"Filth Pig", de Ministry
MINISTRY, Filth Pig.
Tracklist :
01 – Reload
02 – Filth Pig
03 – Lava
04 – Crumbs
05 – Useless
06 – Dead Guy
07 – Game Show
08 – The Fall
09 – Lay Lady Lay
10 – Brick Windows
Poursuite de ma mini-rétrospective Ministry avec l’injustement décrié Filth Pig. Très décrié, même : après le succès considérable de l’excellent Psalm 69, on a dit pis que pendre de ce nouvel album, en son temps…
Mais il faut remettre les choses dans leur contexte. À l’époque, Ministry est donc devenu un groupe célèbre et vendeur, dans la foulée du succès inattendu de « Jesus Built My Hotrod », et par voie de conséquence de Psalm 69. Or c’est là un statut dont Jourgensen et Barker, très clairement, ne veulent pas ; ils ne l’ont jamais espéré, et ça leur est tombé d’un seul coup sur le coin de la gueule, sans prévenir. Il semblerait qu’ils le vivent assez mal, et notamment Jourgensen dont, parallèlement, les cures de désintoxication à l’héroïne (c’était déjà le sujet de « Just One Fix ») auraient été assez violentes : il aurait traversé clairement une mauvaise passe, qui n’aurait pas toujours facilité des relations de plus en plus tendues avec Barker. Et on a l’impression que les deux hommes, dans cette ambiance quelque peu malsaine, ont totalement mis de côté l’humour – qui était jusqu’alors presque toujours une donnée fondamentale de Ministry – et se sont livrés à un pur et simple acte de sabotage musical, en livrant un anti-Psalm 69 : un album difficile d’accès, au son sale et rude, très noir, très glauque, très lent, très lourd, très répétitif.
Et c’est bien à cela que ressemble Filth Pig, à mille lieues de Psalm 69. Une sacrée prise de risque, pour le coup… mais qui n’est guère récompensée, ni par le public qui se fait boudeur (sans surprise), ni par la critique, qui descend en flèche le Ministry nouveau.
Je crois me souvenir notamment d’un papier imbécile et affligeant, dans Les Inrockuptibles si je ne m’abuse, écrit par un bouffon borné au possible, et qui figure parmi les pires articles que j'ai pu lire, si c’est bien le cas, dans cet hebdo pourtant riche en aberrations critiques pédantes, hypocrites et insupportablement bobo... Enfin bref, que ce soit dans Les Inrocks ou non – peu importe, au fond –, l’article disait en substance ceci : que Ministry était un groupe réactionnaire (!) qui méprisait l’usage des machines dans la musique (!!!) ; il ajoutait, d’un air hautain, que les compositions puaient la sueur et la bière (…), et que le son était digne d’un bâclage je m’en-foutiste bricolé dans un garage (quand, à mon sens, Ministry – Hypo Luxa et Hermes Pan, of course – n’a jamais eu un aussi bon son que sur cet album extrêmement lourd et gras, si ce n’est sur quelques pistes du suivant, Dark Side Of The Spoon, mais j’y reviendrai). Faut-il être con pour écrire des trucs pareils ! Bon, vous me direz, là, le type ne savait visiblement pas de quoi il parlait. Mais, chez les critiques plus compétents, le bilan n’était guère plus positif : on s’avouait déçu ; on attendait un Psalm 69 n° 2, et on n’était pas satisfait par ce Filth Pig…
Avec le recul, les choses se sont un peu arrangées, et le public comme la critique admettent aujourd’hui volontiers qu’il y avait de fort bonnes choses dans cet album. Pour ma part, je n’en ai jamais douté. Mais attendez un peu avant de vous moquer : non, je ne prétends pas avoir immédiatement adhéré à Filth Pig, et je prétends encore moins avoir crié au génie seul contre tous ; au contraire, et j’insiste sur ce point, j’ai toujours soutenu et je soutiens encore que c’est un album qui se mérite, d’une part, et, d’autre part, qu’il est foncièrement inégal, contenant de très bons morceaux, certains parmi les meilleurs de Ministry (si, si)… mais aussi quelques titres franchement anecdotiques, voire une ou deux purges (oui, j’ose le terme). Mais la seule chose clairement positive pour moi dès le départ, et ça, ça ne faisait aucun doute, c’était la qualité exceptionnelle à mes oreilles de la production ; je n’y reviens pas, j’en ai déjà assez parlé.
Mais détaillons plutôt la bête. On attaque les choses tout en finesse avec le furibard et déjanté « Reload » (et là je regrette très franchement de ne pas avoir trouvé le clip ; car, oui, il y a bien eu un clip, très rigolo d'ailleurs, contrairement à ce que je disais plus haut, pour ce truc : c’est dire…). Un morceau qui donne le ton : son lourd et gras au possible, rythmique plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, basse énorme et grosses guitares en avant, machines plus discrètes que d’habitude (mais présentes néanmoins, espèce d’abruti !) ; tel sera le son de Filth Pig. Jubilatoire.
Ben tiens, justement, « Filth Pig » : un morceau dans la droite lignée du « Scarecrow » de Psalm 69, mais en pire ; lent, long, lourd, très très noir, avec une basse énorme, quasi dub, et une guitare à l’avenant. Et, bien sûr, un fameux solo d’harmonica sous hélium… Un morceau qui n’en finit jamais, accessoirement, et c’est tellement bon…
Suit le monstrueux, le cauchemardesque, le terrible, le grandiose « Lava », répétitif comme c’est pas permis, là encore porté par la basse ronde et grave de Barker. Une tuerie, et plus encore en live que sur l’album, où c’est déjà très efficace. Parmi mes morceaux fétiches de Ministry.
Étrangement, ce n’est par contre pas le cas de « Crumbs », alors que j’ai cru remarquer que ce morceau plus complexe qu’il n’y paraît était souvent plébiscité par les amateurs de Filth Pig, et était devenu un classique du groupe en live. Mais moi, bof, je n’ai jamais vraiment accroché… Même si j’aime bien le break à la basse. En ce qui me concerne, néanmoins, c’est ici que commence un petit passage à vide de l’album (très relatif, hein : disons qu’il s’agit de morceaux moyens…).
Ainsi, on continue dans les morceaux corrects, mais sans plus, avec le moyen « Useless ». Chouette riff de basse, et rythmique sympathique, mais tout cela manque quand même un peu de… quelque chose. Je ne sais pas quoi, au juste. J’allais écrire « de génie », mais vous auriez bon dos de me dire : « Whoa, Nébal, t’y vas pas un peu fort, niveau exigence ? » Ce à quoi je répondrais : « Non, puisque nous parlons de Ministry. » Mais bon, ça s’écoute, hein.
À la limite, même si on n’atteint pas encore des sommets de transcendance, je préfère un peu le suivant « Dead Guy », avec son chouette riff et sa chouette rythmique, là encore plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Rien d’exceptionnel, mais ça groove bien (la basse de Barker est décidément fondamentale dans cet album).
Mais le moins que l’on puisse dire est que l’on change radicalement de registre avec l’excellent « Game Show », à l’introduction interminable et à la rythmique tout simplement parfaite. Un morceau finalement très planant, avec un petit côté étrangement progressif, et qui figure parmi mes préférés de l’album, voire du groupe. Ici, Filth Pig redevient un grand album.
La suite est ma foi pas mal non plus, mais… surprenante. « The Fall » commence classiquement, avec une rythmique industrielle en avant (chose encore inédite sur Filth Pig il est vrai), sur laquelle vient se poser la basse saturée de Barker. Puis – surprise ! – mais… mais… il y a de la mélodie ! De la mélodie dans Ministry !?! On n’avait pas entendu ça depuis, ouf, au moins… Mais en fait, ça passe plutôt bien, là. Et, entre nous soit dit, en live, ça passe carrément très très bien…
Ceci étant, nous ne sommes pas au bout de nos surprises en la matière, puisque l’on enchaîne… sur une reprise de Bob Dylan (si), avec « Lay Lady Lay » ! … Bon, disons-le tout net : si le couplet est correct (grâce à la basse de Barker une fois de plus), le reste est insupportable. Cela dit, j’ai jamais pu blairer Dylan… Mais cette incursion de Ministry dans la pop versant variétoche guimauve n’est guère convaincante, et fait vraiment tâche dans un album autrement sans concession…
Et le dernier morceau, « Brick Windows », est également assez pop, bizarrement ; bon, cette fois, ça s’écoute sans provoquer d’urticaire… mais c’est quand même franchement pas terrible.
Au final, cinq très bons (voire excellents) morceaux, trois moyens, un très bof, et un carrément mauvais : on est quand même très loin de l’album lamentable que nous dépeignait la critique de l’époque, et que le public avait alors boudé… Non, Filth Pig est bien un bon, voire un très bon album de Ministry. Mais il n’est certes pas le plus facile d’accès, et force est de reconnaître qu’il est en outre assez inégal. Mais on peut saluer quelques jolies prises de risques de la part d’un groupe qui aurait pu se contenter de répéter ad nauseam une même formule pour engranger les biftons, et qui s’y est refusé. Moi, je trouve ça admirable.
Suite des opérations : Dark Side Of The Spoon.
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