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Dons, d'Ursula K. Le Guin

Publié le par Nébal

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LE GUIN (Ursula K.), Dons, [Annals of the Western Shore : Gifts], traduit de l’anglais [États-Unis] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2004] 2010, 219 p.

 

Ma chronique figurait sur le défunt Cafard cosmique... La revoici.

 

 

 

Pour sa nouvelle trilogie – enfin, « nouvelle » pour nous autres Français : ce livre date de 2004, tout de même –, Ursula K. Le Guin a choisi de se livrer à l’exercice de la littérature « jeunesse » (exercice auquel elle s’était déjà livré avec Loin, très loin de tout et Les Chats volants). Ce que nous indiquent assez une couverture flashy, et, au dos de cette dernière, la mention « pour tous lecteurs à partir de 14 ans ». Mais autant le dire de suite : si l’on peut trouver dans Dons (Pen/USA Award 2005) un bon argument afin d’amener nos chères petites têtes blondes à la lectures des œuvres de la dame – ce que Terremer constituait déjà « officieusement », cela dit –, on ne saurait par contre y voir un repoussoir ; cette littérature jeunesse-là est bien de celles qui se lisent à tout âge, parce qu’elles ont le bon goût de ne pas prendre leurs supposés jeunes lecteurs pour des imbéciles.

 

Ursula K. Le Guin élabore donc un nouvel univers de fantasy, pour l’instant très sommairement décrit. Une inévitable carte, en début d’ouvrage, représente le nord des Rivages de l’Ouest, mais on ne s’y reportera guère. En effet, dans le cadre de ce roman, il n’est guère qu’une chose à retenir : l’opposition entre les Basses-Terres, d’une part, et les Entre-Terres et les Hautes-Terres, d’autre part. Dans ces dernières vivent de puissants sorciers, même si les habitants des Basses-Terres tendent à n’y voir que contes et fariboles.

L’essentiel de l’action du roman se concentre dans les collines des Entre-Terres. Là vivent des fermiers, qui sont tous autant de sorciers, ayant hérité de leur lignage un don particulier. Certains, par exemple, sont des guérisseurs, tandis que d’autres savent « appeler » les animaux. Orrec, lui, fils de Canoc, du lignage du terrible Caddard l’Aveugle, a hérité du pouvoir de destruction. De l’œil, de la main, du souffle et de la volonté, il peut « défaire » tout et n’importe quoi, y compris le vivant. Un pouvoir qui le terrifie tant qu’il a choisi, avec l’accord de son père, de ne pas faire usage de son don, en se mutilant lui-même, dans un sens : à l’instar de son ancêtre, il s’est aveuglé – mais « temporairement », à l’aide d’un bandeau sur les yeux. Car il est réputé pour avoir l’Œil sauvage, et peut-être bien l’Œil fort… 
Difficile, devant ces « sorciers » héritant d’un pouvoir bien précis et unique, de ne pas penser à certains mutants des comics américains, le personnage d’Orrec aux yeux bandés faisant même assurément penser au Cyclope des X-men…


Ce court roman nous rapporte ainsi, à la première personne, les souvenirs d’Orrec, de sa plus tendre enfance, quand son don était loin de s’être manifesté, à ce que l’on appellera son « émancipation », si ce n’est l’âge adulte. Schéma classique du roman initiatique, typique de la littérature jeunesse et d’une bonne part de la fantasy, et qu’Ursula K. Le Guin avait déjà su fort bien employer notamment dans Terremer. On suit donc le jeune Orrec dans ses jeux innocents avec son amie Gry, et dans sa vie de famille avec ses parents Canoc et Melle, la citadine enlevée il y a bien longtemps. Car les fermiers se font parfois pillards, et leur vie, déjà passablement rude, est faite de tensions régulières, débouchant parfois sur des guerres privées. Les chefs de clans, les « brantors », négocient ainsi des alliances et des mariages de raison, et leurs domaines sont autant de petits fiefs sans suzerain supérieur. Les Entre-Terres connaissent une forme d’anarchie continuelle, dont les habitants se satisfont la plupart du temps, mais qui peut avoir des conséquences cruelles.

Car Ursula K. Le Guin, à son habitude, se montre toujours aussi douée, dans ce roman destiné à la jeunesse autant que dans ses œuvres « adultes », pour inventer et décrire par le menu des sociétés complexes et crédibles, a fortiori en milieu rural. C’est ce qu’elle fait ici avec brio, détaillant sa création sans jamais assommer le lecteur d’informations par un trop grand didactisme. Au contraire, elle fait preuve d’une très grande subtilité dans la manière de distiller les renseignements, au détour d’une phrase ou d’une anecdote… ou d’un conte. Dons est en effet parsemé d’histoires dans l’histoire, qui sont autant de petits bijoux, plus savoureux les uns que les autres. Et c’est ainsi que l’on en apprend un peu plus sur la mythologie et l’histoire de cet univers décrit pour l’instant essentiellement en creux.

Mais Dons est à vrai dire presque un « roman sans histoire », dont la trame principale se montre finalement assez relâchée, encore que sa thématique initiatique soit tout à fait passionnante : se pose notamment la question du libre-arbitre, dans ce monde où tout semble déterminé par la naissance. Cela vaut pour Gry comme pour Orrec.

Mais Dons est également un roman de fantasy assez « réaliste » : on est très loin des canons épiques de la high fantasy, et il n’y a absolument rien d’héroïque là-dedans ; bien loin de peindre une fresque majestueuse, la « chronique » d’Ursula K. Le Guin s’entend dans un sens « micro-historique », comme une chronique du quotidien. S’il y a bel et bien de la magie, en outre, celle-ci se fait finalement assez discrète – et comme « naturelle ». Par ailleurs, l’on n’y verra pas la moindre bestiole bizarre, elfique ou écailleuse. Enfin, dieux et miracles n’ont pas davantage leur mot à dire. Rattacher ce roman à la fantasy, dès lors, relève peut-être presque du cas-limite…

Mais, pour Ursula K. Le Guin, ce sont autant d’atouts, qui expliquent la réussite du roman. Dons est en effet convaincant à tous points de vue, et bien représentatif de la meilleure littérature jeunesse. Il saura séduire autant les jeunes lecteurs à qui il est destiné en premier lieu que les lecteurs plus âgés. On y retrouve en effet tout ce qui a toujours fait le talent de l’auteur, son sens du détail, sa pertinence anthropologique, sa subtilité dans l’émotion, son talent pour la caractérisation des personnages… et une certaine atmosphère indéfinissable, à la fois bucolique et cruelle, qui sied à merveille au cadre du roman.

 

Ce premier tome de la Chronique des Rivages de l’Ouest est donc une réussite incontestable, bien digne du talent d’Ursula K. Le Guin. On le conseillera sans hésiter aux jeunes lecteurs désireux de découvrir l’auteur et/ou la meilleure fantasy, sans elfes ni dragons ; on le conseillera tout autant aux lecteurs plus âgés et admirateurs de la dame, qui ne seront pas déçus du voyage. Et on attendra avec une certaine impatience la « suite », Voix, annoncée pour l’automne 2010.

CITRIQ

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C
<br /> J'ai hésité longtemps devant celui-là mais je dois dire que la couverture (et le fait de n'avoir rien lu à son sujet) a eu raison de ma tentation. Je suis déjà plus tentée... Je pense que je vais<br /> attendre la parution du troisième tome pour lire cette série (je suis peu patiente)(et puis, je dois avouer que je commence à en avoir assez des séries, il n'y a quasiment plus que ça en ce moment,<br /> surtout en jeunesse).<br /> <br /> <br />
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