"El último lector", de David Toscana
TOSCANA (David), El último lector, [El último lector], traduit de l’espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo, Paris, Zulma, coll. Z/a, [2005, 2009] 2013, 187 p.
Note pour moi-même (je ferais bien de la méditer, celle-là…) : éviter de dire trop de bien des livres, même de ceux qu’on a vraiment adoré, parce que l’on risque ainsi de susciter la déception chez des lecteurs moins enthousiastes ; de la mesure en toutes choses, quoi. Parce que voilà : El último lector de David Toscana, on m’en avait dit beaucoup de bien (je ne dirais pas qui pour ne pas faire de publicité à l’excellent Jules Abdaloff, mais il n’était pas le seul, loin de là) ; aussi avais-je hâte de lire la chose, et j’ai profité de la ressortie de ce court roman dans la collection poche de Zulma pour enfin me lancer dans cette entreprise. Et au final, même si je ne prétendrai pas qu’il s’agit là d’un mauvais roman, certes non, pas plus que je ne dirai ne pas l’avoir aimé de bout en bout, le fait est que je suis déçu ; loin d’avoir comblé toutes mes attentes, il est vrai fort élevées, le petit livre de David Toscana m’a en définitive laissé comme un goût amer en bouche… Et je m’en veux un peu de le confesser, tant je respecte l’avis des amateurs ; serait-ce alors que je suis passé complètement à côté ? C’est possible, oui… c’est toujours possible. Mais je vous laisserai juges.
Adonc. Nous sommes au Mexique, dans le petit village d’Icamole accablé par la sécheresse. Les ouailles prient en vain à la chapelle Saint-Gabriel-Archange que Dieu veuille bien leur faire offrande de sa pluie, et subsistent en attendant grâce aux bidons d’eau que le vieux Melquisedec transporte du village voisin mais bien mieux loti de Villa de García. Et puis, par une journée nécessairement torride, le seul homme du village à avoir encore un peu d’eau dans son puits, Remigio, y découvre le cadavre d’une petite fille… Embarrassé par sa découverte – on le serait à moins –, Remigio s’en va demander conseil à son père, Lucio, le « bibliothécaire » du village. Enfin, ça, c’était avant… sa bibliothèque n’a plus d’existence légale, et personne ne vient jamais pour y lire des livres.
Mais Lucio passe néanmoins son temps dans les livres. Les mauvais, surtout, qu’il « censure » impitoyablement au moindre défaut, chaque fois qu’un auteur en quête de prix et de lecteurs trahit la vérité ou cède à la facilité des clichés. Ce qui est le cas d’une très grande majorité de livres… Mais il y en a quelques-uns que Lucio juge néanmoins dignes d’êtres lus, comme La Mort de Babette de Pierre Laffitte. Pour lui, d’ailleurs, ça ne saurait faire de doute : le petit cadavre du puits de Remigio ne peut être que Babette. C’est que Lucio vit par et pour les livres, et interprète tout à travers le prisme de ses lectures. Mais quand Remigio enterre Babette sous son avocatier aux si beaux fruits, ce n’est encore que le début d’une histoire faite de lectures imbriquées et doctement commentées, de la visite de la police à celle de la mère de Babette… qui se trouve être une lectrice, horreur glauque.
Vous l’aurez compris, David Toscana fait ici dans le méta-machin post-post-post-post-post-moderne : un livre sur les livres, où les auteurs, les éditeurs, les traducteurs, les correcteurs et surtout les lecteurs sont systématiquement interpellés. D’un style un brin déconcertant mais indéniablement charmeur, l’auteur traite avec astuce de son sujet, passant de la sordide « réalité » du sordide fait-divers à de plus hautes élucubrations livresques, enfin, pas toujours si hautes que ça, et El último lector fait à n’en pas douter preuve d’intelligence comme de goût dans son entreprise de déconstruction et reconstruction.
Mais c’est en fait, en ce qui me concerne tout du moins, une partie du problème… Pour reprendre les mots de la (très mauvaise) quatrième de couverture, le roman de David Toscana est « virtuose ». Oh que oui. Mais ce terme-là est à double tranchant : il a toujours laissé supposer pour moi une forme de vanité toute de m’as-tu-vu… Et c’est bien en définitive le sentiment désagréable que m’a laissé El último lector. C’est brillant, oui, mais au sens tape-à-l’œil et aveuglant. J’ai eu l’impression d’un auteur qui se regarde écrire et plus encore penser. Chose qui peut facilement devenir agaçante…
En fait, j’ai même fini par trouver le court roman de David Toscana aussi antipathique que son insupportable personnage principal, ce en quoi je suis peut-être tombé dans un méta-piège du méta-écrivain ; car Lucio est à vomir, et ce n’est certes pas là en temps normal quelque chose qui me dérange : les habitués de ce blog savent que j’ai toujours eu une certaine prédilection pour les personnages de salauds magnifiques, poussant éventuellement le cynisme jusqu’à la monstruosité, ou se contentant d’en exhiber avec arrogance la froideur. Lucio est un connard, mais c’est sans aucun doute un bon personnage. Le problème, c’est que sa « pensée » imprègne tellement le roman qu’il devient difficile de faire le distinguo d’avec celle de l’auteur, et qu’elle en vient à constituer le livre lui-même. Livre que j’ai donc trouvé finalement un tantinet agaçant, voire plus qu’un tantinet, dans sa bête vanité teintée d’arrogance et de mépris. Un piège, peut-être, oui… Mais ce manque d’empathie m’a bel et bien perturbé, et a quelque peu entaché le plaisir que j’ai ressenti à la lecture de cette lecture de lectures.
Ou plutôt : le plaisir que j’aurais dû ressentir en temps normal… En effet, au-delà de la gêne suscitée par toutes ces qualités si flamboyantes qu’elles ne peuvent s’empêcher de sauter à la gueule du lecteur qui n’en demandait pas tant, le pauvre, le fait est que, tout au long du court roman de David Toscana, j’ai été partagé entre admiration un peu vaine (donc) et un vague ennui… Peut-être parce que tout cela, avec toute son astuce et son intelligence fièrement exhibées, m’a vite donné une impression de posture, d’artifice. Certes, c’est là le cœur de la littérature, j’imagine, et donc du propos d’El último lector ; mais cette fois l’artifice n’a pas pris, et la pirouette finale inévitable m’a paru plus navrante qu’autre chose.
Je ne peux pas vous déconseiller franchement la lecture de ce roman. Je ne nie pas un seul instant ses évidentes (trop évidentes) qualités. Mais, sur moi, cela n’a donc pas pris… et croyez bien, ô zélés propagandistes comme lecteurs de passage, que j’en suis le premier déçu.
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