"Chroniques orsiniennes", d'Ursula Le Guin (abandon)
LE GUIN (Ursula), Chroniques orsiniennes, [Orsinian Tales], traduit de l’américain par André de Los Santos, Arles, Actes Sud, [1976] 1991, 233 p.
(Abandon à la page 136.)
Cela n’aurait jamais dû arriver, et je ne comprends toujours pas comment cela a pu être possible. Mais voilà : j’ai abandonné un livre de la grande Ursula Le Guin. Celle-ci, ainsi que vous avez déjà pu vous en rendre compte en farfouillant sur ce blog interlope, figure incontestablement parmi mes auteurs d’imaginaire préférés. Bien sûr, tout ne m’a pas fait le même effet, et j’ai parfois connu d’étonnantes déceptions, mais relatives : ainsi avec le cultissime Terremer, qui a pris à mon sens un petit coup de vieux, mais reste néanmoins tout à fait recommandable. Disons simplement que l’on est loin, à mon sens, de l’excellence du cycle de « l’Ekumen », que je porte aux nues, ou, pour citer une œuvre plus récente et moins ouvertement typée imaginaire, du remarquable Lavinia. Mais je ne pensais pas, néanmoins, en arriver un jour à devoir déclarer forfait devant une de ses œuvres…
Il faut dire que, fort logiquement, la déception est à la hauteur de la réputation du livre : ces Chroniques orsiniennes, j’en avais entendu parler depuis un bail, et en bien, voire très bien, voire plus encore… Mais non.
Les Chroniques orsiniennes ont été publiées en France par Actes Sud, et, en effet, en dépit de cette idée d’une contrée imaginaire (mais sur notre bonne vieille Terre), elles ne relèvent pas à proprement parler de la science-fiction ou de la fantasy. Non, on peut bien parler de « littérature générale » ou « blanche » ici. Ce qui, loin de m’effrayer (je ne suis pas de ces gens-là), éveillait plutôt ma curiosité…
Avec l’Orsinie, pas forcément évidente à situer sur une carte, notamment du fait de ses noms propres aux racines très diverses, même si l’on penche instinctivement pour l’Europe centrale, on est très loin des mondes de « l’Ekumen » ou de « Terremer » et de leur prédilection pour le sens du détail anthropologique (or c’est bien là une des choses qui me parlent le plus en temps normal chez Le Guin). Ce pays ne constitue à vrai dire qu’un lien très vague entre des nouvelles très relâchées, d’autant qu’elles sont présentées dans un ordre non chronologique (l’année où se situe le récit étant chaque fois précisée à la fin du texte seulement). La quatrième de couverture promet à certains égards un vague État policier, un totalitarisme intrusif pouvant évoquer, j’imagine, Kafka ou Orwell, mais, dans les textes que j’ai lus en tout cas (un peu plus de la moitié du recueil, donc), cette dimension est finalement très discrète. C’est d’autant plus regrettable à mon sens que, pour peu originale qu’elle soit, c’est probablement quand cette thématique intervient que le recueil décolle vaguement…
Non, ce qui intéresse ici Ursula Le Guin (mais pas forcément son lecteur…), ce sont les personnages, forcément très humains, et leurs relations complexes. Dans ce que j’en ai lu, on a ainsi droit à beaucoup de personnages en roue libre, un peu perdus, à des histoires d’amour plus ou moins contrariées par exemple, ou à des situations de handicap difficiles à vivre… L’humanité est généralement un des grands atouts de Le Guin en ce qui me concerne, mais ici, ça n’est hélas pas passé. Peut-être parce qu’il n’y a pas le fond anthropologique habituel chez l’auteur, son goût du détail précis, son ambition aussi : on fait cette fois dans l’intimiste pur, et j’ai trouvé – c’est rien de le dire… – que cela ne lui réussissait pas.
En tout cas, je n’ai jamais pu m’intéresser vraiment à ce qui était raconté (vaguement : les trames sont assez minimalistes, hein). Disons-le, même si j’en ai honte et ne parviens pas à comprendre comment cela a pu être possible : je me suis fait chier comme un rat mort (enfin, plus, puisque le rat, lui, au moins, il est mort), peinant sur chaque page ou presque. J’ai mis plus d’une semaine à lire ces 130 pages environ…
Le style, il est vrai, n’a sans doute rien arrangé à l’affaire. Généralement, je suis assez preneur de la plume de Le Guin, qui me paraît clairement au-dessus du lot dans le monde souvent terne de la science-fiction et de la fantasy, a fortiori « classiques »… Ici, pourtant, ça n’est pas passé. Mais alors pas du tout. J’ai trouvé ça – mon Dieu c’est horrible… – « mal écrit », même, disons-le. Confus et laborieux. L’ancienneté des textes est peut-être en cause ? La traduction aussi, peut-être, plus ou moins inspirée ? Je manque à vrai dire d’éléments pour en juger. Mais pour une œuvre de « blanche », où l’on pouvait s’attendre peut-être à une plus grande attention stylistique que dans les textes de science-fiction ou de fantasy de l’auteur, c’est franchement décevant…
Non, les Chroniques orsiniennes ne sont pas passées. Du tout. C’est incroyable, donc, je n’aurais jamais cru ça possible, mais j’ai préféré déclarer forfait. La déception est énorme…
Actes Sud a publié d’autres œuvres de Le Guin. Outre le très bon mais rude d’accès La Vallée de l’éternel retour, depuis réédité chez Mnémos dans la belle collection « Ourobores », on peut ainsi mentionner Malafrena, roman plus ou moins lié à l’Orsinie ; en dehors, il faut également citer Le Commencement de nulle part, ainsi que le jeunesse Loin, très loin de tout. Je vais les lire prochainement, oui (il y a du dossier en préparation)… mais j’espère bien ne pas me retrouver confronté à la même déception que pour ces Chroniques orsiniennes. Une déception dont je ne reviens toujours pas…
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