"L'Echafaud ou l'excentrique monsieur Céraste", de Gérald Duchemin
DUCHEMIN (Gérald), L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste, Vic-la-Gardiole, Le Chat rouge, coll. Rouge et noir, 2003, 150 p.
On m’a offert ce (très) petit livre.
Je ne sais pas s’il faut en déduire quelque chose, mais je l’ai en tout cas lu sans me poser trop de questions. Et, je puis le dire d’ores et déjà, avec un plaisir non dissimulé. Reste maintenant à en parler, ce qui s’annonce guère évident. Puisque, en somme, il va s’agir de se livrer à une critique de la critique de la critique.
En effet, monsieur Céraste, plus connu sous le nom de l’Échafaud, est critique littéraire de son état. Après des études calamiteuses (des années pour avoir son bac, section philosophie – erreur –, puis des années pour avoir son DEUG de Droit – nouvelle erreur) et un mariage qui ne le fut pas moins, monsieur Céraste, qu’on surnommait alors, entre autres, Waterloo en raison de sa prédisposition pour l’échec (mais toute défaite n’est-elle pas aussi une victoire ?), monsieur Céraste donc, ce raté magnifique, trouve enfin sa voie. Si le journalisme politique ne lui a pas davantage réussi que le reste (il était pourtant hautement qualifié puisque, à l’instar des autres journalistes, il parlait de choses qu’il ne comprenait pas), il en va en effet tout autrement de la critique. Un talent qu’il s’est découvert en griffonnant dans les marges d’ouvrages empruntés dans une bibliothèque londonienne, ce qui lui valut – outre son exclusion – sa première lectrice passionnée en la personne de la bibliothécaire.
C’est que l’Échafaud, puisque tel est son nom de plume dans les pages du journal bien nommé L’Infâme, a un talent rare pour déceler, jusque dans les meilleures livres, les failles les plus secrètes, et témoigne d’un mordant, d’une virtuosité assassine pour pourfendre écrivains goncourisables et autres écrivaillons en quête de reconnaissance, qui en font bientôt la bête noire des auteurs (faut-il y mettre un « H » majuscule ?) et de leurs éditeurs. D’où une succession de scandales et de procès, qui font sa joie. L’excentrique monsieur Céraste, qui vit dans une maison hantée (il fait peur au spectre) et ne se déplace qu’en corbillard, rencontre ainsi le succès qui l’a fui toutes ces années. Il se constitue un vivier de fans et un autre d’adversaires, et se régale de leurs chamailleries. Ses ouvrages, reprenant ses pages les plus vigoureuses, rencontrent même un franc succès. Et l’Échafaud d’éreinter, de flageller, avec une maestria toujours renouvelée.
Monsieur Céraste a donc tout du critique idéal : raté, aigri, d’une mauvaise foi sans pareille, incapable d’apprécier ce qui est bon tant il aime à dénoncer le mauvais (quitte à l’inventer ; ou, si le livre est bon – mais est-ce seulement possible ? –, à s’en prendre directement à l’auteur), l’Échafaud est aussi terrible que grotesque.
Seulement voilà : le vilain personnage va en définitive, au travers de ses écrits au vitriol, se révéler salutaire pour la littérature. Comme quoi, hein…
Portrait jubilatoire et grinçant d’un critique littéraire qui rencontre d’autant plus le succès qu’il se montre odieux, le court texte de Gérald Duchemin (a-t-il été victime d’un monsieur Céraste ?) est un régal nécessaire, qui comblera les attentes de tous les plumitifs, de quelque côté de la barrière qu’ils se situent.
D’ailleurs, Léa Silhol a beaucoup aimé, ce que je ne peux m’empêcher de trouver très rigolo.
Écrit dans un style précieux et désuet, mais qui n’en est pas moins impeccable, L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste ne saurait en effet être limité à une critique de la critique (même s’il y a – beaucoup – de ça, bien entendu). Au final, c’est tout le monde de l’édition, et même au-delà celui plus vaste de la littérature, qui en prend pour son grade. L’auteur, au travers de son salaud de héros, tire sur tout ce qui bouge, et même ce qui ne bouge plus, avec un plaisir d’autant plus communicatif qu’il se trouve malsain. Et c’est ainsi avec joie que l’on lit ces brèves pages, et que l’on se rend coupable de complicité d’assassinat littéraire de critiques, écrivains, éditeurs et universitaires. C’est délicieusement méchant, d’une mauvaise foi évidente et d’autant plus appréciable, et – pardon – tellement vrai…
Que l’on se reconnaisse avant tout dans le personnage de l’Échafaud ou dans ses innombrables victimes importe peu au final. Ce tout petit texte fort drôle frappe juste, et fort. On se délecte de tant de méchanceté et d’aigreur, comme à la lecture d’une critique négative joliment tournée ou d’un bon roman ; c’est sans doute que L’Échafaud ou l’excentrique monsieur Céraste est les deux.
On m’a offert ce livre, donc.
Et je ne sais toujours pas s’il faut en déduire quelque chose.
Mais je remercie le généreux donateur pour cette friandise des plus appréciables. Et rêve à mon tour d’un Comité de soutien pour la prolifération des cancres, institution sans doute nécessaire, et d’un authentique monsieur Céraste, qui saurait aller au bout de son talent sans jamais s’égarer.
PS : Un truc, quand même : Molière, c’est vraiment de la merde.
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