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"Gueule de Truie", de Justine Niogret

Publié le par Nébal

Gueule-de-Truie.jpg

 

 

NIOGRET (Justine), Gueule de Truie, Rennes, Critic, 2013, 253 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 70 (pp. 86-87).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant quelque temps.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

Après avoir exposé sa conception d’une fantasy pas si fantaisiste que ça avec l’ultra-primé Chien du heaume et sa suite Mordre le bouclier, Justine Niogret s’attaque aujourd’hui au genre post-apocalyptique avec Gueule de Truie (très animalier, tout ça). Un genre à nouveau très codifié, qui a ses classiques ; mais, à en croire le communiqué de presse, ce roman fait preuve d’une ambition indéniable : on n’hésite pas à le comparer à l’excellent Plop de Rafael Pinedo, et la quatrième de couverture en rajoute encore une couche en prétendant qu’il s’agit d’un récit « aussi inoubliable que La Route de Cormac McCarthy »… Diantre ! C’est que ça doit être bien, alors.

 

Mais ne nous emballons pas trop vite.

 

Donc : l’apocalypse a eu lieu. Le Flache (le roman fait régulièrement usage de termes trafiqués, mais rassurez-vous, on est très loin du superbe Énig Marcheur de Russell Hoban). Comme de bien entendu, ce monde d’après la fin est cauchemardesque. Les Pères, incarnations fascistoïdes d’une Église dévoyée, pour qui la destruction est l’œuvre de Dieu, considèrent que cette œuvre doit être menée à son terme, pour que le Jugement Dernier puisse enfin avoir lieu. Aussi les Pères dressent-ils des Cavales, des tueurs impitoyables, pour exterminer les Gens qui restent. Une Cavale ne pense pas, elle n’est que la main de Dieu : elle se contente de tuer, ou d’amener aux Pères certains éléments pour les livrer à la Question.

 

Gueule de Truie n’a pas toujours porté ce nom étrange. À l’origine, c’était un petit garçon comme les autres… Ce sont les Pères qui l’ont baptisé ainsi, en lui imposant d’arborer un masque sinistre. Vingt ans plus tard, Gueule de Truie est une Cavale particulièrement efficace. Une ordure de première, une machine à tuer dénuée de sentiments, haine et dégoût mis à part. Et il fait sacrément bien son ignoble boulot, traquant les Gens – la viande – avec une habileté sans pareille, et tuant de ses mains nues des dizaines de victimes plus ou moins dégénérées.

 

Mais nous croisons aussi dans ce roman une fille – la fille –, qui voyage en solitaire avec pour seule possession ou presque une petite boîte dont elle ne se sépare jamais. Qu’y a-t-il dans cette boîte ? Vous aimeriez bien le savoir, hein ?

 

Bien évidemment, les routes de Gueule de Truie et de la fille vont se croiser. Et cette rencontre va bouleverser leurs destins. Ces deux individus que tout oppose vont en effet être amenés à voyager ensemble, et va s’instaurer entre eux une relation ambiguë mêlant amour et haine, riche en sanglots et en douleurs physiques comme morales.

 

C’est la joie.

 

Si elle abandonne ici son esthétique médiévalisante, la plume de Justine Niogret continue de faire des merveilles. Le ton est sec, cruel, désespéré. Le roman, d’une noirceur étouffante, ne laissant aucune échappatoire (à moins que l’amour ? mais il a tendance à faire « boum »…). La forme, sous ces deux aspects, est pour beaucoup dans la réussite de Gueule de Truie, malgré une tendance à faire un peu trop dans le cryptique de temps à autre.

 

Ce qui nous amène au fond. Et là, le bilan est un peu plus mitigé. Rien que de très classique ici en somme. Justine Niogret joue avec les codes du récit post-apocalyptique, et le fait très bien. Mais elle n’apporte pas forcément grand-chose de neuf. Et si ses personnages sont bien campés (Gueule de Truie en premier lieu), si l’on ne s’ennuie pas à les suivre dans leurs pérégrinations, troubles et disputes, le fait est que le propos reste obscur. Certes, il y a la religion, les tabous, l’égoïsme, et, par-dessus tout, l’amour, avec son cortège de maux, son caractère aberrant, improbable, absurde, la violence qui le sous-tend. Ce n’est pas inintéressant, mais ça ne fait pas beaucoup avancer le schmilblick.

 

Qu’on ne s’y méprenne pas : Gueule de Truie est un bon roman. Il est bien écrit, ne manque pas d’ambition, et vaut bien qu’on s’y attarde. Seulement, dans un genre aussi codifié et aussi prolifique, il appelle tout naturellement la comparaison. Or le Niogret nouveau fait tout de même figure de parent pauvre ; un rejeton doué, mais qui arrive un peu tard. Et si sa violence et sa cruauté peuvent effectivement le rapprocher de Plop, si le périple de la Cavale et de la fille ne manque pas de moments émouvants pouvant (de très loin…) évoquer La Route (la thématique religieuse pouvant également y participer – mais à ce stade on aurait plutôt envie de citer Un cantique pour Leibowitz, aux antipodes), Gueule de Truie n’en est pas moins quelque peu anodin face à ces grands titres du genre – ne poussons pas mémé dans les orties radioactives…

 

 C’est néanmoins un roman efficace, qui cogne dur, que l’on sent passer, et c’est déjà très bien. Mais qui a de quoi laisser un brin perplexe, aussi, et ne convainc pas totalement. Entre l’exercice de style et la thématique très personnelle, Gueule de Truie balance avec plus ou moins de brio. Une lecture appréciable, qui ravira les amateurs du genre, mais ne révolutionne rien et a du mal à sortir du lot. En même temps, était-ce vraiment le but ? On ne devrait pas lire les communiqués de presse et les quatrièmes de couverture…

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