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Je hais Pierre Michon !!!

Publié le par Nébal

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Pierre Michon.

 

Je hais cet homme.

 

Je le hais, je le hais, je le hais.

 

Contexte. Je l’ai découvert sur le tard et – comme beaucoup de monde j’imagine – à l’occasion de l’attribution du Grand Prix du Roman de l’Académie française à sa dernière œuvre, Les Onze (2008). Or, ce prix, je lui accorde une certaine confiance depuis qu’un certain patron m’a recommandé Court Serpent de Bernard du Boucheron, qui l’avait également obtenu ; autre atout, c’était très bref (comme Court Serpent, d’ailleurs) ; enfin, le sujet m’intéressait,  tout simplement.

 

Les Onze n’est pas un livre (on vous a menti !), Les Onze est un célèbre tableau exposé au Louvre, que tout le monde connaît (c’en est après tout la plus fameuse pièce !), et qui est dû au pinceau virtuose de François-Élie Corentin, « le Tiepolo de la Terreur ». Les Onze, ce sont les membres du Comité de salut public de l’an II : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur (oui, y’en a deux, c’est normal), Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Mais si l’on connaît relativement bien la biographie du peintre, qui occupe en gros la première partie du « roman », on ne sait pas qui fut le commanditaire du tableau, ni dans quelles conditions et pourquoi il a été réalisé.

 

Ce que Pierre Michon nous propose dans Les Onze, c’est donc une superbe leçon d’histoire de la Révolution française à-la-Michelet, le Jules s’incrustant d’ailleurs dans le « roman », et d’histoire de l’art fantasmée, autour d’un tableau magnifique qui n’a jamais existé. Et une investigation passionnante sur les motifs cachés de l’art, a fortiori quand la politique s’en mêle… mais un grand art est-il véritablement concevable sans politique ? Tout cela n’est donc pas si léger qu’on voudrait bien nous le faire croire, et ce malgré la brièveté du « roman » (137 pages ; cette brièveté est caractéristique de Michon, qui n’aime d’ailleurs guère le terme de « roman »… mais visiblement encore moins celui de « nouvelle », alors bon, on fait comment ?).

 

Mais ce qui frappe avant tout, pourtant, dans Les Onze, c’est la plume de Michon, une plume extraordinaire, virevoltante, extrêmement travaillée, baroque et ludique. Son texte donne irrésistiblement envie d’être lu à voix haute, avec son goût prononcé pour la scansion et pour les phrases longues… à l’extrême limite de la compréhension, parfois. C’est un peu maniériste, diraient les mauvaises langues, et on pourrait les comprendre ; pour ma part – mais peut-être dis-je des bêtises –, cette stylisation aux bornes de l’outrance, mêlée assez souvent d’un profond sentiment du « sacré » et du « divin » (quand bien même l’auteur se décrit, dans les Vies minuscules, comme « un athée mal convaincu », et l’on trouve en contrepartie tout un champ lexical opposé, de la boue, du vide, etc.), m’ont plus d’une fois fait penser à Joris-Karl Huysmans, goût du mot rare en moins : dans ma bouche, c’est un compliment ; mais je comprendrais très bien que cela ne passe pas pour tout le monde…

 

En tout cas, pour moi, ça a HORRIBLEment bien marché, ça a IGNOBLEment fonctionné, à tel point que c’en est un SCANDALE, à tel point que c’en est ÉCŒURANT.

 

Et voilà pourquoi je hais Pierre Michon. Cet homme écrit beaucoup trop bien. Ce n’est pas humain, d’écrire aussi bien. Ce n’est pas très gentil pour ses petits camarades en littérature. Ni pour ses pauvres lecteurs qui, de temps en temps, se verraient bien pousser des ailes de plumitifs, et là, PAF ! se voient durement ramenés à la triste réalité, à leur dure condition de rampants, de vermisseaux insignifiants.

 

Et tout ça, c’est de votre faute, monsieur Michon. Je ne vous félicite pas, non, non. Je vous déteste !

 

Et je vous aime… Oh, oui.

 

Du coup, après Les Onze, j’ai voulu poursuivre l’expérience. Et comme le monsieur – l’infâme – a le bon goût d’écrire bref (après le néanmoins excellent pavé de Mulisch, ça me faisait des vacances…), je me suis retrouvé à en prendre trois d’un coup, qui ont intégré mon étagère de chevet… et l’ont quittée presque aussitôt, tant je ressentais le besoin de prendre ma dose de Michon.

 

J’ai commencé par le vraiment très court La Grande Beune (1996). L’histoire est quasi abstraite, réduite à sa plus simple expression : un instituteur s’installe dans un petit village au fin fond de la Dordogne, non loin de Lascaux ; c’est notre narrateur, il a la vingtaine, et les hormones en ébullition. Là, dans ce monde presque troglodyte, hanté par le souvenir des hommes des cavernes, il nous parle de femmes : un peu de sa petite amie (à peine), un peu plus de l’aubergiste Hélène, « mère emblématique » nous dit la quatrième de couverture, et surtout d’Yvonne, son fantasme, celle qu’il épie avec toute la passion maladive et quelque peu malsaine d’un Humbert Humbert échappé de Lolita… pour, il est vrai, une proie plus « légitime ». Mais c’est bien de « proie » qu’il s’agit dans ce pays de chasseurs ; sauf que notre instituteur ne chasse pas vraiment, mais se contente d’observer, et de rêver. Violemment. Furieusement.

 

Et c’est superbement écrit, bien entendu. Moins passionnant que Les Onze – le thème en est moins saisissant, à mes yeux en tout cas –, mais d’une beauté certainement comparable, La Grande Beune (77 pages en poche…) se dévore, et frustre un peu. On en veut encore, du Michon.

 

Du Michon ! Du Michon ! Du Michon ! C’est que la plume de cet homme – ce sinistre personnage – a un aspect terriblement addictif pour ses pauvres victimes…

 

Aussi, troisième assaut avec Rimbaud le fils (1991). Notre auteur semble décidément amateur de biographies, réelles ou fantasmées. Ici, il s’attaque à (cliché) « l’homme aux semelles de vent », le désacralise et le re-sacralise, pour notre plus grand plaisir, et en tout cas pour le mien.

 

(Aparté nébalien : je hais la pouésie ; j’exècre les pouètes ; tous, sauf Rimbaud. Parce que Rimbaud était jeune. Parce que Rimbaud a écrit Une saison en enfer. Parce que Rimbaud a cessé d’écrire.)

 

Michon sur Rimbaud, donc. Une histoire de père absent (motif michonien par excellence, ça revient tout le temps). Et une succession de saynètes en biais, le personnage n’étant jamais envisagé frontalement, mais toujours par un intermédiaire : sa mère, Izambard, Banville, Verlaine, etc. La mère exceptée, une belle collection de médiocres, d’ailleurs : Michon n’est pas un tendre… Le style est à la hauteur du sujet – faut le faire, tout de même – et les passages grandioses abondent ; pour ma part, j’en retiendrais surtout deux : la fameuse photographie de Rimbaud (un exercice auquel Michon s’était livré également dans Corps du roi, m’a-t-on dit, sur une photographie de Beckett, plus précisément), et, en guise de conclusion, Rimbaud composant « la Saison ». C’est de toute beauté.

 

Et comme je suis quelqu’un de foncièrement logique, j’ai fini par où tout a commencé, c’est-à-dire par Vies minuscules (1984), la première publication de l’auteur, et la plus longue (250 pages en poche ; oui, c’est très relatif…). Un texte assez difficile à qualifier, d’ailleurs : autobiographie ? auto-fiction ? roman ? nouvelles ? Il y a sans doute un peu de tout cela dans ces huit « vies » que nous rapporte l’auteur, qui tournent toutes autour de sa famille ou, de plus en plus, autour de lui, et se rappellent à sa mémoire au hasard d’une rencontre ou de la redécouverte d’un objet, ou en raison de la logique implacable du temps qui s’écoule. Un texte où Michon, une fois de plus, ne se montre guère tendre, mais surtout envers lui-même, cette fois. Et qui contient plus d’une merveille. Je relèverais pour ma part trois Vies minuscules particulièrement émouvantes : la « Vie d’Antoine Peluchet », l’ancêtre perdu, dont on ne sait trop s’il est aux Amériques, à Limoges ou au bagne, et dont on défend l’honneur avec ses poings s’il le faut ; la « Vie du père Foucault », au lent démarrage, mais au finale bouleversant ; et enfin la poignante « Vie de la petite morte » qui conclut l’ouvrage, texte cathartique sur la sœur aînée de l’auteur, morte à l’âge d’un an, et sur les enfants morts en général. D’une beauté à couper le souffle. Et, déjà, si l’on excepte les deux ou trois premières « vies » où le style reste encore relativement sobre mais néanmoins excellent, il y a cette patte michonienne immédiatement reconnaissable, qui fait ses grands textes brefs, ses sales petits chefs-d’œuvre de style, d’intelligence et d’émotion, ces petites merveilles de prose qui font à leur tour assurément de Pierre Michon l’un des plus grands écrivains français contemporains.

 

Et pour toutes ces excellentes raisons, je le hais.

 

 En plus, je vais devoir lire ses œuvres complètes ; si c’est pas scandaleux, ça…

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E
J'ai découvert Pierre Michon avec " Rimbaud le fils " il y a une semaine et, comme vous c'est un choc ; besoin de lire à haute voix ce que je ne fais. Poursuite avec " les onze " avec un même bonheur ", bonheur étant un mot plutôt fade au regard de ce que j'ai éprouvé .
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N
Oui, il faudrait que je poursuive la découverte de sa bibliographie, cela fait quelque temps...
B
Je découvre Pierre Michon le grand âge venu. Je ne pensais plus devoir éprouver un choc aussi violent et voluptueux à la lecture d’œuvres de "fiction"; mais, j'ai dû rendre les armes et accepter l'émerveillement.
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E
RAGEUX.... JALOUX
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M
Je suis en train de lire les vies minuscules.<br /> Je découvre avec un humble ahurissement ce magnifique chaudron lumineux de mots, Michon est un peintre , il fouille , étale, remue, efface , se succèdent les couches divines et inattendues de couleurs , brutalement étalées , justes et brouillonnes, mais qui suis je pour en parler?<br /> Je suis complètement illetrée. Tant pis!
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P
Et moi, que devrais-je dire ?<br /> Quand n'importe quel quidam tape mon nom sur Google, je suis proprement enseveli sous tous ces Pierre Michon qui ne me concernent pas.<br /> Et sur les photos, il faut en passer des centaines avant que de tomber sur la photo de classe de mes 11 ans.<br /> Et tout ceci alors que je suis son aîné de 1 an. Ce n'est pas une misère ça ?
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M
Je ne peux que souscrire à cette "haine admirative"...Tout est dit de ce que je ressens face à cet écrivain majeur, difficile sans doute, mais dont les mots ensorcèlent le lecteur qui s'y laisse<br /> prendre, englué dans le délice... Pierre Michon, un Grand trop discret; mais peut-être est-ce là aussi le noeud de notre fascination et la communion avec ses mots n'en est-elle que plus<br /> subtile.<br /> Je voudrais rappeler ici le nom de Michèle Desbordes, qui s'est effacée trop vite de la littérature et de la vie, et qui avait aussi cette puissance littéraire qu'on peut savourer dans La Demande,<br /> une oeuvre peu connue mais splendide, un peu à la Michon...
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N
<br /> <br /> Je note, merci.<br /> <br /> <br /> <br />