"Deadwood", de Pete Dexter
DEXTER (Pete), Deadwood, [Deadwood], traduit de l’américain par Martine Leroy-Battistelli, Paris, Gallimard, coll. Folio Policier, [1986, 1994, 2007] 2012, 606 p.
« Western Summer », suite, avec un gros bouquin qui me paraissait indispensable... mais que j’ai pourtant entamé à reculons. En effet, comme beaucoup de monde j’imagine, j’ai connu la série télévisée avant d’avoir même ne serait-ce que connaissance du livre qui l’a « inspirée » (oui, les guillemets s’imposent, on verra très vite en quoi). Or, cette série, qui a remporté pas mal d’adhésion et que d’aucuns qualifient même de « culte », m’avait laissé pour ma part une impression des plus mitigées. Certes, je ne l’ai pas vue dans de bonnes conditions (la VF, c’est le mal) ; mais elle m’a, au-delà de ce petit problème, fait l’effet d’être plutôt tarte, finalement assez banale, et sans grand intérêt (en tout cas, pas de quoi s’extasier dessus). L’histoire – ou plutôt les histoires – ne me parlaient pas vraiment, et, en dehors d’un charismatique barman, les personnages me laissaient plutôt froid, quand ils ne m’agaçaient pas carrément (ce qui fut le cas notamment de Calamity Jane, que j’y trouvais franchement insupportable).
Mais bon : dans le cadre de mon « Western Summer », je me suis dit que la lecture de Deadwood s’imposait malgré tout, et que ce qui m’avait déplu dans la série télévisée pouvait passer bien mieux dans un cadre littéraire. Et là, très vite, énorme surprise : en effet, j’ai dévoré Deadwood le roman, et ai encore du mal maintenant à établir le lien avec Deadwood la série... Ce pavé que je me suis enquillé en à peine plus de deux jours tellement je trouvais ça bon ne me paraît en effet entretenir que des rapports fort distants avec la série éponyme : il y a le cadre, certes (la ville-champignon de Deadwood dans les Black Hills, donc), et quelques personnages (dont les plus « mythiques », Wild Bill Hickock et Calamity Jane). Certains événements aussi, sans doute – mais ils ne m’avaient pas marqué dans l’adaptation télévisée. Pour le reste, on a vraiment affaire à quelque chose d’entièrement différent. Et là où la série, passablement mélancolique, m’a laissé de marbre, le roman, avec sa richesse impressionnante, m’a par contre séduit en tous points, et j’ai envie de faire péter à son égard tous les superlatifs et les « plus » : Deadwood le livre est plus sale, plus drôle (c’est rien de le dire ! je ne crois pas avoir souri une seule fois en regardant la série, là où j’ai explosé de rire à plusieurs reprises en lisant le roman), plus coloré, plus original, plus subtil, plus humain aussi, bref : plus mieux, mille fois mieux. Aussi puis-je d’ores et déjà vous donner ce conseil : que vous ayez aimé ou pas la série importe peu tant ça n’a rien à voir, vous devez lire Deadwood. Hop ! et plus vite que ça !
Le roman débute en 1876, en gros avec l’arrivée à Deadwood du légendaire Wild Bill Hickock et de son ami le très sympathique Colorado Charley Utter (qui constitue plus ou moins le fil rouge du roman), à la tête d’une caravane composée essentiellement de putes. L’ambiance est vite donnée : le jour même de leur arrivée, nos héros voient deux hommes se balader dans les rues du bas-quartier (où se concentrera l’intrigue) avec une tête humain sous le bras, un Mexicain avec celle d’un Indien, et l’abject Boone May avec celle du hors-la-loi Frank Towles... C’est l’occasion, déjà, de faire la connaissance de quelques autochtones, dont bon nombre viennent accueillir en fanfare Wild Bill. Ainsi le détestable Capitaine Jack Crawford, par exemple. Ou encore le shérif Seth Bullock. Et bien d’autres, Blancs ou Chinois, gentilshommes et crapules, dames et catins, légendes et quidams, des deux côtés de la Loi, si tant est que la loi s’applique à Deadwood...
Dès lors, le roman nous conte sur deux années (je fais ici l’impasse sur le bref épilogue) la petite vie de cette communauté hétéroclite, les faits-divers qui l’agitent, avec pour événement central l’assassinat de Wild Bill Hickock (qui a lieu un peu avant la moitié du roman, mais est annoncé bien plus tôt). Si Charley Utter constitue donc une sorte de fil rouge auquel on peut en définitive toujours se rattacher, le roman se caractérise néanmoins par le très grand nombre de ses protagonistes. On pourrait craindre de s’y perdre, mais ce n’est jamais le cas, tant ils sont bien campés et Pete Dexter se montre adroit pour en faire ressortir les traits saillants sans les réduire à des archétypes pour autant. C’est aussi en cela que Deadwood se montre très humain : les personnages, tous, les plus admirables (mais y en a-t-il ?) comme les pires salauds, sonnent juste, et suscitent toujours en définitive, à un moment ou à un autre, la sympathie du lecteur.
Il faut dire que Deadwood – et ce roman s’inscrit à cet égard en plein dans une sorte de tradition du western littéraire que je ne fais qu’entrevoir pour le moment, mais qui me paraît significative – construit le mythe en même temps qu’il le déconstruit. En mêlant l’authentique et le fictif, les personnages réels et les pures créations, Pete Dexter décrit avec astuce tout un monde plus vrai que nature, où les connards ont un coeur et les héros leur part de ridicule (ainsi Wild Bill, avec sa vue qui baisse et son train-train bien peu héroïque, ou encore, de manière plus flagrante, Calamity Jane, personnage haut en couleurs qui a assurément un pet au casque, mais se révèle ô combien plus attachante que son adaptation télévisuelle pleureuse).
Aussi Deadwood est-il un roman plein de vie, et, en tant que tel, il déborde de drames authentiques comme d’anecdotes amusantes, et l’on y passe sans cesse – et, chapeau, sans jamais ressentir une impression d’artifice – du rire aux larmes. Car ce roman sait jouer avec les émotions du lecteur d’une manière remarquable : à titre d’exemples, j’ai rarement lu quelque chose d’aussi drôle que la confrontation de Charley Utter et Handsome Dick dans la chambre de la Poupée chinoise, ou d’aussi triste (même si pas seulement...) que l’amour de Calamity Jane pour Wild Bill Hickock, et sa conviction qu’elle ne cesse d’asséner que le grand homme assassiné était son époux... jusque devant sa véritable femme, lors d’une réception pour le moins agitée qui concentre dans l’unité d’espace et de lieu tout ce qui fait Deadwood, le plus pathétique comme le plus tordant. Très, très fort.
C’est ça, Deadwood : un concentré de vie et d’humanité dans un cadre fortement caractérisé ; la grande histoire qui se mêle à la petite, les légendes qui fricotent avec les anonymes. Du sang, de la boue, du whisky (ou du gin rose) et des putes, Dieu et sa Face maléfique, de la bravoure et de la lâcheté, des héros et des connards, tout ça mélangé avec habileté pour donner au final un très grand livre, western idéal, page-turner redoutable, doté de tant d’atouts qu’on en perd le compte ; autant le dire : un chef-d’œuvre. Le terme peut paraître un peu fort, mais voilà : j’ai adoré le roman de Pete Dexter, et ne lui trouve honnêtement rien à reprocher. Alors, bon. Hop. Lisez Deadwood.
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