"Elliot du Néant", de David Calvo
CALVO (David), Elliot du Néant, [s.l.], La Volte, 2012, 312 p.
David Calvo déconcerte – c’est rien de le dire. On connaît le goût du bonhomme pour les marges et les interstices (on y reviendra), mais, et en partie justement pour cela, difficile de prédire ce qu’il va nous pondre pour la prochaine fois. Enfin, si : un œuf (en l’occurrence bourré de coquilles, c’est mal). Mais, que ce soit pour les initiés ou les béotiens – votre serviteur se situant plutôt dans la seconde catégorie –, il y a fort à parier que ce sera un Kinder Surprise.
On ne sait donc pas vraiment dans quoi on s’embarque en entamant la lecture d’Elliot du Néant, septième titre (et non pas roman, non, non) de l’auteur, publié cette fois chez La Volte. La couverture d’une étonnante – ou pas – sobriété ne nous aide à vrai dire pas vraiment pour déterminer le contenu. Alors, de quoi David Calvo nous parle-t-il dans Elliot du Néant ?
Eh bien, du Néant.
C’est-à-dire de Rien.
Ou peut-être que non, disons le Vide.
Voire le Non-Être.
Et là, le lecteur cuistre de brandir son Gorgias et quelques volumes de sagesses orientales en pensant y trouver la clé.
Raté.
« Et si le Néant était quelque chose plutôt que rien ? » La vérité est ailleurs. Dans les marges, les interstices. Comme par exemple dans l’espace qui sépare deux cases d’une bande-dessinée, ou, mieux encore, en continuant dans le même registre, de la ligne claire qui distingue Tintin du décor dans lequel il évolue. Et comme dans Tintin, à chaque page sa surprise. Il faut dire qu’avec un sujet pareil, David Calvo peut nous parler de tout ou de n’importe quoi. Voire de tout et de n’importe quoi. Alors pourquoi pas un peu de folklore islandais mâtiné de proto-cyberespace ludique, avec des vrais morceaux de féerie dedans ? Et, en majesté, Mallarmé qui fait dans l’-yx.
Nous sommes donc en Islande, et plus précisément à Hafnadjordur – franchement, on devrait les exterminer rien que pour avoir des noms aussi compliqués –, en 1986. Elliot, le vieux concierge de l’école, pas qu’un peu autiste, a disparu façon « chambre jaune ». La direction fait appel à Bracken, qui a la double malchance d’être professeur de dessin et français, pour retrouver la trace du vieux bonhomme, à la veille de la grande kermesse annuelle.
Et David Calvo de nous emmener ainsi, à force d’étranges dialogues pour le moins abscons sur la nature du Néant, et d’autant plus étonnants qu’ils paraissent tout à fait sensés et « normaux », dans une fente entre les mondes. L’intrigue se déroule dès lors sur deux plans : le nôtre, et celui du Néant, dont Elliot pourrait bien être le maître. D’un côté, une bande de profs qui en ont gros, mais alors très gros sur la patate ; de l’autre, un sympathique morse et plein de macareux.
On pense alors beaucoup, dans cette féerie absurde et grotesque, à l’univers d’un James Matthew Barrie ou plus encore d’un Lewis Carroll. « Alice », bien sûr, jusque dans la dimension ludique du Néant, mais peut-être plus encore Sylvie et Bruno, du fait de ces passages incessants, dont on ne sait trop s’ils sont brutaux ou du genre à se fondre discrètement, entre notre réalité, où l’on philosophe volontiers, et celle de la féerie, tellement plus enthousiasmante. Le grotesque fait des ravages dans les deux décors, et pour le mieux.
Armé de sa plume irréprochable, campant des personnages solides et sympathiques – et je ne vous parle même pas des tortues –, David Calvo nous livre ainsi avec Elliot du Néant un étonnant petit bouquin, dont on ne sait trop s’il est d’une simplicité enfantine ou d’une complexité, euh, « post-moderne », disons ; quoi qu’il en soit, il parvient aisément à son but, et se révèle tout à fait enthousiasmant de la première à la dernière page. Intelligent et joueur, jubilatoire et beau, Elliot du Néant séduit et convainc sans souci. Le Calvo nouveau est donc un bon cru, que l’on recommandera sans hésiter à ses admirateurs comme à ceux qui souhaiteraient découvrir son univers si particulier.
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