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"L'Affaire du chevalier de La Barre", de Voltaire

Publié le par Nébal

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VOLTAIRE, L’Affaire du chevalier de La Barre, précédé de L’Affaire Lally, édition établie et annotée par Jacques van den Heuvel, Paris, Gallimard, coll. Folio 2€, [1975, 2008] 2010, 113 p.

 

Toulouse oblige, l’affaire Calas, j’en ai bouffé. Mais je ne pouvais qu’avouer mes lacunes en ce qui concernait les autres affaires dans lesquelles s’était impliqué (ce connard de) Voltaire, et notamment les deux qui font l’objet du présent petit ouvrage. De l’affaire Lally, je ne savais absolument rien, si ce n’est que le fils du condamné, le constituant Lally-Tollendal, s’était battu pour obtenir la réhabilitation de son père, et y était finalement parvenu (mais je ne savais pas que Voltaire était du combat). Quant à l’affaire du chevalier de La Barre, plus célèbre, je n’en savais que ce qu’indique le blason de la couverture ; j’ai eu l’occasion de découvrir ici que la réalité était plus complexe, même si non moins scandaleuse.

 

Commençons donc par l’affaire Lally. Thomas-Arthur, comte de Lally, d’origine irlandaise, fut envoyé lors de la guerre de Sept Ans comme lieutenant général pour organiser la défense des établissements français de l’Inde, et notamment Pondichéry. Hélas pour lui, privé de moyens et d’hommes, ce personnage d’un caractère ombrageux et expansif se fait beaucoup d’ennemis, et ne parvient pas à mener à bien sa mission : il est amené à capituler devant les Anglais en 1761. Débute alors un flot d’accusations à l’encontre du lieutenant général, bien vite soupçonné de trahison et de lèse-majesté, mais aussi de concussion, d’exactions, etc. Ramené en Angleterre avec 2000 prisonniers, Lally, sur parole, est relâché pour se rendre en France et faire face à ses accusateurs, affirmant haut et fort son innocence… et ne s’attirant que davantage de foudres ce faisant. Il est aussitôt embastillé (1762), mais devra attendre bien longtemps son procès, qui, à sa grande surprise, le déclarera coupable et le condamnera à la peine de mort. Il faut dire que le rapporteur devant le Parlement de Paris n’était autre que Pasquier, que l’on aura l’occasion de retrouver… Lally est condamné le 6 mai 1766, et décapité en place de Grève le 9 suivant.

 

Commence alors le long travail de réhabilitation, mené principalement, donc, par Lally-Tollendal et par Voltaire, qui y consacre des passages de son Siècle de Louis XV, et, surtout – c’est ce qui est ici reproduit – de ses Fragments historiques sur l’Inde et sur la mort du général de Lally. L’ardent polémiste y défait avec brio toute l’accusation, et montre assez combien Lally était innocent de tout ce qu’on lui avait reproché, et avait servi dans cette histoire ni plus ni moins que de bouc émissaire. Finalement, le 26 mai 1778, quatre jours avant sa mort, Voltaire apprend que le Parlement de Bourgogne avait révisé la sentence du Parlement de Paris, et l’arrêt sera cassé à l’unanimité en 1781.

 

L’affaire Lally est un bel exemple de l’implication de Voltaire dans les affaires judiciaires de son temps, et constitue un triste cas de ce que l’on appellera par euphémisme une « erreur judiciaire », laquelle, chose rare, sera reconnue et cassée. Trop tard, évidemment… Car le combat que mène Voltaire dans l’affaire Lally, comme dans l’affaire Calas et celle du chevalier de La Barre, est aussi un combat contre la peine de mort, dans la lignée du traité Des délits et des peines de Beccaria, dont il fut un zélé propagandiste, et que l’on retrouvera bientôt.

 

Passons donc à l’affaire du chevalier de La Barre, qui fut à peu près contemporaine de la précédente. Je n’en savais donc – ou croyais en savoir – que ce qui figure sur la couverture, à savoir que ce jeune homme fut supplicié « pour n’avoir pas salué une procession », ce qui constitue assurément un scandale bien pire que les affaires Calas et Lally, pour lesquelles, à la limite, on comprendrait l’usage de la peine de mort. Ici, un fait minime à l’évidence entraînait donc une peine encore plus sévère ! Le rapporteur de cette affaire devant le Parlement de Paris fut à nouveau Pasquier, et il n’est sans doute pas anodin de noter qu’il avait également joué ce rôle dans l’affaire Damiens – le supplice du régicide est entré dans l’histoire, scandalisant l’Europe déjà à l’époque, et marquant toujours nos esprits, a fortiori depuis que Michel Foucault s’en est servi en guise d’ouverture de son indispensable Surveiller et punir

 

Mais la réalité de l’affaire dite du chevalier de La Barre – s’il fut le seul exécuté, il n’était pas le seul prévenu – est donc un peu plus compliquée. Tout commence en fait en août 1765, par la mutilation d’un crucifix se trouvant sur un pont, à Abbeville. Les bonnes gens de la ville en sont outrées, et l’on recherche les coupables. Trois jeunes gens, mineurs, faisaient des cibles toutes désignées – le chevalier de La Barre, donc, mais aussi les nommés Moisnel et d’Étallonde. Une cabale s’est en effet montée contre eux – mais sans doute ici le témoignage de Voltaire est-il à prendre avec des pincettes –, arguant de nombreux actes d’impiété, dont le fait de ne pas s’être découvert devant une procession (ce n’est qu’un des éléments à charge, et non le principal chef d’accusation). On peut à bon droit supposer que La Barre et ses camarades, à la fois esprits forts bien dans le genre du Siècle et gamins pas très malins, se sont en effet rendus coupables d’un certain nombre de ces faits (même si Voltaire, appelant pourtant La Barre « jeune fou », essaye bien sûr de le nier). Mais, au prix de vices de procédure scandaleux, ces simples présomptions d’impiété sont rattachées à la mutilation du crucifix, et les magistrats d’Abbeville condamnent le chevalier de La Barre – non Moisnel, qui a avoué tout ce qu’on voulait ; quant à d’Étallonde, il avait pris la fuite – à être supplicié tel un empoisonneur et un parricide ! Le Parlement de Paris, sous la pression de Pasquier encore une fois, confirme contre toute attente (et à l’indignation de nombre d’avocats) le jugement d’Abbeville, par quinze voix contre dix. Le chevalier de La Barre est torturé et supplicié le 1er juillet 1766.

 

Voltaire s’empare de l’affaire. Il faut dire qu’il avait directement été mis en cause, dans la mesure où l’on avait dénoncé l’influence pernicieuse de mauvaises lectures sur le chevalier de La Barre, dont celle du Dictionnaire philosophique (Voltaire nie en être l’auteur… l’ouvrage sera à cette occasion condamné à être brûlé). Là encore, le combat pour la réhabilitation sera long, mais finira par aboutir – dans un sens seulement : la grâce royale sera accordée – un peu tard, seul d’Étallonde peut en profiter… – en octobre 1788 et entérinée par la Grand-Chambre du Parlement de Paris le 2 décembre de la même année.

 

Cette affaire a tout du scandale. Rarement le droit comme la justice auront autant été bafoués en France. Et c’est ce que Voltaire entreprend de démontrer, en usant de tous les moyens, les plus justes comme les plus troubles (il fera par ailleurs de d’Étallonde son protégé, et le recommandera notamment au roi de Prusse Frédéric II, qui en fera un de ses officiers). Plusieurs documents, ici regroupés, en témoignent, mais surtout une Relation de la mort du chevalier de La Barre, signée « M. Cassen, avocat au conseil du roi », et prenant la forme d’une lettre adressée au marquis de Beccaria. L’indignation suinte de ces pages vigoureuses, de même que des lettres qui suivent (adressées à diverses personnalités, rois, nobles et philosophes) et, enfin, du Cri du sang innocent, signé d’Étallonde, et qui tente d’obtenir la grâce royale en juillet 1775 (elle sera donc refusée).

 

L’affaire dite du chevalier de La Barre est un témoignage particulièrement consternant des errances du Siècles des Lumières en matière de religion : réactionnaire au possible, viciée du début à la fin, elle semble provenir d’un autre temps, de la pire des périodes d’obscurantisme. À vrai dire, même dans une semblable période, on a du mal à comprendre comment La Barre aurait pu être condamné au supplice : les accusations à son encontre sont toutes plus farfelues les unes que les autres – on va jusqu’à le dire sorcier, tel Urbain Grandier et compagnie (voyez ma note sur La Sorcière de Michelet) ! Et quand bien même les actes d’impiété reprochés seraient établis – ce qui n’est après tout pas impossible, loin de là (de même qu’on a pu à bon droit s’interroger sur la culpabilité réelle de Calas, sans remettre en cause pour autant le côté scandaleux de l’affaire) –, on ne comprend pas comment des faits aussi minimes ont pu entraîner une peine aussi sévère et, disons-le, barbare. Que reproche-t-on au chevalier de La Barre ? On ne peut établir qu’il a mutilé le crucifix du pont d’Abbeville (et quand bien même, être supplicié pour cela !) ; alors on fait feu de tout bois… au mépris de la justice et de la raison.

 

Des affaires dont s’est mêlé Voltaire, celle du chevalier de La Barre est donc probablement la plus révoltante. Ce petit livre, aussi, témoigne de ce que l’obscurantisme le plus barbare peut ressurgir au moment où l’on s’y attend le moins, et là où on ne l’attend pas. Une lecture salutaire, donc, en ces temps d’intolérance…

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