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"Faillir être flingué", de Céline Minard

Publié le par Nébal

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MINARD (Céline), Faillir être flingué, Paris, Rivages, 2013, 325 p.

 

J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de Céline Minard pour son fort réjouissant Bastard Battle. Je vous en cause à nouveau aujourd’hui, non seulement parce que cette précédente lecture avait un fort goût de reviens-y, mais aussi parce que – le hasard fait bien les choses – son dernier roman, ce Faillir être flingué au titre d’autant plus délicieux qu’il se montre faussement bancal, est un western – ou du moins qu’il en utilise les codes. Joli couronnement de mon cycle estival, donc (cela dit, je suis loin d’en avoir fini avec le genre, et y reviendrai régulièrement).

 

Faillir être flingué, à la manière de Deadwood, Warlock ou encore Lonesome Dove, fait intervenir toute une kyrielle de personnages hauts en couleur – et, à l’instar des deux premiers titres, il tourne pas mal autour de ce thème à mon sens essentiel du western qu’est la fondation (ou du moins le développement) d’une ville ; c’est d’ailleurs, trouvé-je, quand les personnages se rejoignent dans la ville que le roman prend véritablement toute son ampleur, en un beau crescendo s’achevant sur une fin (?) absolument superbe (mais j’en connais qui ont eu un ressenti tout différent, accrochant dès les premières pages, plus dispersées).

 

On trouve ainsi une chamane indienne sans tribu (personnage clef du roman, aux interventions décisives), un médecin porteur d’un lourd secret, deux frères, deux colons, qui accompagnent leur mère qui n’en finit pas de mourir, des personnages un peu louches qui se tournent autour pour un cheval ou une paire de bottes (le très charismatique Zébulon aux lourdes sacoches, Elie et ses problèmes qui tournent pas mal autour d’un archet de contrebasse – on retrouve la contrebassiste plus loin dans le roman –, le cow-boy revanchard Bird Boisverd)… Autant de figures qui jouent des clichés du genre, remaniés à la sauce Minard pour notre plus grand plaisir.

 

Et tous ces personnages se retrouvent donc dans une ville naissante, symbole frappant de cette Frontière qu’on ne cesse de repousser. Ils en croisent alors d’autres tout aussi bien campés, comme la maquerelle Sally, le barbier Silas, ou encore – donc – la contrebassiste Arcadia. C’est ainsi toute une société qui se développe sous les yeux du lecteur – une société de types sans doute un peu fêlés, mais éminemment sympathiques.

 

Et voilà sans doute un point très caractéristique du roman : la sympathie que l’on éprouve pour tous ces personnages, avec leurs tares, mais surtout leurs envies, leurs défis, leurs passions. On est assez loin, ici, de la noirceur d’un Warlock, à titre d’exemple. Le roman se montre plus lumineux, presque optimiste – marqué en tout cas par un certain enthousiasme contagieux, qui ne relève qu’en partie du genre, mais bien plus, finalement, d’un détournement de ses codes. Image d’un monde neuf, aussi – éphémère, sans doute, mais neuf néanmoins.

 

La violence propre au western est par ailleurs toujours là, mais traitée d’une manière astucieuse – souvent sous-jacente, elle éclate parfois en menaces l’arme au poing, mais ça ne va pas vraiment plus loin : longtemps, dans le roman, on flingue presque (donc), mais on ne tire finalement pas (ou alors pour rigoler…). Il y a néanmoins une tension omniprésente, remarquablement bien utilisée. Et, bon, bien sûr, ça finit par péter… Mais voyez le titre, encore une fois.

 

Autre élément toujours sous-jacent, relevant à certains égards de la menace, mais finalement plutôt d’un inconnu aussi inquiétant que fascinant : la présence des Indiens. Le rôle fondamental de la chamane sans peuple a déjà été évoqué, mais on croise aussi dans le roman quelques tribus, qui se font la guerre, mais aussi commercent avec les colons. Acteurs bien malgré eux du dernier acte d’une pièce – une tragédie, sans doute –, les Indiens sont ici très astucieusement campés, sur un pied d’égalité avec les colons, et sans que jamais l’auteur ne verse dans les clichés propres (ou sales) au genre (ce qui rappelle, bien évidemment, Contrée indienne de Dorothy M. Johnson, superbe recueil dont je ne cesserai de vous dire le plus grand bien, et que Céline Minard, semble-t-il, citait parmi ses références).

 

Western – ou pas tout à fait – « optimiste », relevant presque par moments de l’utopie (impression renforcée par le flou du cadre), Faillir être flingué est un très beau roman, riche en authentiques moments de grâce. Les personnages sont admirables, et la plume de l’auteur tout autant. Le propos, enfin, est indéniablement des plus séduisant. Céline Minard, avec ce nouveau roman, montre une fois de plus tout son talent pour subvertir les codes et les genres, et livrer en fin de compte, non pas une mécanique sans âme, mais bel et bien ce que l’on est en droit d’attendre d’un écrivain aussi doué : un beau morceau de littérature, qui se joue des frontières, et qui, jusque dans son usage des clichés les plus éculés, sait se montrer d’une originalité, d’une singularité même, tout à fait remarquable ; celle qui, au-delà des étiquettes, fait les grands romans.

 

EDIT : La vidéo de la rencontre à la Librairie Charybde où votre serviteur a causé de divers westerns se trouve ici.

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