"Au bagne", d'Albert Londres
LONDRES (Albert), Au bagne, [s.l.], Ebooks libres et gratuits, [1924] 2011, [édition numérique]
C’est un des plus célèbres reportages d’Albert Londres, et peut-être, partant, de toute l’histoire du journalisme. Le grand reporter s’y rend en Guyane française, au bagne de Cayenne (ou, plus exactement, de Saint-Laurent-du-Maroni et des fort mal nommées îles du Salut).
Albert Londres n’est pas un idéaliste. Il sait que la plupart des personnages hauts en couleurs qu’il croise dans l’enfer du bagne sont de franches canailles, souvent coupables de meurtre, au mieux de vol qualifié. Il ne le nie pas. Mais cela n’empêche pas l’ensemble de son reportage de sonner comme une espèce de réquisitoire.
En effet, si Albert Londres ne se fait guère d’illusions sur « les enfants de Cayenne », il montre avec brio que les deux objectifs poursuivis par cette institution carcérale bien particulière – à savoir d’une part l’amendement du condamné et d’autre part la colonisation – sont parfaitement chimériques. « Le libéré ne s’amende pas, il se dégrade. La colonie ne profite pas de lui, elle en meurt. »
Ce n’est pas un hasard, dès lors, si Au bagne s’achève par une lettre ouverte au ministre des Colonies, réclamant, non des réformes, mais « un chambardement général ». Selon le journaliste, quatre mesures s’imposent immédiatement : la sélection (on ne fait « aucune différence entre le condamné primaire et la fripouille la plus opiniâtre ») ; ne pas livrer les transportés à la maladie, qui fait des ravages ; la rétribution du travail ; et enfin la suppression du doublage et de la résidence perpétuelle, sorte de « double peine » s’appliquant aux condamnés, et qui les obligeait à rester en Guyane, soit cinq ou sept ans pour ceux qui avaient été condamnés à ces peines, soit à perpétuité – pour une vie bien brève… – pour ceux qui avaient été condamnés à une peine plus importante.
Albert Londres sera en partie entendu. Dès la parution d’Au bagne, le ministère des Colonies nomme une commission chargée d’arrêter des mesures de réforme, et suspend en attendant les envois de forçats à la Guyane ; ce régime durera deux ans… puis on reprendra la transportation. Mais des réformes importantes furent obtenues : les fers, la nuit, furent supprimés ; de même pour les cachots noirs, ou encore le camp Charvein, « où les « punis » travaillaient dans des conditions inhumaines » ; le régime des peines encourues pour fautes commises au bagne fut abaissé ; la nourriture fut « surveillée ». Puis, le 15 décembre 1931, la Chambre des députés adopte une proposition de loi modifiant les conditions d’exécution de la peine des travaux forcés. La cour d’assises a dès lors le pouvoir de dispenser de la transportation le condamné non reléguable qui subira en France métropolitaine une peine de réclusion aggravée ; surtout, la loi abroge l’obligation de la résidence temporaire (doublage) ou perpétuelle.
C’est à n’en pas douter du grand journalisme d’investigation que cette enquête d’Albert Londres en Guyane. On aimerait bien, aussi, que les réquisitoires des plus consciencieux des journalistes soient pris en compte par le législateur, comme ce fut le cas ici. Et ce quand bien même il fallut encore attendre pour aboutir à la suppression du bagne (qu’Albert Londres n’envisageait de toutes façons pas)…
Commenter cet article