"Contrée indienne", de Dorothy M. Johnson
JOHNSON (Dorothy M.), Contrée indienne, [Indian Country], traduit de l’américain par Lili Sztajn, [s.l.], Gallmeister, coll. Totem, [1948-1951, 1953, 1976-1977, 1979-1981, 1986] 2013, 246 p.
J’ai décidé, là, comme ça – mais mon acquisition du jeu de rôle Deadlands n’y est pas pour rien – que cet été serait western ou ne serait pas. Western littéraire, s’entend (quand bien même ma culture cinématographique en la matière est des plus limitées, ainsi que ce premier compte rendu va bientôt en témoigner…) : je ne connais absolument rien à ce genre, mais suis curieux de le découvrir. Je me suis donc emparé d’une dizaine de bouquins, et ai entamé mon « Western Summer » avec Contrée indienne de Dorothy M. Johnson (chez Gallmeister, éditeur de prédilection pour ce thème). Et ce fut un très bon choix pour commencer : ce recueil de onze nouvelles est en effet absolument superbe.
Pourtant, j’ai eu peur, au début : « Flamme sur la plaine », la première nouvelle du recueil, commence en effet assez étrangement – et d’une manière que j’avoue n’avoir trouvé guère convaincante : c’est très dense, tout va très vite, et on s’y perd un peu… Pourtant, le destin de cette famille de colons brisée par un assaut indien – thème récurrent – se révèle en définitive tout à fait passionnant. On se retrouve ainsi au cœur des préoccupations essentielles de ce volume, avec ces personnages entre deux mondes, Blancs égarés chez les Indiens et vice-versa. Ici, nous suivons deux filles enlevées par les Peaux-Rouges, et qui s’adaptent différemment à cette nouvelle condition… jusqu’à ce que la possibilité du retour soit envisageable. Très touchant.
« L’Incroyant » développe encore cette problématique, avec un homme blanc qui a vécu chez les Indiens, est retourné chez les Blancs, et accompagne sur le tard une mission en terre indienne ; va-t-il retourner chez les Braves, qui l’appelaient Iron Head pour sa chevelure rousse qui leur apportait une bonne médecine ? Mais ce « Little Big Man » est un cynique… Pas mal du tout.
Pas d’Indiens dans « Prairie Kid », mais un jeune garçon qui chasse un desperado du ranch de sa famille. Cette idée de l’accession précoce à l’âge adulte, arme au poing, est également un motif important de Contrée indienne ; ici, cela nous vaut une belle séquence de suspense, grâce à des personnages magnifiquement campés.
« L’Exil d’un guerrier » se passe a contrario uniquement en territoire indien. Nous y suivons un guerrier malchanceux, qui va tardivement faire son rêve pour découvrir sa bonne médecine. Une fois de plus, c’est très touchant.
Suit « Retour au fort » : on retrouve la première thématique du recueil avec l’histoire de cette femme enlevée par les Indiens qui est échangée contre rançon et retourne chez les Blancs ; mais l’accord a-t-il été bien respecté ? Et qu’est-il advenu de sa fille ? Là encore, le style simple mais expressif et les personnages bien dessinés rendent ce récit très puissant.
« L’Homme qui tua Liberty Valance » est probablement la nouvelle plus célèbre de ce recueil, du fait de son adaptation par John Ford (que, je plaide coupable, je n’ai pas vue…). Fort récit de vengeance d’un homme qui fait tout pour être détesté, et connaîtra un destin singulier. C’est une nouvelle fois une grande réussite.
Mais j’avoue préférer les nouvelles faisant intervenir les Indiens… et « La Tunique de guerre » est peut-être bien ma préférée du recueil. Poignant récit d’un pied-tendre venu chercher son frère parti vivre chez les Indiens, et qui entend bien continuer ainsi. La confrontation des civilisations est ici remarquablement mise en scène, avec un simple dialogue – avec interprètes… – entre deux hommes que tout sépare désormais malgré les liens du sang. Magnifique.
« Après la plaine », par contre, m’a beaucoup moins convaincu, sans être mauvaise pour autant. Nous y suivons une famille récemment installée sur le Territoire et ruinée par une attaque indienne, qui décide en conséquence de tout laisser tomber ; prétexte, en fait, à une intrigue sentimentale, ce qui ne me parle guère… Mais la nouvelle est « sauvée » (façon de parler, hein : ça reste très bien fait) par ses personnages, et notamment le Dogie Kid, gamin devenu homme après avoir défendu les femmes et les enfants.
Mais suit une autre nouvelle que j’ai véritablement adorée, avec « Cicatrices d’honneur » : on y délaisse l’époque mythique du Far West pour les années 1940, quand de jeunes Indiens, prêts à partir pour la guerre, demandent à un vieillard d’exécuter pour eux les rites oubliés de la religion ancestrale. C’est vraiment très beau, très touchant.
« Et toujours se moquer du danger » est une réminiscence, chez une vieille femme, de sa relation ambiguë avec un hors-la-loi, un tueur. Si, là encore, le côté sentimental m’a quelque peu laissé de marbre, la superbe des personnages a néanmoins remporté sans peine mon adhésion.
Et le recueil de se conclure sur « Un homme nommé Cheval », adapté au cinéma par Elliot Silverstein (pas vu non plus…). Cette fois, c’est un homme qui est capturé par les Indiens, pour devenir l’esclave d’une vieille femme. Nous le verrons s’assimiler à un cheval, jusqu’à en revendiquer fièrement le nom, et s’intégrer à la tribu, tout en gardant derrière la tête l’idée de la fuite… ou pas. Une réussite, là encore.
Vraiment rien à jeter dans ce recueil, qui sait explorer avec cohérence mais sans répétition excessive la thématique des rapports conflictuels entre Indiens et Blancs. Le style lapidaire et percutant, l’émotion à fleur de peau, les personnages tous plus magnifiques les uns que les autres, l’intelligence du propos qui sait fuir tout manichéisme, autant d’éléments qui font de Contrée indienne un superbe recueil western, dont je me suis régalé à chaque page. Du coup, la barre est haute pour la suite… Mais on verra bien. Prochaine étape de mon « Western Summer » : Journal des années de poudre du grand Richard Matheson (R.I.P.).
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