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"La Découverte du ciel", de Harry Mulisch

Publié le par Nébal

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MULISCH (Harry), La Découverte du ciel, [De Ontdekking van de Hemel], traduit du néerlandais par Isabelle Rosselin avec la participation de Philippe Noble, Paris, Gallimard, [1992, 1999, 2002] 2009, 1143 p.

 

 On devrait toujours se méfier des conseils « désintéressés ». Surtout quand ils proviennent d’un patron potentiel. L’autre jour, ainsi, un sinistre individu dont je tairai le nom pour d’évidentes raisons me tint à peu près ce langage :

  

— Dis-moi, très cher, as-tu lu La Découverte du ciel d’Harry Mulisch ?

 

 — Euh… ben… non.

 

— Ah. « On » m’en a dit le plus grand bien. Je crois que tu devrais le lire.

 

— Ah. Ben, peut-être, alors. Et, euh, ça parle de quoi ?

 

— « On » m’a dit que c’était le plus beau des romans sur l’amitié.

 

— Ah. Bon. Ben, je vais y jeter un œil, alors. Ça fait quelle taille, à peu près ?

 

— Oh, environ l’épaisseur de trois bibles. Mais…

 

— QUOI ?

 

— … mais ce ne sera pas un problème pour toi, n’est-ce pas ? mmmh ?

 

— …

 

Bon.

 

Je lis La Découverte du ciel d’Harry Mulisch (qui, en poche, fait effectivement 1143 pages, ah oui tout de même).

Nouvelle conversation :

 

— Alors, Mulisch ?

 

— Excellent.

 

— Bien. Je veux un article pour telle date, telle heure.

 

— …

 

Et me voilà bien embêté. Car, avouons-le sans fausse honte, il est des ouvrages plus aisés à chroniquer que ce pavé (au sens strict du mot : pris en pleine tronche, ça doit faire mal au plus solide des CRS, mais j’y reviendrai), que l’on qualifiera souvent, selon l’usage, de « roman total ». C’est qu’il y en a des choses, là-dedans, ma bonne dame. Dont sans doute un certain nombre qui ont échappé à votre serviteur (ainsi, une rapide recherche sur Internet a régulièrement relevé une ressemblance entre cet imposant roman et au moins certaines œuvres de Thomas Mann, mais je serais bien en peine de le confirmer…).

 

Procédons autrement, et commençons par dire quelques mots de l’auteur : Harry Mulisch, donc, est – et cela ne saute pas forcément aux yeux – un auteur néerlandais du triste XXe siècle, né en 1927 d’un père austro-hongrois et collabo et d’une mère juive (chaude ambiance à la maison – mais on aura là encore l’occasion d’y revenir). Son premier roman fut publié en 1952, et il a depuis écrit une œuvre abondante et variée dont La Découverte du ciel  (1992) constitue probablement le point d’orgue (on en a paraît-il fait en 2007 le « meilleur roman néerlandais de tous les temps » – gnu ? c’est Wikipedia qui le dit, en tout cas…) ; on notera par ailleurs que ce roman a été adapté au cinéma – entreprise audacieuse ! – en 2001 par Jeroen Krabbé, ancien acteur et protégé de son compatriote autrement plus célèbre Paul Verhoeven.

 

Mais passons donc au roman. Tout commence, nous dit-on, la nuit du 13 février 1967, quand…

 

Mais non, ce n’est pas tout à fait vrai. Il est un certain nombre d’éléments antérieurs à prendre en compte. Et avant d’en venir à cette date effectivement fatidique, il nous faut tout d’abord nous arrêter sur une conversation que l’on sait ultérieure, puisque c’est celle qu’entretient notre mystérieux narrateur avec un interlocuteur tout aussi étrange. Encore que le mystère ne dure guère : nous comprenons bien vite que ces deux-là sont des anges, et que le « chef » qu’ils évoquent avec crainte et adoration n’est autre que Dieu (désolé pour ceux qui s’attendaient à un roman « réaliste »…). Et que Dieu leur avait confié une mission ; il s’agit désormais de voir quelle était cette mission, et comment notre narrateur emplumé – puisque c’est essentiellement de lui qu’il s’agit – est parvenu à ses fins…

 

Retour, donc, à la nuit du 13 février 1967, qui voit la rencontre entre deux hommes, Max Delius prenant alors en stop Onno Quist sur la route d’Amsterdam. Max Delius est orphelin, né d’une mère juive déportée et d’un père collabo (tiens, tiens…) ; c’est un astronome, mais aussi (et surtout ?) un jouisseur, grand coureur de jupons devant l’éternel (si j’ose dire). Onno Quist, quant à lui, est issu d’une riche et austère famille calviniste pour laquelle la politique est une activité naturelle. Les deux hommes ne sont pas forcément ce qu’il y a de plus proche au monde. Pourtant, ils vont connaître un véritable coup de foudre sur le mode de l’amitié, en tout bien tout honneur, et rapidement devenir inséparables. Et, pendant un bon moment, La Découverte du ciel sera effectivement un très beau roman sur l’amitié entre ces deux individus, une amitié décortiquée sous tous ses angles, et analysée dans toutes ses conséquences, des plus simples aux plus complexes, des plus bouffonnes aux plus tragiques.

 

 Mais, bien évidemment, une femme va venir se glisser entre Max et Onno (sinon, ça serait trop facile) : la violoncelliste Ada, d’abord amante de l’hédoniste Max, puis épouse d’Onno, au moment où celui-ci se lance dans une carrière politique (mais à gauche, pour faire chier papa).

 

Ce triangle amoureux donne parfois à La Découverte du ciel d’étranges allures de « comédie de mœurs », teintée, de manière plus moderne et « télévisuelle », de « soap opera » ; j’assume l’expression, tout en précisant qu’il s’agit d’un « soap opera » de grande classe. Mais il vient en tout cas rajouter une dimension supplémentaire à La Découverte du ciel qui, de roman sur l’amitié, devient roman sur le passage à l’âge adulte, avec ses responsabilités et ses désillusions.

 

L’impression en est encore renforcée par le contexte choisi par l’auteur pour raconter son histoire (ou plus exactement cette partie de son histoire) : la fin des années soixante, période de troubles sociaux, culturels et politiques à l’échelle mondiale. Un nouvel épisode fondamental de la saga Delius/Quist aura lieu à Cuba, où ils auront été invités grâce à Ada, et ce n’est pas un hasard. Ici, pour ma part, je n’ai pu m’empêcher de penser à un autre grand roman sur le passage à l’âge adulte dans un contexte révolutionnaire : L’Éducation sentimentale de Flaubert, bien sûr. Et sans doute n’y a-t-il là aucun hasard…

 

 On se gardera bien d’en dévoiler davantage. Sachez juste que l’histoire est riche en rebondissements, toujours palpitante, et que l’on ne s’ennuie pas un seul instant le long de ces plus de mille pages. Avec toutefois une question qui revient de temps en temps, tel un fil rouge, à chaque interlude, quand les anges marionnettistes reprennent la parole : mais où va-t-on au juste ? Cela, on le découvrira dans la quatrième et dernière partie, bien évidemment. Je ne lâcherai certes pas le fin mot de l’histoire (et vous suggère instamment de vous méfier des chroniques sur Internet du livre comme du film, qui n’ont pas toujours cette délicatesse…), mais vous préviendrai cependant d’une chose, qui justifiera peut-être d’autant plus la présence de La Découverte du ciel en ces pages : l’auteur, avec une érudition exemplaire – dont il ne se privait pas d’ailleurs de faire étalage, mais pour notre plus grand plaisir, au fil du roman, au travers de passionnantes digressions sur la politique, la théologie, l’histoire de l’art, etc. –, verse en définitive dans « l’histoire secrète » (et fantastique) avec un brio qui relègue toutes les davincicoderies au fin fond des plus sinistres oubliettes, qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Surprenant, mais délicieux.

 

Reste à évoquer la plume de l’auteur. Ici, on va pouvoir faire vite : c’est un régal de simplicité et – surtout – de limpidité. Ça coule tout seul, sans demander le moindre effort, et ainsi sur plus de mille pages. À tel point qu’arrivé au bout de ce monumental pavé, on en reprendrait volontiers encore un peu…

 

Et ce n’est quand même pas tous les jours que cela arrive, une chose pareille.

 

Alors, oui, on devrait toujours se méfier des conseils « désintéressés ». Ils sont à même de rendre toxicomanes.

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