"La Dimension des miracles", de Robert Sheckley
SHECKLEY (Robert), La Dimension des miracles, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guy Abadia, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont – L.G.F., coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1968, 1973] 2009, 253 p.
Voilà bien un bouquin dont j’aurais attendu longtemps la réédition ! Impossible de mettre la main dessus chez un bouquiniste (et je n’ai décidément pas le réflexe de chercher sur le ouèbe) ; pourtant, ça faisait un bail que je voulais le lire, ce classique entre les classiques de la science-fiction humoristique. C’est que c’était le pilier manquant en ce qui me concerne : j’avais lu Douglas Adams (et trouvé ça pas terrible, franchement…), Fredric Brown (et adoré, là, par contre), me manquait Robert Sheckley, auteur tout de même d’une vingtaine de romans et, paraît-il, de plus de 400 nouvelles ; seulement, faut bien commencer quelque part… et j’avais envie de découvrir l’auteur par son titre le plus célèbre, qui est probablement son roman La Dimension des miracles (même s’il a la réputation d’être un bien meilleur nouvelliste que romancier ; mais on va voir que de toute façon…).
Adonc, La Dimension des miracles. « La journée avait été très peu satisfaisante, comme à l’accoutumée. » Et, effectivement, on ne peut pas dire que la vie de Tom Carmody, à première vue, soit très palpitante ; mais c’était sans compter sur le Sweepstake Intergalactique ! Un « Envoyé » déboule dans l’appartement de Carmody, et lui annonce qu’il a gagné un Prix. Pour le récupérer, il doit l’accompagner au Centre Galactique. Carmody – après s’être interrogé sur sa santé mentale – se dit que pourquoi pas, après tout, et accompagne l’intrus. Là, après quelques quiproquos et dialogues au choix kafkaïens ou ionesciens, on lui remet son Prix, un être pensant et métamorphe. Bon, très bien.
Maintenant, il s’agit de revenir sur Terre.
Et c’est là que les choses se corsent (boum). Car il faut connaître pour ce faire les coordonnées OQQ (Où ? Quand ? Quelle ?), et ça, Carmody n’en sait strictement rien, et personne ne semble prêt à l’aider. Or son problème est aggravé par la Loi de la prédation universelle : Carmody est en effet poursuivi par un carmodyphage qui en veut à sa peau, et est prêt à toutes les ruses pour le becqueter. Commence alors pour notre « héros » un long périple hystérique à travers l’espace et le temps pour regagner notre bonne vieille planète bleue, à la bonne époque, et dans la bonne version, avec une sale bébête à ses trousses…
Un roman, La Dimension des miracles ? Oui, dans le sens où il y a bien une histoire, un fil rouge, qui va du début à la fin. Mais disons-le franchement : c’est avant tout le prétexte à une succession de saynètes toutes plus jubilatoires les unes que les autres. Bien sûr, je ne vais pas vous en dévoiler ici le fond ; mais disons simplement que, entre autres, nous aurons l’occasion de voir Carmody tailler la causette avec un dieu, en apprendre un peu plus sur l’origine de la Terre et de la science, découvrir ce qu’il y avait avant l’homme, consommer, consommer et consommer, et souffrir mille morts dans l’enfer de Bellwether. Autant de passages souvent hilarants, très bien vus, pratiquant toutes sortes de formes d’humour, allant du burlesque à l’absurde en passant par la satire et le comique de répétition. Et s’il est ici un auteur avec lequel j’aurais envie de faire un lien de parenté, bien plus que Fredric Brown ou Douglas Adams, ce serait Terry Pratchett, quand il est au sommet de sa forme.
Car La Dimension des miracles déborde littéralement d’idées géniales. C’est un roman d’une inventivité surprenante, où chaque page ou presque recèle une idée qui pourrait à elle seule donner prétexte à une nouvelle ; instant réac : c’est pas pour dire, mais ce genre de richesse est devenu bien rare de nos jours, ma bonne dame (c’était mieux avant…).
On admirera tout particulièrement les « dialogues philosophiques » généralement très savoureux, quoique un tantinet puérils à l’occasion, notamment quand la question de la religion entre en jeu (c’est régulièrement le cas, c’est un thème dominant du roman), mais peu importe : le plaisir reste intact, et c’est avec un constant sourire aux lèvres que l’on parcourt les divagations absurdes de Carmody et de ses interlocuteurs tous plus farfelus et nonsensiques les uns que les autres. Les jeux de logique auxquels on aboutit auraient de quoi réjouir un Lewis Carroll.
Un seul regret dans tout ça (minime) : une traduction qui a sans doute un peu vieilli, et qui aurait peut-être gagné à être dépoussiérée un chouia. Mais c’est vraiment pour pinailler.
Vous l’aurez compris, en ce qui me concerne, cette fois, avec La Dimension des miracles, nous sommes bien face à un grand classique de la science-fiction qui n’a pas usurpé sa réputation, et qui vaut toujours le détour aujourd’hui. Ce court roman se dévore en quelques heures à peine de pur bonheur, les pages défilent sans qu’on y prenne garde, et on arrive à la fin sans avoir vu le temps passer.
Que demande le peuple ? Une suite ? Ben figurez-vous qu’il y en a une, mais écrite bien des années plus tard : ça s’appelle La Dimension des miracles revisitée, et je vous en causerai un de ces jours…
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