"Avance rapide", de Michael Marshall
MARSHALL (Michael), Avance rapide, [Only Forward], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Ange, préface de Jacques Baudou, Paris, Bragelonne, coll. 10 Ans, [1994, 2002] 2011, 309 p.
Je n’avais lu jusqu’à présent de Michael Marshall – sous le nom de Michael Marshall Smith – que Les Domestiques, petit roman fantastique sympathique, pour ne pas dire gentillet, mais assez franchement anecdotique ; ce qui m’avait donc laissé sur ma faim. J’avais cependant entendu dire le plus grand bien d’autres œuvres du bonhomme, dont cet Avance rapide que Bragelonne a eu la bonne idée de rééditer dans sa collection anniversaire aux zoulies couvertures (ce qui fait des vacances). Un roman de science-fiction cette fois, par ailleurs prix Philip K. Dick 2000 (mais bon, les prix…), avec plein de choses dedans (dont des chats, on ne peut rien vous cacher).
Nous sommes dans la Cité, gigantesque mégalopole scindée en divers Quartiers radicalement différents les uns des autres et affichant haut et fort leur autonomie. Stark, par exemple, notre héros, vit dans le Coloré, qui doit être passablement psychédélique. Cela ne l’empêche pas d’enquêter ailleurs, puisque tel est son métier : Stark est un détective privé, qu’on imaginerait bien avec un chapeau mou, tout droit sorti d’un vieux polar hard-boiled (et le pire, c’est qu’il en a conscience, le bougre). En tout cas, il a des fringues classes, qui lui valent moult compliments de la part de ses connaissances comme des objets parlants (et caractériels) qui abondent dans ce monde déjanté, sorte « d’utopie » (osons les guillemets, juste au cas où) post-cyberpunk-truc.
Stark est un jour contacté par son amie Zenda, son contact dans le Centre Action, un Quartier de maniaques du travail et des mémos. Il s’agit de lui confier une enquête concernant la disparition d’un très gros poisson, un Actionneur haut placé dans la hiérarchie mouvante de ce Quartier prônant l’ambition. Et Stark, un peu pataud dans un premier temps, de se mettre au travail, s’attendant à une enquête relativement banale.
Il se trompe, et s’en rend compte finalement assez vite : dans la mesure où il progresse tout d’abord avec une facilité déconcertante, il en déduit qu’un gros paquet de merde ne va pas tarder à lui tomber sur le coin de la gueule. Bien vu, détective.
Mais Stark nous trompe, aussi. C’est qu’il n’est pas un privé comme les autres. En fait, même en temps qu’individu dans la Cité, il n’est pas n’importe qui. C’est qu’il connaît un secret qui vaut son pesant de cacahuètes. Problème : il n’est pas le seul. Et un passé qu’on croyait mort et enterré de refaire soudain surface, et de parasiter insidieusement la mission confiée à Stark… qui en ressort passablement transformée.
S’il est un mot pour caractériser Avance rapide, c’est probablement celui de délire. Un délire jubilatoire et frénétique, d’un enthousiasme réellement communicatif, qui se caractérise dans les faits par une grande inventivité dans la construction de l’univers, riche en détails savoureux, comme dans l’élaboration de la trame, qui perd régulièrement le lecteur pour son plus grand plaisir et le conduit de surprise en surprise. Et ça fait du bien, mazette ; je crois bien que cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman de SF moderne aussi riche et débordant d’idées : ça fuse à chaque page, et c’est tout à fait délicieux.
Et puis qu’est-ce que c’est drôle ! Il n’est pas donné à tout le monde de susciter le rire, en science-fiction comme ailleurs, mais Michael Marshall relève le défi haut la main. Là aussi, ça faisait un bail que je ne m’étais pas autant marré dans un bouquin de genre. Mais voilà : les pérégrinations de Stark sont régulièrement du meilleur comique, et l’auteur sait user avec un professionnalisme certain de gimmicks fort bien trouvés, établissant une complicité appréciable avec le lecteur.
Mais Avance rapide n’est pas que drôle et délirant (ce qui serait déjà pas mal). Polar science-fictif bien ficelé (entendre par là que ni le polar, ni la science-fiction ne sont des alibis, mais ont pleinement leur rôle à jouer), il contient également quelques beaux moments d’horreur, de jolies scènes d’action, et même – voyez-vous ça – du tragique, en définitive. On pourrait craindre ce mélange des genres, exercice assez redoutable sur lequel plus d’un s’est cassé les dents. Mais ici, ça passe ; ça fait même plus que passer : les différents éléments s’imbriquent les uns dans les autres avec une aisance qui force le respect.
Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de prétendre qu’Avance rapide est un chef-d’œuvre incontournable de la science-fiction. Cela serait sans doute y aller un peu fort, galvauder le qualificatif. Si les idées abondent, en effet, elles ne sont pas forcément très originales pour autant : c’est le patchwork dans son ensemble qui produit le sentiment « euphorique » dont parle Clive Barker en quatrième de couv’. Les personnages sont – volontairement – archétypaux, encore que Stark, pour ne parler que de lui, nous réserve donc quelques surprises ; mais c’est fort approprié au thème et à son traitement. Il en va de même pour le style, minimaliste, mais peu importe : Michael Marshall fait preuve d’un réel talent de conteur, qu’il me paraîtrait difficile de nier ; aussi, ça glisse tout seul, sans s’encombrer de fioritures qui ne seraient franchement pas nécessaires ici.
Bref, sans être exceptionnel (« extraordinaire », nous dit M. Barker) pour autant, Avance rapide est un bon bouquin, et même un très bon bouquin, sans doute. Un divertissement de qualité, en tout cas, et un peu plus que ça (ce petit plus qui fait toute la différence, si vous voyez ce que je veux dire). Il est en tout cas d’une efficacité remarquable, et se dévore d’une traite : ça tombe bien, c’est exactement ce dont j’avais besoin en ce moment. J’en recommande donc la lecture sans trop d’hésitations : c’est une injection de fun à l’état pur qui fait le plus grand bien, et ce sans être con pour autant. Belle performance, qui mérite d’être saluée.
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