"Kick-Ass", t. 1 & 2, de Mark Millar & John Romita, Jr.
MILLAR (Mark) & ROMITAR, Jr (John), Kick-Ass, t. 1. Le Premier Vrai Super-Héros, traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Icon, 2010, [n.p.]
MILLAR (Mark) & ROMITAR, Jr (John), Kick-Ass, t. 2. Brume rouge, traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Icon, 2010, [n.p.]
Dans le petit monde des comics super-héroïques, Kick-Ass est à n’en pas douter le dernier gros machin. Une série largement indépendante – du moins est-ce l’impression que j’en ai – qui a connu d’emblée un tel succès qu’une adaptation cinématographique en a immédiatement découlé. Comme beaucoup de monde, à vrai dire, c’est ainsi que j’ai entendu parler pour la première fois du phénomène. Mais, contrairement à ce beaucoup de monde, je me suis refusé à voir le film – dont je n’entendais pourtant alors dire que du bien – tant que je n’aurais pas lu la BD.
À cela, deux raisons qui n’en font qu’une : ma méfiance à l’encontre des plus récentes adaptations hollywoodiennes de comics, et le fait que ce comic book-là en particulier était signé par deux auteurs que j’apprécie ordinairement beaucoup : le dessinateur John Romita, Jr, digne fils de son père, dont j’avais particulièrement apprécié le travail, s’il ne faut en citer qu’un seul exemple, sur Daredevil : l’homme sans peur, sur un scénario de Frank Miller ; et, surtout, le scénariste Mark Millar, à mon avis un des tout meilleurs auteurs du moment pour ce qui est des histoires de tapettes en collants, ainsi qu’il l’a montré notamment avec The Authority et Ultimates (entre autres) : un auteur très politique, réaliste, drôle, lucide, bref, un des meilleurs représentants, avec Warren Ellis et Garth Ennis, de ces auteurs post-Watchmen, qui ont compris qu’après la bombe d’Alan Moore, il n’était plus possible de traiter des super-héros de la même manière qu’auparavant, certes, mais que c’était en profondeur que le travail de sape avait été effectué, et non simplement en façade comme l’avait prétendu maladroitement la vague « violente et sombre » qui s’était emparée des comics immédiatement après.
Avec Ultimates notamment, Mark Millar s’était déjà amusé à infiltrer les super-héros dans notre triste monde tragique : les Vengeurs y devenaient le joujou de George W. Bush, Captain America participait à la guerre en Irak, etc. Kick-Ass poursuit sur cette lignée, mais en accentuant le réalisme. Le pitch est d’une limpidité, d’une évidence même, pour le moins surprenante. Dave Lizewski, seize ans, est un ado ordinaire, sans rien pour le distinguer. Sa mère est morte d’une rupture d’anévrisme. Son père est attentionné. C’est un geek, pas très doué avec les filles, mais ce n’est pas pour autant le dernier des gringalets non plus, ou la tête de Turc de la classe. Par contre, c’est un vrai dingue de comics. Et une question se met à lui trotter dans la tête : comment ça se fait, avec toutes ces BD, que personne, jamais, n’ait essayé, au moins essayé, de devenir un super-héros ?
Lui, finalement, décide de s’y mettre. Il s’achète un costume de plongeur, et sort en ville. Évidemment, sa première virée tourne mal… très mal. Mais ça ne l’empêche pas de s’y remettre. Et, un jour, un quidam le filme avec son téléphone portable en train de se battre ; la vidéo file sur YouTube : et c’est la gloire. Il a désormais un nom : Kick-Ass. Et plein de fans. Et il suscite même des imitateurs.
… pas forcément aussi « gentils » que lui. C’est ainsi qu’il fait la rencontre de Hit-Girl, tout juste dix ans, et Big-Daddy, deux psychopathes qui éradiquent tout sur leur passage. Et ça, ça lui fout les glandes, à Kick-Ass.
Sans compter que la vie de super-héros, en vrai, ça fait mal. Très mal. Et que, identité secrète oblige, ça n’améliore pas pour autant ses relations avec le beau sexe. Pour fréquenter celle qu’il aime, il va jusqu’à se faire passer pour gay, et donc « non sexuellement menaçant »… La satire des super-héros se double ainsi d’une amusante mais pas conne réflexion sur la quête d’identité, caractéristique du personnage de Dave.
Et l’ensemble est un régal, à tous points de vue. Pour ce qui est du scénario, Millar se montre très en forme, comme dans ses meilleures productions (en vrac : The Authority, Ultimates, Superman : Red Son, certains Ultimate Fantastic Four…) : Kick-Ass a du rythme, est rondement et intelligemment mené, les personnages sont fouillés et bien construits, la satire est pertinente et bien vue, le réalisme constant (tout en n’empêchant pas quelques gags savoureux). On s’attache vraiment à suivre les pas de Kick-Ass, qui rappelle un peu le jeune Spider-Man, maladroit et peu sûr de lui, tout en ayant sa personnalité propre. Une vraie réussite, d’autant qu’elle se montre très couillue et politiquement très incorrecte. « Pour lecteurs avertis », nous dit-on ; c’est que ça charcle sévère, graphiquement certes, mais aussi moralement.
Mais passons donc au graphisme, justement. Et là, avouons que c’est un vrai bonheur que de retrouver John Romita, Jr, en aussi grande forme. Son dessin anguleux colle parfaitement à l’action, se montre nerveux et vif, et toujours d’une très grande lisibilité. Il m’a justement beaucoup fait penser, donc, à ce qu’il avait déjà fait sur Daredevil : l’homme sans peur, sur un scénario de Frank Miller, et son association cette fois avec Millar ne manque pas d’y ressembler ; d’ailleurs, à tout prendre, Dave Lizewski ne fait-il pas un peu penser à Matt Murdoch en plus jeune, et, de même, Hit-Girl à Elektra ?
Quoi qu’il en soit, le dessin de Romita, Jr, se montre très percutant, et les scènes de combat sont d’une violence rare. Là encore, vous êtes prévenus : Kick-Ass n’est pas exactement un comic book destiné à nos petites têtes blondes adorées. Il pratique l’ultra-violence chère à l'Alex d’Orange mécanique, toute en gerbes de sang, démembrements, décapitations, fractures ouvertes, etc. Miam.
Alors merci, ô Captain Spaulding, de m’avoir offert cette BD. Car je me suis bel et bien régalé. Et je te crois volontiers quand tu me dis, après coup, que le film c’est de la merde… D’après ce que tu m’en as dit, cela a bien l’air d’être le cas. J’ai donc bien fait d’attendre, tiens. Ouf. Et merci, merci, merci.
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