"Black Flag", de Valerio Evangelisti
EVANGELISTI (Valerio), Black Flag, [Black Flag], traduit de l’italien par Jacques Barbéri, Paris, Rivages, coll. Fantasy, [2002] 2003, 170 p.
Lors de mon « western summer », on m’avait prêté Anthracite, western de Valerio Evangelisti de très bonne réputation. Je ne l’ai cependant toujours pas lu… En effet, j’avais appris que le héros de ce roman, le palero (sorcier) mexicain Pantera, était d’abord apparu dans un autre roman, Black Flag, mélangeant plus ouvertement western et imaginaire (et même auparavant dans une nouvelle du recueil Métal hurlant, mais bon…). Or ce Black Flag n’avait pas été repris en poche, et n’avait connu qu’une seule édition de par chez nous, dans la défunte collection « Fantasy » de Rivages (qui avait également publié les « Nicolas Eymerich ») ; j’ai cependant pu me le procurer, mais divers impératifs m’ont empêché de le lire jusqu’à aujourd’hui, et ce en dépit de sa brièveté. Mais c’est désormais chose faite…
Black Flag constitue une variation sur la méthode des « Nicolas Eymerich » (une allusion en passant à la RACHE confirme d’ailleurs que nous sommes dans le même univers), et alterne ainsi entre plusieurs époques. Lors du prologue et de l’épilogue, nous assistons à l’assaut de Panama par les Américains peu après le Onze-Septembre (et ça y fait diablement penser, très volontairement, ainsi qu’en témoigne le discours de George W. Bush en exergue – j’ai trouvé ça de très mauvais goût…). Puis on alterne un chapitre sur deux entre le réveillon de l’an 3000 – la Terre y est devenue un gigantesque hôpital psychiatrique où les Schizophrènes massacrent allègrement leurs comparses (on peut penser au roman de Philip K. Dick Les Clans de la lune alphane, en – nettement – plus gore et sans l’humour…) – et la fin de la guerre de Sécession, entre le Texas et le Missouri. Disons-le tout net : seule cette partie-là (de loin la plus longue, heureusement) mérite qu’on s’y attarde, le reste ne se rattachant que très artificiellement à cette trame principale – comme dans un « Nicolas Eymerich » raté, quoi… ce qu’est largement ce Black Flag, malgré l’absence du célèbre inquisiteur.
Nous y suivons donc le sorcier métis Pantera. Embauché à Laredo pour faire la peau d’un loup-garou tueur de putes, il est trahi par ses commanditaires, et ne trouve le moyen de survivre qu’en s’échappant en compagnie de sa proie (qui s’attache rapidement à lui), et en rejoignant ainsi bon gré mal gré la troupe de bushwhackers (voyez ici) du tristement célèbre Bloody Bill Anderson (en compagnie notamment des frères Jesse et Frank James). Suit une insoutenable série de massacres, jusqu’à ce que Pantera se souvienne enfin de ce qui lui est arrivé à Laredo et y retourne pour se venger…
Le « drapeau noir » du titre a plusieurs significations. Il renvoie bien sûr au groupe de punk, dont les chansons fournissent titre et exergue aux chapitres de Pantera. Au-delà, c’est le drapeau de l’anarchie, sinon de l’anarchisme ; un certain anarchisme du moins, hyper-individualisme sauvage dans la lignée de Stirner et annonçant Nietzsche, incarné dans le roman par le docteur français Bellegarrigue, qui voit dans les Etats-Unis en guerre le terrain idéal pour prêcher cette ultime révolution sanglante qui verra l’homme se débarrasser de toute forme d’autorité (et annonce ainsi l’an 3000 des autres chapitres). Ce drapeau noir, enfin, brandi par les bushwhackers, c’est l’antithèse du drapeau blanc : pas de quartier, et tant pis si même les confédérés sont pris de nausée à l’idée que ces brigands irréguliers se battent en principe pour la même cause (pas l’esclavage, pour Bellegarrigue, mais la liberté, donc).
Et donc : du sang. Black Flag enchaîne les massacres les plus abominables, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi Pantera y participe (sans les cautionner vraiment, mais bon). Le roman est riche en scènes fortes, si violentes qu’elles marquent à n’en pas douter. Mais, à vrai dire, il m’a surtout donné une impression d’overdose de gore, ne provoquant que l’écœurement. Pas d’humour, pas davantage de sens.
Ou presque. Du sens, il y en a. Mais, si l’on peut se reconnaître (votre serviteur itou) dans la noirceur de ce roman ultra pessimiste et nihiliste, on peut tout aussi légitimement renâcler devant les implications de cette débauche de violence. En effet – et ce n’est pas une première – je dois dire que le discours politique de Valerio Evangelisti m’a un tantinet gonflé dans ce roman. L’anti-américanisme est nécessairement primaire, a fortiori dans le prologue et l’épilogue (vraiment puants, ai-je trouvé) ; l’anti-psychiatrie des chapitres futuristes confine au ridicule ; quant à la critique d’une société déréglée telle qu’elle se présente dans les chapitres de Pantera, elle est pour le moins excessive, virant à la caricature. Bref, je ne me suis pas reconnu dans la « pensée » véhiculée par Black Flag, c’est rien de le dire…
Cela pourrait ne pas être gênant, ou du moins pas tant que ça. Hélas, le ratage complet des chapitres autres que ceux de Pantera et l’absence de véritable motivation (sans parler de l’histoire…) chez ce dernier ne font que confirmer à mon sens le jugement émis plus haut : même sans Eymerich, Evangelisti fait ici du Eymerich ; mais du mauvais : outrancier, mal branlé, un poil puant, et potentiellement un peu con-con.
Une déception, donc ; qui ne m’empêchera pas de lire Anthracite, hein : ce dernier roman a bien meilleure réputation ; mais j’espère que Valerio Evangelisti y a corrigé les travers de ce Black Flag franchement médiocre.
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