"I-Land", de RadioMentale
RADIOMENTALE, I-Land (F4TMusic, 2012)
Tracklist :
01 – Smooth Operator
02 – Sinking
03 – Gotlander
Si RadioMentale, le groupe des architectes du son Jean-Yves Leloup et Éric Pajot, existe depuis 1992 et s’est fait connaître dans de nombreuses performances d’illustration sonore pour la radio, le cinéma, des installations d’art contemporain, etc., on a pu semble-t-il considérer que I-Land est son premier « véritable » album (Discogs indique des références antérieures, mais bon…). Il rassemble trois longues pistes (une vingtaine de minutes chacune), créées entre 2010 et 2012, entre ambient (plus ou moins dark), musique concrète et field recording ; une belle occasion de découvrir ce projet remarquable, d’une exquise finesse musicale.
Les auteurs, dans le digipack d’I-Land, présentent chaque piste, ce qui me mâche un peu le boulot… Procédons donc dans l’ordre, et entamons le périple onirique avec « Smooth Operator » (2011). À l’origine, il s’agissait d’un travail de design sonore pour le film de Jean-Baptiste Léonetti Carré Blanc, s’inscrivant semble-t-il dans la science-fiction dystopique (parmi les références, le duo cite notamment THX 1138, l’occasion de rappeler que, question design sonore, ce premier film de George Lucas se pose un peu là, grâce à Lalo Schifrin et – surtout – Walter Murch). Dans ce film, le son jouait un rôle prépondérant, puisque l’ambient des espaces collectifs y était destiné à « annihiler la conscience » des habitants. Joli paradoxe… Du coup, « la pièce sonore évoque ainsi de manière abstraite, la figure d’un étrange opérateur qui, depuis sa salle de contrôle, crée une suite de paysages sonores destinés à manipuler les esprits ». Le résultat est des plus convaincants, et ce long morceau, pour être abstrait, n’en est pas moins brillamment évocateur. Une œuvre d’architecture auditive, effectivement, où les sons divers et variés (bruits de lecteurs – cassettes, bobines ? –, parasites, crépitements de disques en fin de parcours, oiseaux, vent, eau…) créent une atmosphère déstabilisante, assez planante et en même temps un brin inquiétante, voire franchement crispante quand le volume augmente… Du très beau boulot.
« Sinking », la plus récente des trois compositions d’I-Land (enregistrée live en 2012 sur France Musique pour l’événement Ars Acustica), est aussi ma préférée. Cette œuvre censément typique des productions de RadioMentale depuis les origines (je ne demande qu’à le croire) repose pour l’essentiel sur l’utilisation de voix (généralement graves) superbement travaillées, poèmes et monologues – à l’ambiance hypnotique, pour ne pas dire clinique (qui m’a justement rappelé, j’y reviens encore, THX 1138…) – sur fond de basses vrombissantes, avant qu’un clavier aérien ne vienne tempérer l’atmosphère en fin de course. « Peaceful », nous dit-on ; mouais, faut voir… C’est probablement – à mes oreilles en tout cas – le morceau le plus franchement « dark ambient » de l’album (peut-être est-ce pour cela, du coup, que c’est aussi celui qui m’a le plus convaincu, on ne se refait pas…). Mais, dark ou pas, il est d’une beauté et d’une finesse remarquables, qui ne peuvent qu’emporter l’adhésion. Un vrai chef-d’œuvre, vous dis-je.
Quelques bruits d’eau, à nouveau – c’est là un thème majeur de l’album –, facilitent la transition avec la piste suivante. Reste enfin, en effet, « Gotlander », pièce signée du seul Éric Pajot ; encore un morceau d’illustration sonore pour un film, cette fois Are You There de Grégory Abou (2010). Voix et field recordings ont été enregistrés à Gotland, île suédoise où fut tourné ledit film (et également, pour l’anecdote, Le Sacrifice, dernière œuvre d’Andreï Tarkovski). Flux et reflux, bruits de pas sur une plage, tempête… Un morceau assez sombre, encore une fois (la conclusion est même franchement flippante, osant un peu de rythmique stressée), mais peut-être moins immédiatement parlant que les deux précédents ; ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, cependant : c’est à nouveau très bon.
« Immersion » est ainsi le maître-mot d’I-Land. On se noie avec délice dans les paysages sonores sculptés avec talent par les deux artistes. Un très bel album, que je vous recommande chaudement. Et j’espère que RadioMentale va désormais se montrer un peu plus prolifique en matière d’enregistrements…
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