"Berazachussetts", de Leandro Avalos Blacha
ÁVALOS BLACHA (Leandro), Berazachussetts, [Berazachussetts], traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano, postface d’Hélène Serrano, Paris, Asphalte, [2007] 2011, 185 p.
Voilà un livre que l’on m’a fort bien vendu. En effet, dès avant sa parution, on m’avait assuré qu’il y aurait dedans des pingouins, des zombies et des paralytiques. Or Nébal aime les pingouins, les zombies et les paral…
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Broumf.
Disons que ce livre, si le programme était bien respecté, était a priori fait pour moi. Et c’était en outre l’occasion de découvrir enfin les éditions Asphalte, dont j’ai accumulé plusieurs ouvrages sans trouver d’opportunité pour les lire (honte sur moi). Ayé, le tort est réparé (enfin, en partie…), Berazachussetts est lu, et je peux dire, après en avoir quelque peu douté, que le programme a bien été respecté. Oui, on trouve dans le roman de Leandro Ávalos Blacha (pourrait pas s’appeler Jean-Pierre Martin, comme tout le monde…) des pingouins, des zombies et des paralytiques. Mais aussi bien d’autres choses. C’est rien de le dire, que ça foisonne dans ce court bouquin. Il en retire quasiment un côté picaresque, ou hystérique, c’est selon.
Aussi n’est-il pas très évident de le présenter, ou a fortiori d’en résumer l’intrigue, au-delà de cette sentence qui aurait déjà dû vous convaincre de vous précipiter dessus : dedans, il y a des pingouins, des zombies et des paralytiques.
Oui.
Bon, essayons tout de même. Nous sommes à Berazachussetts, une sorte de banlieue de Buenos Aires fantasmée (voir la postface pour les « précisions » – façon de parler – cartographiques de cette géographie décalée). Quatre cûpines, anciennes instits à la retraite et toutes veuves, vivent ensemble : Dora, Milka, Beatriz et Susana. Un jour, elles tombent par hasard sur Trash, une zombie punk et obèse qui se promène les énormes nichons à l’air, et décident de la ramener chez elles, parce qu’elle a quand même un peu l’air dans un sale état.
En fait de zombie, Trash n’a pas grand-chose à voir avec les classiques vaudous ou romeriens : certes, elle est anthropophage, mais elle pense, parle, boit de la bière et pogote sur les Misfits. Quelqu’un de bien, donc. Ce qui en fait quelque peu une exception dans cet univers sordide où les psychopathes se rencontrent par paquet de dix, jusque dans le petit groupe des cûpines.
Sans rentrer dans les détails, disons que ce petit groupe va – sévèrement – battre de l’aile, que ça va se séparer dans les insultes, et que ça va – de manière générale – charcler pas mal, dans une ambiance de délire généralisé, jusqu’à une conclusion nécessairement apocalyptique. Ben oui. Mais d’ici là, on aura croisé un ancien maire pervers qui fait du tourisme chez les pauvres, son fiston qui tourne des snuff movies, des pingouins en vitrine (parce que c’est chouette), des vieux et des cadavres révolutionnaires, et un gang d’handicapés très Action mutante versant faf, mené par la terrible et omnisciente et paralytique Periquita (hi hi hi).
Mais c’est complètement n’importe quoi, ma parole !
Eh bien, oui et non. C’est, d’une part, un grand nawak jubilatoire, qui se savoure comme une comédie horrifique de la plus belle eau et du plus mauvais goût (miam), et, d’autre part, sous la couche de réjouissant délire, un tableau acide et sans appel de l’Argentine contemporaine, pays qui en a chié, c’est le moins qu’on puisse dire. Entre cumbia et bidonvilles, cartes postales et réalités moins glop, Leandro Ávalos Blacha dresse mine de rien un constat passablement putride d’une société en décomposition, bouffée par la crise, la misère et la corruption, une société anarchique dans le mauvais sens du terme, appelant l’anarchie dans un sens autrement plus laudatif.
Et ça marche parfaitement. Sans être le livre de l’année, Berazachussetts remplit parfaitement son office sur tous les plans. Il part dans tous les sens, mais c’est tant mieux – comme ça, on voit du pays. Et on s’amuse beaucoup, on éclate même parfois de rire, tout en devinant sous la chouette mauvaise blague quelque chose de plus grinçant et nettement moins enthousiasmant.
Servi par une plume limpide et d’une fluidité tout à fait remarquable (mais qui, je dois dire, m’a semblé étrangement pudibonde par moments), Berazachussetts se dévore comme un humain encore chaud. On y trucide dans la joie, on s’y lâche pour exaucer tous ses rêves, mesquins ou pas, et, de manière générale, on se fait plaisir. L’auteur aussi, sans doute, et le lecteur itou.
Alors lisez Berazachussetts : un roman qui fait du bien, mais pas que, avec dedans des pingouins, des zombies et des paralytiques, mais pas que. Et comme ça fait déjà pas mal, je ne vois pas de raison de bouder son plaisir.
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