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"Baby Leg", de Brian Evenson

Publié le par Nébal

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EVENSON (Brian), Baby Leg, [Baby Leg], traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié, Paris, Le Cherche-Midi, coll. Lot 49, 2012, 98 p.

 

Le Brian Evenson nouveau est fort court, et on parlera plus volontiers de novella que de roman ; alors, évidemment, vendre ça à 12, 80 €, ça peut faire un peu mal au cul, mais, quand on aime, on ne compte pas (ma bonne dame). Or j’aime Brian Evenson : j’ai adoré Inversion et La Confrérie des mutilés, bien aimé Père des mensonges… et je ne parlerai pas (merde, trop tard) d’Alien : No Exit, judicieusement non mentionné ici dans les titres de l’auteur, et qui ne compte pas vraiment (pas du tout, même). Alors va pour Baby Leg (à la jolie couverture). Et ce quand bien même « on » (salut !) m’en avait dit du mal : trop court, gratuit, fait dans l’horreur pure… Bon. La gratuité et l’horreur pure ne me gênant pas nécessairement, voyons voir tout de même.

 

Un homme se réveille dans une cabane au milieu de la forêt. Il est amputé d’une main. Et accessoirement, il est amnésique. Une seule chose : un rêve, qui revient tout le temps, où il voit une femme avec une jambe normale et une jambe de bébé, hache à la main. Notre homme se sent pourchassé, cependant ; il hésite à quitter « sa » cabane, craignant de faire ainsi « leur » jeu. Mais poussé par la faim, il se rend dans une autre cabane où il vole un peu d’argent, puis dans un village pour y acheter des vivres. Là, il découvre une affiche représentant un homme qui lui ressemble. Il s’appellerait Kraus, et un certain docteur Varner offrirait une récompense à qui le retrouverait. Et il tue l’épicière, qui avait passé un coup de fil au dit docteur, sans trop savoir si tuer est dans sa nature où si « on » cherche à le lui faire croire, lui qui est présenté comme « dangereux ».

 

Et c’est bientôt un véritable festival qui se déchaîne : meurtres sanglants, mutilations diverses et variées, opérations chirurgicales déviantes… Kraus se retrouve bien malgré lui attiré dans un hideux cauchemar paranoïaque, où le réel fuit en permanence, et où l’on ne sait jamais trop à quoi se raccrocher… à part peut-être à Baby Leg. Mais a-t-on vraiment envie de faire confiance à la femme à la hache ?

 

Ben figurez-vous que, en dépit des avertissements contraires – et j’ai eu l’occasion d’en lire d’autres ici ou là – j’ai bien aimé, moi.

 

Un cauchemar, voilà. C’est le mot à retenir : c’est éprouvant, c’est glauque, ça n’a pas forcément ni queue ni tête (mais après tout ce ne sont pas là les seuls organes manquants dans cette histoire), et ça obéit à une logique propre (enfin, sale, ici). La quatrième de couverture, inévitablement, mentionne David Lynch et Tod Browning ; mais c’est à bon droit. On retrouve dans Baby Leg les freaks du second, et les sombres délires du premier. Pour rester au cinéma, on pourrait aussi évoquer, ce me semble, David Cronenberg. Et si j’osais, je mentionnerais également Philip K. Dick, pour ma part (voire le Harlan Ellison de I Have No Mouth & I Must Scream). Et tout cela se marie très bien, pour former un texte court mais cinglant, d’une grande efficacité et porté par une plume irréprochable.

 

Alors oui, on peut considérer qu’ici Brian Evenson fait dans l’horreur pure : pas un problème en ce qui me concerne (au contraire, à la limite : il est difficile de nos jours de trouver notre bonheur en terreur…). On peut même éventuellement dire que c’est « gratuit », mais je ne suis pas certain que ça le soit beaucoup plus que l’excellent La Confrérie des mutilés. Trop court, alors ? Je ne pense pas. C’est probablement le format idéal pour cette histoire cyclique.

 

Alors que reprocher véritablement à Baby Leg, en fin de compte ? Je ne vois pas vraiment. Certes, je comprends les critiques négatives, et il est évident que tout le monde n’appréciera pas forcément (euphémisme) cette histoire débordant de bon krovi rouge rouge des familles, terrible et glauque. Ça nécessite sans doute un état d’esprit particulier, mais il se trouve que je l’ai. En fait, je ne vois vraiment pas pourquoi les amateurs d’horreur cracheraient dessus : c’est pour eux une pitance tout ce qu’il y a de correct, et même plus.

 

Et indiscutablement du Brian Evenson (pas comme l’autre, là, avec un K. en version originale) : on y retrouve bien des obsessions de l’auteur – le résumé que je vous en fait me semble assez parlant –, et son ton bien particulier et si réjouissant, où les atrocités sèches sont légèrement balancées par une sorte d’humour à froid, un peu pervers. Ce qui, sur moi, fonctionne remarquablement bien.

 

Non, décidément, bien aimé, moi. Une lecture vite expédiée, certes – et on n’atteint pas ici la maestria d’Inversion ou de La Confrérie des mutilés, ça ne saurait faire de doute. Non, Baby Leg n’a rien d’un chef-d’œuvre. Mais ce n’est pas ce que je lui demandais, même de la part d’un type aussi doué que Brian Evenson. C’est très clairement en ce qui me concerne un bon, voire très bon texte, dont je ne garantis pas qu’il me laissera un souvenir impérissable, mais qui, en attendant, s’est mangé sans faim et a produit son petit effet. Nombreux sont ceux qui aimeraient pouvoir en dire autant…

 

Alors à vous de voir.

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