Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"L'Univers de Lovecraft", de Philip A. Shreffler

Publié le par Nébal

L-Univers-de-Lovecraft.jpg

 

 

SHREFFLER (Philip A.), L’Univers de Lovecraft, [The H.P. Lovecraft Companion], traduit [de l’américain] par Patrick Marcel, préface de Joseph Altairac, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, [1977] 1994, 158 p.

 

Et hop, un « Cahier d’études lovecraftiennes » de plus ; à nouveau une traduction de l’américain, après l’excellent intermède dû à Michel Meurger (hop ; à suivre au prochain numéro). Bizarrement, je ne me souviens pas avoir entendu parler de ce H.P. Lovecraft Companion auparavant, pas plus que de son auteur, Philip A. Shreffler, alors que j’ai lu dans Lovecraft Studies le long article en trois parties sur la critique lovecraftienne dans les années 1970. Mais il est vrai – et Joseph Altairac le mentionne dans sa préface – qu’on est ici assez loin des préoccupations de l’auteur de Clefs pour Lovecraft dans la même collection. Ce qui peut, au mieux, déboucher sur un intéressant débat. Hélas, ce n’est pas vraiment le cas, trouvé-je, et j’ai choisi mon camp, camarades…

 

En effet, cet Univers de Lovecraft m’a donné l’impression d’un ouvrage au mieux médiocre, et assurément bancal : on y trouve à l’occasion quelques développements très intéressants (dans le long chapitre qui constitue l’essentiel du bouquin, surtout, ouf), mais aussi d’autres choses plus contestables, voire carrément douteuses…

 

D’ailleurs, si je m’étais fié à ma première impression – la lecture du seul premier chapitre –, je crois même que je lui aurais attribué un zéro pointé. Ce chapitre sur les « théories littéraires de Lovecraft » m’a en effet paru fort mauvais. Il traite pour l’essentiel des précurseurs et influences de Lovecraft, d’une manière pour le moins bizarre, et qui m’a surtout paru très américano-centrée : en gros, là où Lovecraft, dans son célèbre essai Épouvante et surnaturel en littérature, attribue le titre de « maîtres modernes » à quatre auteurs tous britanniques – l’Irlandais Lord Dunsany, le Gallois Arthur Machen et les Anglais Algernon Blackwood et M.R. James –, l’influence sur son œuvre du « conte fantastique britannique » est hyper-relativisée, pour laisser la place à un éloge de « l’idéal américain », basé sur une conception fantasque du mythe de la Frontière qui a de quoi laisser perplexe… Alors, certes, il y a Poe – son « dieu en écriture », qui se voit consacrer un chapitre à lui tout seul. Et Nathaniel Hawthorne comme Ambrose Bierce se voient accorder des développements substantiels, c’est vrai. Il n’en reste pas moins que cette bizarre théorie me paraît reposer sur pas grand-chose, si ce n’est sur les fantasmes de l’auteur ; ainsi pour ce qui est de la philosophie sous-jacente : Philip A. Shreffler a beau dire, je ne reconnais pas chez Lovecraft les conceptions de Poe, la réflexion sur le mal d’Hawthorne (mais il faut dire que l’auteur adopte une conception relativement manichéenne du Mythe de Cthulhu, où les Grands Anciens font figure de créatures maléfiques, ce qui est à mon sens une erreur très derlethienne, mais on aura l’occasion d’y revenir), ou le cynisme de Bierce ; par contre, Dunsany et Machen… Bref. Pas convaincu. D’autant que tout cela m’a donné une impression d’approximation assez fâcheuse (je passe sur certains jugements de valeur, et notamment celui concernant la faiblesse des descriptions lovecraftiennes, l’auteur étant à ses yeux beaucoup plus efficace quand il suggère que quand il montre ; c’est une question bien plus complexe que ça à mon sens…). Notons en outre que ce chapitre, déjà, est quelque peu branlant, puisque l’on passe sans prévenir à des considérations sur le Mythe de Cthulhu chez les continuateurs de Lovecraft, ce qui revient un peu à faire le grand écart. Mais la suite est assez édifiante sur ce manque de méthode dont témoigne à mes yeux tristement cette entrée en matière plutôt foireuse.

 

Le chapitre deux – qui correspond à près de la moitié de l’ouvrage… – est heureusement plus intéressant. Philip A. Shreffler revient sur les fictions de Lovecraft, donnant pour chacune un bref résumé (ce qui n’est guère utile…), mais aussi – et c’est là le point fort de cet Univers de Lovecraft – détaillant les inspirations d’HPL en Nouvelle-Angleterre. Ce qui nous donne un « guide touristique », en somme, assez palpitant, sur Providence, Salem, etc. Les éléments développés par l’auteur sont cette fois assez convaincants – même si la réalité est peut-être parfois un peu plus complexe, voir par exemple ici – et la visite guidée plutôt chouette. Effectivement, je suppose que ce livre pourrait constituer un « companion » bienvenu si l’idée saugrenue d’un voyage lovecraftien en Nouvelle-Angleterre me passait par la tête (cela dit, il est d’autres ouvrages sur la question, que je compte lire un de ces jours ; mais, à l’époque, cela devait être relativement original…).

 

On passe ensuite, sur une trentaine de pages, à une « encyclopédie des personnages et des monstres ». Un petit dictionnaire, quoi, peut-être vaguement utile pour la recherche, mais illisible en tant que tel. Bon, pourquoi pas…

 

Las, les choses dégénèrent à nouveau ensuite. En voulant traiter des « monstres du Mythe », Philip A. Shreffler tient à établir une « hiérarchie », ce qui me paraît constituer une mauvaise idée : c’est vouloir injecter artificiellement de la cohérence là où il n’y en a pas vraiment, et où il n’y en a pas besoin… d’autant que, fidèle à sa vision manichéenne plus ou moins derlethienne, il en vient ainsi à dresser un arbre en deux parties, où Nodens et, en-dessous de lui, les « Dieux très anciens », occupent une place comparable à celles d’Azathoth, Yog-Sothoth et compagnie… Non, décidément, je n’accroche pas. Mais le pire est à venir, dans des développements sur « Lovecraft et la tradition occulte » : il s’agit certes tout d’abord de traiter des « livres maudits » lovecraftiens – et ceux-ci ont une telle importance dans les récits que c’est bien légitime –, mais le problème, c’est qu’ensuite Philip A. Shreffler en tire des conclusions « occultistes » qui m’ont vraiment paru de trop… à tel point qu’il achève – si j’ose dire – son essai par une annexe sur la Golden Dawn ! Et ça, franchement, après m’être tapé les élucubrations du mystérieux Simon (voyez ici), ça m’a vraiment gonflé. Pas de chance pour Shreffler… mais de toute façon – et je crois que ce compte rendu en témoigne assez – son livre me paraît décidément mal conçu, au mieux bancal, au pire carrément foireux.

 

Rendez-moi les passionnants articles de Michel Meurger !

 

 

Ah ben ça tombe bien, le prochain cahier est de nouveau de son fait. Ouf.

Commenter cet article