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"Journal des années de poudre", de Richard Matheson

Publié le par Nébal

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MATHESON (Richard), Journal des années de poudre, [Journal of the Gun Years], traduit de l’américain par Brigitte Mariot, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [1991] 2003, 265 p.

 

« Western Summer », épisode 2. Où l’on fait cette fois, en théorie du moins, dans le western fantastique, avec le grand Richard Matheson, qui nous a hélas quittés il y a peu. Sauf que le terme « fantastique » prête ici à débat, malgré l’auteur et la collection : disons-le tout de suite, en dehors de quelques éléments ambigus en fin d’ouvrage et, surtout, de l’habileté surnaturelle du héros à la gâchette, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en matière de fantastique… Aussi, pour ma part, et au vu de la longue tradition des westerns dans laquelle s’inscrit ce Journal des années de poudre, quand bien même il s’agit de la démystifier, j’aurais tendance à négliger cet élément de toute façon fort discret, et à faire du roman de Richard Matheson un pur western. Mais peu importe, sans doute…

 

Le Journal des années de poudre, c’est celui du « Prince des Pistoliers » Clay Halser pour les années 1864-1876, tel qu’il a été édité par son ami le journaliste Frank Leslie. Ledit journaliste a été témoin de la mort du « Héros des Plaines », lors d’un duel qui a mal tourné ; chargé de faire l’inventaire des biens du défunt, il tombe sur ce journal, entamé lors de la guerre de Sécession, peu de temps avant leur rencontre. Aussi décide-t-il de le publier – dans une version abrégée et « réécrite » – afin de livrer un portrait aussi juste que possible de Clay Halser, faisant la part des choses entre l’homme et sa légende.

 

Car Clay Halser est devenu, bien malgré lui, une légende de l’Ouest, à l’instar d’un Wild Bill Hicock (qui fait son apparition dans le roman). Déjà remarqué pour son héroïsme et son talent pour les armes lors de la guerre, où il combattait dans les rangs de l’Union, Halser ne peut guère profiter de son retour à Pine Grove, dans le Midwest, où tout indiquait qu’il allait poursuivre paisiblement sa vie auprès de la belle Mary Jane. Suite à une partie de cartes qui a mal tourné (déjà) et s’est soldée par un mort, Clay prend la fuite, direction la Frontière, qui le fascine. Arrivé dans l’Ouest, il va tâter d’à peu près toutes les occupations existantes dans ces terres dangereuses. Mais le jeune homme va vite être amené à reprendre les armes, notamment pour défendre une figure paternelle de substitution, M. Courtwright, lors d’une terrible « guerre privée » qui ensanglante un patelin. C’est là le véritable début de sa légende.

 

Mais c’est en se retrouvant, après quelques errances, du « bon côté » de la loi, que Clay Halser va véritablement devenir le « Héros des Plaines ». Marshal dans deux villes successivement, il va imposer son autorité à l’aide de carabines et de six-coups, contre vents et marées. Ce qui en fera un héros sur la côte Est… bien qu’il soit payé d’ingratitude dans l’Ouest. Et tout ceci, nécessairement, va mal finir…

 

Journal des années de poudre est largement une entreprise de démystification du western. Son thème fondamental, donc, est la distinction entre la légende et la réalité. Et la réalité est ici particulièrement sordide et violente… Le « Héros des Plaines », malgré qu’il en ait, est bel et bien un tueur, qui ne se trouve pas toujours dans le camp de la morale et du bon droit. Et il vit dans un univers singulièrement violent, où la véritable loi est en définitive celle du plus fort… ou du plus rapide à dégainer. Et ça tombe comme des mouches, les cadavres se ramassent à la pelle – à tel point, en fait, que c’en est presque parodique : on peut penser, par exemple, à Django (je parle de l’original), mais sans le côté baroque, et sans l’humour… Clay Halser tue à tours de bras, et s’en tire toujours ou presque sans une égratignure (sixième sens ? veine de cocu ? c’est là, à mon sens, le principal élément « fantastique » de ce roman qui ne l’est guère ; mais dans la mesure où le genre nous a bien habitués à semblables phénomènes de la gâchette…).

 

Le roman adopte par ailleurs une structure façon « rise and fall ». On assiste, grâce au journal d’Halser et aux interventions ponctuelles de Leslie, à la création d’une légende… puis à son exploitation grotesque. Si la première partie est des plus enthousiasmantes, riche en faits d’armes assaisonnés de « punchlines » bien caractéristiques du genre, la suite se montre touchante, poignante même, dans son portrait d’un homme dépassé par sa légende, et qui entend toujours remuer les nombreux squelettes qui emplissent ses placards…

 

Je ne nierai certes pas la pertinence et l’intelligence du propos de Richard Matheson. Et j’ai bel et bien retrouvé dans ce Journal des années de poudre, au style volontairement « simpliste », son grand talent de conteur : le fait est que le roman prend aux tripes, et que l’on ne s’ennuie pas une seconde à sa lecture ; on dévore ce livre, aussi intelligent que palpitant, et doté de personnages fort bien campés.

 

Et pourtant, je ne peux m’empêcher de m’avouer un brin déçu… Journal des années de poudre est à n’en pas douter un bon roman, mais je n’en ferais pas un « très bon » roman pour autant ; et de la part du grand Richard Matheson, qui nous a maintes fois bluffés par son talent, cela reste quand même relativement mineur. Je n’y ai certes pas retrouvé la maestria de Je suis une légende ou L’Homme qui rétrécit ; et, pour rester dans mon cycle western, j’ai même eu l’impression d’un roman assez médiocre comparé à l’excellent recueil de nouvelles qu’est Contrée indienne de Dorothy M. Johnson, autre entreprise de démystification, quand bien même c’est d’une manière très différente sur le fond comme sur la forme. Je sais d’ores et déjà, en tout cas, que le western de Matheson ne me laissera pas le souvenir impérissable que j’espérais. Sans trop savoir pourquoi au juste… Mais peut-être l’excessive habileté de Clay Halser (quand bien même elle est fondamentale pour le propos) m’a-t-elle parfois un peu laissé de marbre ; on ne tient plus le « body count » au bout d’un certain temps – c’est voulu, certes –, et, malgré tout, peut-être une certaine lassitude s’installe-t-elle, à force de hauts faits d’armes tout de même bien répétitifs. On comprend bien l’intention de l’auteur, mais elle se montre plus ou moins convaincante – et la noirceur et la violence de l’ensemble de tourner presque à la parodie, comme je l’avais noté plus haut (et là, je doute que ce soit vraiment dans les intentions de Matheson)…

 

Bref : je ne sais pas totalement pourquoi, mais, si Journal des années de poudre est une lecture tout à fait recommandable, je ne peux que m’avouer un peu déçu. Pas dramatiquement, hein ; mais voilà : pour un Matheson, ça me fait quand même l’effet d’une œuvre plutôt mineure.

 

Suite du « Western Summer » avec Les Frères Sisters de Patrick deWitt.

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