses qualités propres) – trouve ça kool (bien plus, à titre d’exemple pris totalement au hasard, que de massacrer des cochons pour les konsommateurs amérikains). Mais tous les Aztèkes ne trouvent pas forcément Zenzontli kool. On cherche à se débarrasser de lui par tous les moyens, et on trouve bon, finalement, de l’envoyer à la reskousse des Soviétiques qui se fritent contre les nazis à Stalingrad. Les guerriers aztèkes vont donc participer à l’union socialiste contre les barbares europiens fascistes. Bonne occasion de kapturer du Teuton pour des sacrifices de bon aloi. Et voilà donc la Réalité.
Ou pas.
Difficile à dire, en fait. Les deux narrateurs sont-ils un seul et même Zenzontli ? Quelle vision est l’hallucination de l’autre ? Lequel est fou ? Les deux, peut-être ? Et si c’était vrai (© Marc Levy) ? Si la Réalité c’était ces deux mondes parallèles ? Celui qu’on connaît et celui qu’on qualifiera d’uchronique ?
Ça en fait, des questions. Et ça tombe bien : je n’ai pas les réponses. Pas dit non plus que Sesshu Foster les ait. Pas dit que ça ait la moindre importance, en fait. Ce qui importe, c’est qu’Atomik Aztex, Roman Barge S’il En Est, c’est karrément très très kool. Surtout parce que c’est magnifiquement écrit, donc. Et souvent très drôle (surtout dans les délires mi-parano mi-mégalo du Zenzontli aztèke, l’Amérikain étant plus kalme, voire mélancolique).
Kool, donc. Excellent, disons-le. Mais aussi épuisant, et d’une lekture un peu rude. C’est que la plume de Sesshu Foster n’est pas exaktement facile à suivre : phrases interminables composant des paragraphes interminables (pouvant atteindre quatre ou cinq pages facile), digressions perpétuelles, changements de narration impromptus, on passe sans cesse du coq à l’âne (qui prend cher, le pauvre). Ce qui n’aide guère à la kompréhension, donc, mais tant pis ; ce qui est tout de même parfois un tantinet douloureux, il faut le rekonnaître (en tout cas pour votre serviteur).
Atomik Aztex est donc un roman qui se mérite. Mais le jeu en vaut sakrément la chandelle. On se régale à la lecture de cette bizarrerie, on a envie de multiplier les citations tant c’est bon, et on apprécie le kôté foisonnant de la chose. D’ailleurs, une fois n’est pas koutume, c’est de nouveau chez un éditeur « de littérature générale » qu’on peut se régaler de ce qu’on peut sans trop d’hésitation qualifier d’excellente science-fiktion ; jugez-en à ce passage (ben oui, je ne peux pas me retenir de faire une citation – un paragraphe relativement kourt, ceci dit) :
« En 1492, Christophe Colomb a traversé l'océan bleu et découvert un Nouveau Monde que je connais & vous aussi. Vous lisez sans doute ces lignes dans un avenir lointain, un Futur inaccessible, un Âge de l'Espace inconnu, par exemple le 10 avril 1968 à Memphis, Tennessee, vous connaissez déjà tout ça. Pour vous, c'est de l'histoire ancienne. Vous avez sans doute l'habitude de prendre une fusée pour partir en vacances sur Mars & à Cancun, sans doute que pour satisfaire les besoins alimentaires de votre corps vous prenez tous les jours un petit comprimé blanc, et vous mangez seulement des aliments solides pour maintenir en forme votre système digestif, et éviter que votre trou du cul ne se ratatine et ne s'obture complètement – les êtres humains de l'avenir risqueraient de gonfler comme des ballons de merde & d'exploser – dans ce Futur vous n'avez probablement aucune idée de ce que sont la guerre & la maladie, même si vous avez lu des livres sur les maladies, et puis les livres eux-mêmes sont sans doute obsolètes, plus personne ne lit, les gens du Futur ont toutes les infos nécessaires pluguées directement dans le cerveau grâce à un câble, sans doute que dans votre monde de l'avenir on a découvert des trucs stupéfiants, comme les empreintes digitales ADN, les crayons de pénicilline, le free jazz & le jazz fusion, les magnétophones huit pistes, la porno vallée de San Fernando, j'arrive même pas à imaginer tous les trucs kool qu'on va découvrir dans le Futur, comme par exemple éliminer les barjots & les remplacer par des répliques exactes de ces cinglés, mais kool, peut-être qu'on va aussi inventer des transplantations d'organes pour que les gens puissent se faire greffer les organes vitaux de prisonniers exécutés dans des endroits comme la Chine & l'Indonésie, ou importés par un gars qui se gare devant la cabane d'un ranchito de la banlieue de Juarez pour livrer une glacière fermée avec du ruban adhésif professionnel, en échange de ce qui est sans doute l'équivalent actuel de 150 dollars, qui sait, je veux dire que dans votre univers la pauvreté et la faim ont sans doute disparu, si bien que tout le monde devient gros et gras, tout le monde peut s'offrir un énorme cul en un rien de temps, et tout le monde s'habille en costume de cosmonaute comme Miles Davis dernière période, et à force de Perceptions Extra-Sensorielles, de télépathie ou de chips saveur barbecue tout le monde aura l'air azimuté, les Gros Cerveaux feront enfler les crânes humains, les idées complexes viendront de la Science & de la Teknologie via Internet, vous ne pourrez plus mettre votre chapeau car votre tête grossira chaque jour un peu plus. Vous pratiquerez la sexualité mentale, ce sera tout dans le ciboulot, oeil-gasme inclus. Vous utiliserez sans doute une kyrielle de bains d'yeux, de bains de bouche, de lavages de cerveau. Qu'aura-t-on inventé de votre Vivant ? Impossible d'imaginer une chose pareille. Sans doute qu'on inventera une machine capable de croiser un homme avec une mouche, un monstre à tête de mouche, aux mandibules tranchants comme des rasoirs en guise de mains, qui se baladera et terrorisera les gens dans les banlieues obscures de solitude noire & blanche, et une mouche à la tronche de Vincent Price se fait piéger dans une toile d'araignée mortelle au beau milieu d'une roseraie, devant la maison de Luther Burbank à Santa Rose, Californie, elle hurle d'une voix minuscule que personne ne peut entendre, mais c'est juste une supposition de ma part. Je ne sais pas d'où pourrait venir une idée pareille. Tokyo sera peut-être détruite par des OVNIs, des chupacabras, Godzilla, une folle envie de nouilles ramen. Tout sera possible dans le Futur. Voilà pourquoi, je le sais, aucun fait de l'Histoire que je vais vous raconter ne saurait vous surprendre. Parce qu'en un sens, tous ces événements ont beau faire partie de mon avenir, pour vous ils se situent tous dans le Passé. »
‘tain, qu’est ce que c’est kool, tout de même !
Et puis, tant qu’on y est, on ne manquera pas de noter que tout cela fait très fortement penser à Philip K. Dick (j’ai relevé au moins deux allusions directes) ; pas seulement pour l’uchronie avec des vrais morceaux de nazis dedans, mais plus généralement pour l’ambiance de folie psychotrope et hallucinée du roman, et bien évidemment le questionnement de la Réalité sous-jacent.
Alors merci les amis, vous m’avez fait un très beau kadeau ; et vous, ô lekteurs, je vous enkourage fortement à lire cette merveille : ça vous demandera peut-être du sang, de la sueur et des larmes, mais vous en sortirez conquis (comme les Aztèkes ne l’ont pas été).
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