"Indignez-vous !", de Stéphane Hessel
HESSEL (Stéphane), Indignez-vous !, édition revue et augmentée, postface de l’éditeur, Montpellier, Indigène, coll. Ceux qui marchent contre le vent, [2010] 2011, [édition numérique]
Sans doute n’est-il guère utile de revenir ici sur l’extraordinaire phénomène médiatique représenté par le « petit livre brun » (…) de Stéphane Hessel. L’éditeur y consacre une abondante postface, débordant d’autosatisfaction (ce qui est bien compréhensible, mais bon…), et qui contient quelques perles (j’avoue : quand j’ai lu « le Languedoc, Toulouse, leur atavisme cathare », j’ai pouffé). Il fut en effet difficile d’échapper à cet opuscule, qu’une curiosité sans doute un peu malsaine m’a poussé à acquérir, histoire de mourir (un peu) moins bête, et d’en savoir davantage, si tant est qu’il y ait vraiment un rapport, sur le mouvement des « Indignés », dont j’hésite encore à déterminer s’il a eu une réelle consistance ou bien une existance purement médiatique, à supposer que ce ne soit pas la même chose. N’empêche : avec ses millions d’exemplaires vendus, Indignez-vous ! est devenu incontournable pour saisir l’esprit du temps (à noter à ce propos le nom de la collection : « Ceux qui marchent contre le vent » – Omaha. Vraiment ?).
Commençons par préciser une chose qui ne saurait faire l’ombre d’un doute, c’est que la biographie de Stéphane Hessel impose le respect : ancien résistant, déporté, associé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme… Y a pas, ça représente. Mais, hélas – et autant le dire de suite –, ça n’empêche pas Indignez-vous !, bref ouvrage qui pue le « moi je » (dont je vais abuser à mon tour), d’être un ramassis sans intérêt de lieux communs et de simplifications et raccourcis historiques et philosophiques. D’une nunucherie rare et débordant de bons sentiments, la brochure témoigne, selon les mots mêmes de l’auteur, de son idéalisme à la Hegel, aboutissant au concept si absurde et détestable de « fin de l’histoire ». Vous me direz que cette conception de l’histoire en vaut bien une autre, et que la mienne, autrement pessimiste, n’a pas davantage valeur d’évangile. Certes. Mais ça n’a pas facilité les choses d’entrée de jeu.
Je ne vais pas revenir ici sur tout ce que contient ce (pourtant) très court texte, mais en retenir seulement quelques points qui me paraissent significatifs, et bien représentatifs des reproches généraux que je viens d’adresser à l’ouvrage.
Prenons par exemple l’insistance avec laquelle l’auteur évoque la prétendue « universalité » des droits de l’homme. On comprend, au regard de sa biographie, cette attitude ; mais là, en bon positiviste juridique, je m’inscris en faux. Ce qui ne m’empêche par ailleurs pas d’être moi-même un fâcheux « droits-de-l’hommiste », comme disent certains barbares hélas de plus en plus communs, un fâcheux « droits-de-l’hommiste » disais-je, qui a même failli (je dis bien : failli) adhérer à Amnesty International (c’est d’ailleurs la seule fois où j’ai failli – je dis bien : failli – adhérer à un mouvement quel qu’il soit). Seulement, si je revendique mon attachement aux droits de l’homme, c’est par un choix, conscient et qui n’engage que moi et qui, surtout, ne fait pas l’impasse sur cette donnée fondamentale : l’universalité des droits de l’homme n’est qu’un postulat qui, bien loin d’être universel, témoigne au contraire de l’ancrage de cette idéologie dans une histoire bien particulière, à savoir celle de l’Europe occidentale ; il a fallu passer par le jusnaturalisme, la Réforme, le libéralisme, la Révolution française, les guerres napoléoniennes, etc., pour en arriver là. Prétendre le contraire, c’est faire preuve d’un triste ethnocentrisme qui balaye sous le tapis toutes les complexités que cette question ne manque pas de soulever.
Et il en va de même pour la question qui m’intéresse tout particulièrement de la violence politique. Stéphane Hessel s’inscrit dans une tradition de non-violence à la Gandhi ou Martin Luther King (je lui souhaite de ne pas finir comme eux) et de désobéissance civile à la Thoreau. Tout cela est fort joli, et rejoint largement mes convictions personnelles. Pourtant, on ne saurait évacuer toutes les complexités soulevées par cette question comme le fait l’auteur… Prenons l’exemple du terrorisme : Stéphane Hessel, tout en le « comprenant » dans certains cas, le rejette en arguant de son « inefficacité ». Mais, outre que celle-ci est très contestable, ce n’est sans doute pas à moi de rappeler à Stéphane Hessel, qui fut résistant, que, pour les nazis comme pour Vichy, ses semblables étaient des terroristes. Et où, au juste, se situe la barrière ? Doit-on vraiment exclure toute forme de violence politique, et ainsi, par exemple, le tyrannicide ? Peut-on honnêtement parler d’inefficacité du terrorisme et d’efficacité de la non-violence ? Est-il seulement possible d’être non-violent face à la violence étatique ? Je ne prétends pas détenir les réponses à ces questions, et je m’en voudrais de donner l’impression de faire dans l’apologie de la terreur. Seulement, je constate que Stéphane Hessel, ici encore, se contente de postulats très critiquables et d’un simplisme un peu effrayant, lui aussi…
Plus concrètement, on pourrait évoquer le positionnement de l’auteur face à la question palestinienne. Une fois de plus, je suis largement d’accord avec lui. Pourtant, je suis loin d’être convaincu par les quelques pages que l’auteur consacre à cette question particulièrement épineuse, pages pleines de vide et d’indignation facile, mais dénuées d’argumentation comme de solutions… Quant à la question chinoise, on est confondu par la naïveté de l’auteur à ce sujet.
Voilà, c’est ça, Indignez-vous ! Une collection d’idées reçues et de bonnes intentions, sans véritable fond (cela dit, la forme ne vaut pas mieux). Un phénomène médiatique creux, dont la vacuité saute aux yeux. Un gloubi-boulga de gentillesse et de cette affreuse chose qu’est le « bon sens », dont on ne s’explique pas le succès… ou plutôt, qu’on préfèrerait ne pas pouvoir s’expliquer. Au risque de s’indigner et, n’en déplaise à l’auteur, de désespérer.
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