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"Guide du Mythe de Cthulhu", de Patrice Allart

Publié le par Nébal

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ALLART (Patrice), Guide du Mythe de Cthulhu, préface de Joseph Altairac, Amiens – Paris, Encrage – Les Belles Lettres, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1999, 158 p.

 

Ça doit être vrai, que les meilleures choses ont une fin : nous voici donc arrivés au dernier des six « Cahiers d’études lovecraftiennes », confié cette fois à Patrice Allart, qui s’intéresse, au-delà de Lovecraft seul, à sa postérité (littéraire pour l’essentiel). On l’a en effet souvent noté, et il est à vrai dire difficile d’échapper à ce phénomène : quelles que soient les limitations que l’on pourrait être tenté de donner au prétendu « Mythe de Cthulhu », le fait est que l’œuvre lovecraftienne a suscité un enthousiasme tel, d’abord parmi certains écrivains de l’entourage (éventuellement purement épistolaire) du Maître, puis chez des héritiers plus ou moins légitimes, que les aspects les plus flagrants (même si pas nécessairement les plus profonds, donc) (aha) de sa création l’ont largement dépassé. Aussi, il est bien rare que l’on se contente de « lire Lovecraft » : à sa suite, on est amené à côtoyer un certain nombre d’épigones, plus ou moins talentueux (rarement autant que le gentleman de Providence, certes…), qui ont à leur tour donné dans le « Mythe de Cthulhu », au moins en surface, et ont ainsi participé d’un mouvement collectif de création littéraire sans commune mesure à notre époque – même si l’on peut être tenté, à plus ou moins bon droit, d’évoquer certaines œuvres anciennes pour ne pas dire antiques qui ont de même fait appel à plusieurs auteurs, pas forcément identifiables ; ce qui nous renvoie à l’essence même de la mythologie.

 

J’ai pour ma part découvert Lovecraft et ses suiveurs à peu près en même temps, et il m’a longtemps été difficile de faire la part des choses, ainsi. Ado, j’ai lu en parallèle les quatre volumes chez « Présence du futur » (l’essentiel du Lovecraft « pur ») et les deux coffrets publiés chez Presses Pocket qui avaient tendance à mettre indûment le nom de Lovecraft en avant, quand il n’était pas forcément présent au sommaire : on trouvait ainsi, sous le nom de « Papiers du Lovecraft Club », les prétendues « collaborations posthumes » d’August Derleth (et mettre le nom de Lovecraft sur ces couvertures était pour le moins gonflé… tous les éditeurs qui les ont publiées n’ont pas nécessairement commis cette imposture), et, parallèlement, sous le titre « Abominable Cthulhu » si je ne m’abuse, les « révisions » de Lovecraft et des anthologies de nouvelles lovecraftiennes, dont surtout les « Légendes du Mythe de Cthulhu » compilées par August Derleth (toujours lui), et, là encore, si le contenu pouvait être plus ou moins lovecraftien, rares étaient les textes attribuables effectivement à notre faux reclus préféré. Cela fait une éternité que je n’ai pas lu ces textes – et sans doute aurais-je bien du mal aujourd’hui pour la plupart (en tout cas pour les « collaborations posthumes »… je reste curieux pour ce qui est des anthologies, que je relirai peut-être un de ces jours, qui sait ?). Mais ils ont bel et bien constitué pour moi une porte d’entrée à l’œuvre lovecraftienne, œuvre qui a bien vite dépassé son créateur.

 

Certes – et l’on rejoint ici le débat sur l’existence du « Mythe de Cthulhu » –, bon nombre de ces lovecrafteries-là ne sont lovecraftiennes qu’en surface, reprenant des procédés d’HPL sans en retenir la philosophie sous-jacente (sans même la comprendre, parfois – souvent…). Le « Mythe de Cthulhu », ici, ne consiste pas tant en une horreur cosmique matérialiste et désabusée soulignant la vacuité de l’existence humaine, qu’en une énumération (parfois caricaturale tellement elle est excessive) de « dieux », de lieux et de livres, litanie empruntée au Maître puis à ses épigones également, constituant un vaste corpus de références où chacun a voulu, à tort (surtout) ou à raison, apporter sa pierre à l’édifice – souvent, donc, dans la vision derlethienne du Mythe, finalement anti-lovecraftienne au possible.

 

Ce sont toutes ces œuvres (de plus ou moins bon goût) que Patrice Allart étudie dans ce court volume. L’entreprise est audacieuse (il a dû en lire, des drouilles…), instructive à n’en pas douter (il y a là-dedans de quoi se constituer une forte bibliothèque de lovecrafteries, et les curieux – pervers, comme de juste – ne manqueront pas de noter certaines références pour une lecture ultérieure), mais nécessairement condamnée à une rapide obsolescence (dont témoigne déjà une des annexes) ; car le Mythe est bien vivant, au moins dans cette acception d’apparence, et les récits lovecraftiens au moins par la forme, mais aussi exceptionnellement par le fond, continuent de pulluler aujourd’hui, phénomène qui a même probablement tendance à s’accélérer depuis que Derleth n’est plus là pour « canoniser » les textes, le Mythe constituant une sorte de patrimoine collectif, un domaine public auquel sacrifient volontiers des cohortes d’écrivains et d’écrivaillons plus ou moins doués (suivez mon regard… non, cherchez pas, faudrait regarder partout en même temps, en fait) ; on aurait même l’impression que l’horreur lovecraftienne est un passage quasi obligé pour les « auteurs » qui s’intéressent au genre – jusqu’à constituer un sous-genre en elle-même.

 

Patrice Allart se livre donc ici pour l’essentiel à une indexation des contributions au Mythe, ce qui donne à ce volume de vagues airs de catalogue. Les principales œuvres du Mythe sont ainsi présentées, de Lovecraft lui-même aux plus modernes de ses suiveurs (à la veille du XXIe siècle ; il y en a eu des centaines d’autres depuis…) ; présentées (et résumées), mais pas vraiment critiquées, ce qui constitue à mon sens la principale faiblesse de ce volume autrement fort intéressant : tout est ainsi peu ou prou mis sur le même plan, et c’est parfois très regrettable (Brian Lumley et son indicible « cycle de Titus Crow » se voient même décerner des lauriers !) ; on regrettera de même qu’il n’y ait pas ici de véritable interrogation sur la notion même de « Mythe de Cthulhu », l’auteur s’en tenant trop souvent (mais pas toujours, heureusement) à une approche très large, mais façon « sens commun » ou pure « intuition ». Mais bon : on ne va pas réécrire le livre, hein… ce qui serait aujourd’hui un travail encore plus titanesque qu’à l’époque.

 

Patrice Allart parle donc ici tout d’abord des œuvres de Lovecraft (tout de même) ; on passe ensuite à celles des deux autres auteurs de la « trilogie Weird Tales », Robert E. Howard et Clark Ashton Smith ; puis il y a – nécessairement – August Derleth, pour ses « collaborations posthumes » et ses anthologies. Les « Légendes du Mythe de Cthulhu » définissent ainsi une première génération d’épigones ; mais il y en a d’autres, à commencer par celle de Ramsey Campbell, Brian Lumley donc, etc. L’héritage du Maître dans la « terreur moderne » (Stephen King, Dean Koontz, Graham Masterton, etc.) est également évoqué, dans le chapitre le plus ouvert (et le plus intéressant ?) de ce livre. Le fandom, également (Crypt of Cthulhu, surtout) ; et le développement du Mythe en France.

 

Restent encore des annexes sur les illustrations et bandes dessinées (mais l’auteur y a consacré un court volume sur lequel je reviendrai un de ces jours, de même qu’à son étude comparative de Lovecraft et Jean Ray, sujet qui lui tient visiblement à cœur) et sur le cinéma, avant de compléter le panorama par ce qui constituait alors les plus récentes publications de fictions lovecraftiennes – les volumes édités par Chaosium et repris en France par Oriflam « Nocturnes », souvent dirigés par Robert M. Price (je regrette d’ailleurs que le jeu de rôle n’ait pas été étudié ici…).

 

L’ouvrage n’est pas sans défauts (outre qu’il est parfois un brin approximatif – voyez par exemple la mauvaise attribution, récurrente, du Culte des goules du comte d’Erlette), et sa lecture a quelque chose d’un brin monotone (forcément), mais elle n’en est pas moins intéressante. Elle permet de prendre conscience de la portée du « Mythe de Cthulhu », déjà considérable à l’époque. Et on ne manquera pas de noter telle ou telle référence pour une lecture ultérieure. Même en craignant le pire… mais que voulez-vous, on est un petit fan ou on ne l’est pas ; pour ma part, je le suis, et, comme je l’ai laissé entendre plus haut, même si aujourd’hui je fais bien la différence entre les textes de Lovecraft et d’après Lovecraft, je reste curieux de ces derniers, comme s’il y avait malgré tout un bloc faisant sens en lui-même…

 

Tout à fait appréciable, donc, quand bien même largement obsolète.

CITRIQ

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