"L'Appel de Cthulhu : Les Secrets de la Nouvelle-Orléans"
L’Appel de Cthulhu : Les Secrets de la Nouvelle-Orléans
Après la déception causée par Les Secrets de New York, on poursuit aujourd’hui la série des « Secrets » avec le très bref volume (110 pages ; je crois que c’est le plus court de tous) consacré à la Nouvelle-Orléans, dû essentiellement à la plume de Fred Van Lente.
La Nouvelle-Orléans, outre le fameux épisode de l’inspecteur Legrasse rapporté dans « L’Appel de Cthulhu », semble être le terrain idéal pour une campagne du jeu de rôle éponyme. La simple mention de ce nom – du moins avant les récentes catastrophes qui ont défiguré la région… – est évocatrice de bien des choses : le quartier français, le carnaval, le vaudou, le bayou, les Cajuns… Ce cadre si particulier – à vrai dire unique en son genre – a été exploité à merveille par bon nombre d’auteurs du genre (on pense immédiatement à Anne Rice ou Poppy Z. Brite, mais on pourrait sans doute en citer bien d’autres – en étendant à la Louisiane, prenez par exemple Lucius Shepard). Et les singularités de la « ville croissant » sont à bien des égards éminemment lovecraftiennes : Créoles et Cajuns sont aisément évocateurs de dégénérescence, le vaudou de cultes secrets aux connotations obscures, etc. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’un supplément pour L’Appel de Cthulhu ait été consacré à « la plus française des villes américaines ».
Encore que cette désignation ait quelque chose d’une imposture, ainsi que je l’ai découvert en lisant ce guide, dès le premier et passionnant chapitre, « Histoire de la Nouvelle-Orléans » : la ville n’a en effet été française que peu de temps, somme toute, puisque, fondée en 1718, elle a été cédée aux Espagnols en 1762, avant d’être retournée à la France (1800), puis vendue avec toute la Louisiane aux jeunes Etats-Unis d’Amérique en 1803. Cela a cependant suffi pour imposer un certain caractère à la ville, comme on aura bientôt l’occasion de le constater. Le reste du chapitre aborde différentes thématiques « d’introduction », de plus ou moins grande importance ; si l’on peut s’attarder sur le jazz et le carnaval, logiquement (mais on y reviendra plus en détail en abordant le guide), le point qui me paraît le plus nécessaire ici concerne « Jim Crow », la ségrégation… Le chapitre se conclut enfin sur des occupations spécifiques à la Nouvelle-Orléans : Chasseur cajun, Propriétaire créole, Hounsi, Musicien de jazz, Capitaine de bateau, Traiteur/Sage-femme.
On passe alors au « Guide du quartier français », le petit centre historique de la Nouvelle-Orléans, mais immanquablement l’endroit qui mérite qu’on s’y attarde. Contrairement à ce que je reprochais aux Secrets de New York, le guide est cette fois très bien conçu : assez clair et complet pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à la Nouvelle-Orléans, il dose en outre avec exactitude et sagesse les éléments de Mythe qui viennent infecter le quotidien de la cité. La lecture de l’ensemble est passionnante, regorgeant d’anecdotes et d’amorces de scénarios, et – de même que les autres chapitres – abondamment illustrée par de très belles photographies d’époque. On peut d’ores et déjà noter l’importance qu’accorde le guide aux sociétés secrètes, plusieurs étant décrites au fil de ces pages – l’une d’entre elles, non négligeable bien que d’une influence limitée dans la ville elle-même, étant le Ku Klux Klan, décrit dans le chapitre suivant…
Il s’agit du « guide de l’agglomération » : c’est-à-dire tout sauf le quartier français… C’est dire la spécificité de ce dernier ! Là encore, on pourrait faire les mêmes remarques que précédemment. Inutile donc de s’étendre sur le sujet, c’est du très beau travail.
Chapitre suivant : « guide du bayou ». Après quelques considérations sur les difficultés inhérentes aux voyages dans les marécages, c’est surtout l’occasion d’en apprendre davantage sur les Cajuns, mais aussi sur le forage de pétrole dans les environs de la ville… et enfin sur les événements rapportés dans « L’Appel de Cthulhu ».
Puis, inévitablement : « Vaudou » ! La présentation du culte vaudou est à la fois claire et complète – je n’y connais pas grand-chose, c’est le moins que je puisse dire, mais pour une fois j’ai eu l’impression de dépasser les clichés habituels, sans être noyé sous les informations –, ce qui le rend utilisable en jeu de manière « naturelle ». Cela dit, à mon sens, cela ne va pas sans poser de problèmes : le vaudou des bokors faisant appel aux loas Petro s’inscrit sans problème dans les thématiques du jeu, surtout si l’on considère que ces loas correspondent à des Grands Anciens, comme c’est proposé ; je ne suis pas certain qu’il en aille de même de « l’autre » vaudou, à bien des égards le « vrai », le « bon » vaudou, celui des mambos et houngans, et dans une moindre mesure des docteurs magiciens, faisant appel aux loas Rada, esprits… bienfaisants. Pas très « horreur cosmique et matérialiste », tout ça… Faut voir, donc. Quoi qu’il en soit, le chapitre est très intéressant, et le système indéniablement jouable, complété par un grimoire in fine.
Jusqu’ici, tout va bien. Très bien, même. Hélas, les deux scénarios qui concluent l’ouvrage – le second étant de création française – ne sont franchement pas à la hauteur du guide… « Le Lever du cinquième soleil », qui se veut une introduction à la Nouvelle-Orléans, a beau user du thème du carnaval, il se montre assez peu convaincant. Quant à « Le Guetteur des Marais », malgré le bayou, malgré le Ku Klux Klan, c’est un scénario totalement raté, très dirigiste, trop orienté sur l’action, et manquant cruellement d’ambiance : un comble !
Un excellent guide desservi par deux mauvais scénarios : Les Secrets de la Nouvelle-Orléans vaut à mon sens franchement le détour, mais vos joueurs devront compter sur vos talents de créateur. Ça serait dommage de gâcher un si beau cadre avec des scénarios « moyens »…
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