Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"Dans le torrent des siècles", de Clifford D. Simak

Publié le par Nébal

Dans-le-torrent-des-siecles.jpg

 

SIMAK (Clifford D.), Dans le torrent des siècles, [Time And Again], traduit de l’américain par Georges H. Gallet, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1951, 1973] 1975, 312 p.

 

Une fois n’est pas coutume, je vais ouvrir ce compte rendu sur une banalité : j’ai déjà eu maintes fois l’occasion de dire du bien de Clifford D. Simak. En multipliant ici ou là les allusions à son chef-d’œuvre Demain les chiens, notamment, mais aussi en traitant de manière plus approfondie de Voisins d’ailleurs ou Au carrefour des étoiles. J’ai aimé, chez cet auteur du soi-disant « âge-d’or-de-la-science-fiction™ », ses fameuses atmosphères bucoliques, son profond humanisme (encore que le terme ne soit pas forcément bien choisi, mais voir plus bas), son imagination débridée enfin.

 

Voilà sans doute ce qui a attiré sur moi l’attention de quelque prosélyte bien intentionné, le fort sympathique Soleil Vert pour ne pas le nommer. J’ai en effet croisé un jour (et d’autres) le bonhomme dans une excellente librairie parisienne que nous ne nommerons pas pour ne pas lui faire de publicité (mais qui se situe 8 rue Riesener dans le 12e arrondissement), et nous avons (entre autres) causé de Simak. Là, ledit Soleil Vert n’a cessé de me faire l’article de son roman Dans le torrent des siècles, que j’ai appris plus tard avoir été le premier « véritable » roman de l’auteur. Finalement, n’y tenant plus, et semblant désireux de connaître mon avis sur la bête, il m’a tout simplement offert ledit roman. Alors Nébal dit merci, et c’est bien la moindre des choses que de commencer par là.

 

Adonc, Dans le torrent des siècles. Ce roman, c’est tout d’abord un pitch formidable, que je m’en vais tâcher de vous présenter (ce qui ne s’annonce pas facile, le roman étant foisonnant comme peu le sont). Nous sommes plusieurs millénaires dans le futur. L’humanité a essaimé à travers la galaxie. Partout, sauf sur 61 du Cygne, pour une raison inconnue. On y a envoyé il y a vingt ans de cela Asher Sutton afin de percer ce mystère. Mais à l’évidence Asher Sutton est mort…

 

Mais un soir, Christopher Adams, une sorte de super chef de la sécurité, reçoit la visite d’un étrange individu prétendant venir du futur, et lui disant qu’Asher Sutton va rentrer ; mais ce n’est pas tout : il demande qu’on l’abatte à vue… car il ne faut pas qu’il écrive un certain livre.

 

Or peu de temps après, Asher Sutton revient effectivement sur Terre, dans un vaisseau endommagé, sans carburant, sans air, sans vivres. Comment a-t-il fait pour survivre ? Mais est-ce seulement lui ? Ou plus exactement s’agit-il encore d’un humain ? Car il se pourrait bien qu’Asher Sutton soit mort depuis longtemps, en fin de compte…

 

Quoi qu’il en soit, le bonhomme se retrouve au centre d’un très complexe affrontement opposant des factions mystérieuses à travers l’espace… et le temps. Et la clé de l’énigme pourrait bien se trouver quelques siècles dans l’avenir… ou par une après-midi ensoleillée de juillet 1977, dans une ferme du Wisconsin.

 

Alléchant, non ? Moi, des pitchs comme ça, j’en redemande volontiers. C’est énigmatique à souhait, à l’évidence d’une richesse et d’une densité extrême – époque heureuse où les romans de science-fiction se montraient d’une inventivité phénoménale, plutôt que de pratiquer le tirage à la ligne contemporain, rhalala c’était mieux avant (faut que je fasse gaffe, à force de lire Simak, je pourrais moi aussi tourner réac !) –, bref, tous les ingrédients semblent réunis pour donner un très bon, un très grand roman de SF.

 

Donc Dans le torrent des siècles est un très bon, un très grand roman de SF.

 

 

Sauf que je me suis fait chier comme un rat mort à le lire.

 

Non, plus, en fait, vu que le rat, lui, au moins, il est mort.

 

(Oui, je sais, je l’ai déjà faite, celle-là.)

 

À cela essentiellement trois raisons : la première, et la plus flagrante, tient au style. Mondieumondieumondieu. C’est tout simplement ATROCE. Or, sans faire de Simak un grand styliste, je n’avais pas eu ce ressenti à la lecture de ses autres ouvrages, cités en tête de ce compte rendu ; donc, même si je n’exclus pas sa part de responsabilité – elle ne saurait faire de doute par endroits –, la faute en incombe probablement au traducteur, Georges H. Gallet, qui, m’est avis, a salopé le boulot. Et là, très franchement, c’était trop pour moi. Ado, j’aurais sans doute pu faire l’impasse là-dessus : c’était l’époque où, après tout, je n’attendais pas autre chose d’un livre qu’une bonne histoire – or l’histoire de Dans le torrent des siècles est dans l’ensemble très bonne (mais voir plus bas, cependant). Mais aujourd’hui, je ne peux plus. Nope. A pu possib’. Au risque de passer (une fois de plus) pour un traître à la Cause, je réclame de mes lectures science-fictionnelles un minimum de style ; et là, c’est peu de dire qu’on est très loin du compte : on est vraiment dans ce qui se faisait de pire en matière de traductions à l’arrache. Du coup, j’ai peiné, mais peiné sur ce livre, alors qu’il méritait sans doute bien mieux… Or, à ce que j’en ai vu sur la NooSFere, c’est toujours cette seule traduction qui est disponible aujourd’hui ; ben en voilà une qu’il serait bon de dépoussiérer…

 

La deuxième raison tient à l’histoire, et le pitch, dans toute sa richesse, vous en a peut-être déjà donné une idée : Dans le torrent des siècles est un « roman touffu à l’extrême, le plus vanvogtien de l'auteur (space opera doublé d’un time opera centré sur l’existence d’un super-héros qui, au départ, ne connaît ni l’étendue de ses pouvoirs ni le but ultime qui le motive inconsciemment) », pour reprendre les mots de Denis Philippe. Or vous savez dans quelle estime je tiens Van Vogt… Ben oui, difficile de prétendre le contraire : même si j’ai trouvé le pitch alléchant, il faudrait être le dernier des hypocrites (ou des aveugles) pour ne pas y voir des traits vanvogtiens. Et régulièrement, avec un frisson, je n’ai pu m’empêcher de penser au Monde des Ā, cet odieux machin « bâti » (?) sur un canevas finalement assez proche. Et, parfois, les reproches que j’adresse habituellement à Van Vogt m’ont semblé applicables à Simak dans ce roman : une certaine tendance au partage en couille, et, avouons-le, un côté super-héros à baffer chez Asher Sutton, qui fait plus qu’à son tour penser à Gilbert Gosseyn…

 

La troisième raison est propre à Simak. Et là, surprise : c’est son « humanisme » (en l’occurrence, ici, le terme n’est pas très bien choisi, sans doute, puisqu’il s’agit de dépasser l’humain et sa soi-disant « destinée manifeste » – le choix de ce dernier terme n’est bien évidemment pas innocent…) qui m’a saoulé. En temps normal, j’aime beaucoup l’humanisme simakien. Mais, cette fois, il en fait tout simplement trop, d’autant que le roman, en versant parfois dans la philosophie (de comptoir), tend à se montrer horriblement bavard. Ce qui nous vaut des pages et des pages de « réflexions » sur la « destinée » d’une niaiserie insupportable… que, si j’étais méchant, je dirais qu’un Bernard Werber pourrait les reprendre à son compte aujourd’hui ; heureusement que je ne suis pas méchant.

 

Reste quoi, alors ? Un pitch formidable, oui. Et, tout de même, quelques pages superbes – je ne parle bien évidemment pas du style, groumf… –, qui viennent remonter le niveau : sans véritable surprise, il s’agit essentiellement des scènes prenant place au XXe siècle, dans le Wisconsin rural cher au cœur de Simak. On ne fait pas exactement dans le progressiste, ici, tout cela sent fort le « retour à la terre » et peut donc asticoter les narines les plus sensibles, mais les faits sont là : c’est ici que Simak se montre à son meilleur.

 

 Donc, tu m’en vois désolé, citoyen Soleil Vert, mais je ne peux pas prétendre avoir aimé Dans le torrent des siècles (même si je pense, encore une fois, que la traduction y est pour beaucoup). Je ne saurais donc non plus en recommander la lecture. Contemporain de ce roman, mieux vaut lire, et de loin, l’immense Demain les chiens. Il ne faudrait en effet pas rester sur une mauvaise impression à cause de Dans le torrent des siècles : je vais conclure sur une banalité, ainsi que j’ai commencé, mais Simak est bel et bien un grand auteur de « l’âge-d’or-de-la-science-fiction™ », et cette fausse note ne m’empêchera pas de poursuivre la découverte de son œuvre.

CITRIQ

Commenter cet article

S
<br /> Arrgghhhh mais l'humanisme ici n'est pas gratuit : il s'agit d'un roman publié aux USA en 1950 et l'égalité homme-robot renvoie - enfin c'est que j'ai cru comprendre -aux droits civiques des<br /> noirs.<br /> Bon , je vais prendre mes quartiers d'hiver sur Titan.<br /> <br /> <br />
Répondre
N
<br /> <br /> (Je recopie ma réponse à ton commentaire plus complet du fil d'ActuSF : http://www.actusf.com/forum/viewtopic.php?p=147166#147166 )<br /> <br /> <br /> Certes, le discours sur l'égalité hommes-androïdes (plutôt que hommes-robots) n'est pas neutre à l'époque, et il renvoie à<br /> une réalité très concrète, et très transparente. Notamment dans les passages où il est dit que cette égalité ne doit pas être concédée par arrogance ou paternalisme, d'ailleurs, ce qui renvoie<br /> bien aux mouvements pour les droits civiques.<br /> <br /> Parallèlement, quand Simak critique la notion américaine au possible de "destinée manifeste" dans son roman en pleine guerre Froide, ce n'est probablement pas innocent non plus, et plutôt<br /> audacieux pour un auteur par ailleurs largement "conservateur"...<br /> <br /> Donc tout cela n'est pas inintéressant et participe bien d'un "humanisme" (avec les bémols indiqués dans ma chronique) simakien tout ce qu'il y a de respectable.<br /> <br /> Ca ne m'a pas empêché de trouver qu'il en faisait trop, dans ce roman, en insistant trop lourdement sur ces thèmes, de manière maladroite. Il y a<br /> franchement des pages et des pages de verbiage sans intérêt, et, oui, de "radotage", sur la "destinée" dont on se serait allègrement passé.<br /> <br /> Certes, cela participe aussi de la "vision contradictoire" que tu décris très bien ; mais là encore, je trouve que Simak en a trop fait, que c'est lourd, et pénible...<br /> <br /> Ces impressions-là, je ne les ai pas ressenties à la lecture de Demain les chiens, Au carrefour des étoiles et<br /> Voisins d'ailleurs (ou du moins pas excessivement). Là, par contre... Me semble qu'il y a une nette différence.<br /> <br /> Mais elle pourrait s'expliquer aisément : si j'en crois la critique de Nathalie Mège publiée dans le Bifrost 22 et reprise sur la NooSFere, il s'agirait<br /> là du premier "véritable" roman de l'auteur ; ça pourrait expliquer certaines longueurs et redites, certains défauts de construction...<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> Tu t'es peut-être emmerdé à le lire, moi je me suis bien amusé à te lire.<br /> <br /> <br />
Répondre
N
<br /> <br /> Je ne sais pas comment je dois prendre ça...<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> Je ne me souviens pas du texte originel de Simak mais dans l'ensemble, ce n'est pas un si mauvais écrivain que ça même si ce n'est pas un grand styliste. Encore qu'il ait souvent un sens<br /> remarquable de la formule.<br /> En ce qui concerne les traductions de Time and again, il y en a eu trois que je n'ai jamais comparées.<br /> La première, celle de Galaxie, non signée, était sans doute catastrophique. La deuxième était due à Pierre Versins, titrée De temps à autre et signée A. Yeure ou qq chose comme ça, est parue au<br /> Rayon Fantastique. La troisième est celle de Georges Gallet, régulièrement reprise par J'ai lu. Je suppose que celle de Versins n'était pas très bonne et pourtant Gallet co-dirigeait la collection<br /> à l'époque bien que le choix ait été probablement celui de Pilotin.<br /> Gallet n'était sans doute pas un grand traducteur. Néanmoins, je n'ai pas le souvenir d'une telle catastrophe.<br /> Pour moi, Dans le torrent des siècles reste un immense chef d'œuvre, van vogtien peut-être (je n'y avais jamais songé) mais cela ne ferait qu'ajouter à sa superbe.<br /> <br /> Gutboy, au travail !!!<br /> <br /> <br />
Répondre
N
<br /> <br /> Oui, on m'a signalé ces différentes traductions. Celle-ci serait la "moins pire". Je n'ose imaginer ce que donnent les autres.<br /> <br /> <br /> Sur la dimension vanvogtienne de ce roman, je n'invente rien, mais ça me paraît assez clair.<br /> <br /> <br /> <br />