"L'Abomination d'Innswich", d'Edward Lee
LEE (Edward), L’Abomination d’Innswich, [The Innswich Horror], traduit de l’anglais par Thomas Bauduret, [s.l.], Mythologica, 2014, 150 p.
Oh ben tiens, une lovecrafterie de plus. Le titre (pas terrible…) est assez explicite, non ? En tout cas, il m’a davantage parlé que le nom de l’auteur : je n’avais jamais entendu causer d’Edward Lee avant de découvrir ce court roman, et avais même soupçonné, du coup, le pseudonyme (on est paranoïaque ou on ne l’est pas)… Mais non, il semblerait bien qu’Edward Lee existe (il a une fiche Wikipedia, preuve ultime !), et même qu’il ait commis plusieurs lovecrafteries en dehors du présent roman.
Vous l’aurez sans doute compris à la lecture de ces quelques lignes d’introduction : j’avais pas mal de préjugés concernant ce livre publié parallèlement au Mythologica spécial Lovecraft, et par les mêmes gens, grosso modo. La faute à ce titre un peu couillon, à la ridicule et bête mention « Pour public averti » figurant en quatrième de couv’ (ce gag ne me fait jamais rire), et à une abondance de coquilles que le lecteur imprudent se prend en pleine poire dès l’incipit.
On aurait cependant bien tort de s’arrêter à cela. Et, disons-le, si L’Abomination d’Innswich ne casse pas trois tentacules à un shoggoth, c’est quand même pas pire (bitte), et même, allez, tout à fait honnête, à condition d’aimer, au-delà du Lovecraft « pur », les séries B à Z vaguement lovecraftiennes et jouant volontiers la carte du grotesque ; disons, pour faire un parallèle cinématographique, que ce Lovecraft-là m’a pas mal fait penser à Stuart Gordon, pour le pire (From Beyond) mais heureusement surtout pour le meilleur, ou en tout cas le plus sympathique (Re-Animator et surtout, bien sûr, Dagon, puisque ce dernier film, en dépit de son titre, est en fait une adaptation plutôt marrante du « Cauchemar d’Innsmouth »). En effet, il y a tout de même pas mal d’humour dans cette Abomination d’Innswich, pas mal de cul aussi (mais gentil, hein, le « public averti » s’en prend aisément plus dans le foufouillon – faudra que je vous parle prochainement du Neonomicon d’Alan Moore et Jacen Burrows, d’ailleurs…), un héros con-con, une romance bêtasse, des twists et des révélations qui n’en sont pas mais c’est pas grave puisque c’est le jeu… Bref, oui, tous les ingrédients d’une série B à Z vaguement lovecraftienne, donc. Et plutôt d’une bonne. Certes, il ne faut pas s’attendre ici à des merveilles de littérature et à des baffes stylistiques, pas davantage à des constructions audacieuses, et en fait de profondeur on se contentera de Profonds. Mais ça se lit tout seul, et ça fonctionne ; bon nombre de pastiches ne peuvent pas en prétendre autant…
L’histoire ? L’est pas ben compliquée… Cousue de fil blanc, à vrai dire, mais ça fait partie du jeu, encore une fois. Nous sommes à la fin des années 1930, peu après la mort de Lovecraft, donc. Foster Morley, de Providence, s’est pris de passion pour l’œuvre de cet illustre inconnu qui finira par devenir une célébrité locale et mondiale. Riche dilettante, il fait du tourisme en Nouvelle-Angleterre sur les traces de son idole. Et, un jour que l’on n’osera pas qualifier de « beau », il fait la découverte d’un patelin du nom d’Olmstead… comme le narrateur du « Cauchemar d’Innsmouth », sa nouvelle préférée (on notera que cette information ne figure pas dans la nouvelle, en fait, mais seulement dans des papiers de Lovecraft dont je ne suis pas certain qu’ils aient été publiés à l’époque, mais passons…). Intrigué par la coïncidence, Morley se rend sur place ; là, il découvre une ville presque entièrement neuve – tous les bâtiments ont été refaits au début de la décennie –, bien différente de la terrible Innsmouth de Lovecraft. Mais Morley, fin connaisseur de ce chef-d’œuvre, repère en ville bien des coïncidences étranges dans les noms locaux… jusqu’à la pointe de la ville, du nom d’Innswich. Bien décidé à percer les secrets de l’inspiration du gentleman de Providence, Morley prend une chambre en ville. Mais il n’est pas au bout de ses surprises… dans ce patelin où toutes les femmes semblent être enceintes, comme la belle Mary.
Vous vous doutez déjà de la suite : l’idée, pour l’essentiel, c’est que Lovecraft a dit la vérité dans sa nouvelle, ne masquant qu’à peine les noms et les événements. SPOILER !!! Tu parles, on le voit venir dès le début. Et c’est bien pour ça que je trouve que ça fait partie du jeu. Edward Lee s’amuse avec la nouvelle de Lovecraft comme avec le lecteur qui l’apprécie, quitte à commettre quelques hérésies ici ou là. Et ça marche plutôt bien, notamment du fait de la naïveté, non, de la bêtise du narrateur (par ailleurs conservateur et très chrétien…). Du coup, c’est assez drôle, en fait, même quand ça sombre dans le pire mauvais goût grivois. On se serait peut-être passé du gros twist final, mais peu importe : en attendant, aussi étrange que cela puisse paraître, on a plutôt passé un bon moment. Et ce même si ça ne tient pas totalement la route.
Plutôt une bonne surprise, donc. Même si l’on ne fera certainement pas de cette Abomination d’Innswich une lecture indispensable – à vrai dire, je ne sais même pas si elle est recommandable… –, le fait est que je me suis plutôt amusé avec cette courte lecture. Un pastiche assez réussi, donc. Et dans le foisonnement des lovecrafteries, ça n’arrive pas tous les jours…
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