"La Flamme Chantante", de Clark Ashton Smith
SMITH (Clark Ashton), La Flamme Chantante, [The Collected Fantasies of Clark Ashton Smith, vol. 2], nouvelle traduite de l’anglais (États-Unis) par Joachim Zemmour, Arles, Actes Sud, coll. Un endroit où aller, [1931] 2013, 107 p.
C’est bien simple : ils étaient trois. H.P. Lovecraft, Robert E. Howard et Clark Ashton Smith. La Sainte Trinité de Weird Tales (et d’autres pulps aussi, pour ce texte précisément, d’ailleurs). J’ai beaucoup lu le premier (sans déconner ?), pas mal le deuxième, quasiment pas du tout le dernier (juste ses nouvelles figurant dans les « Légendes du Mythe de Cthulhu », sauf erreur). Or cela faisait (du coup) très longtemps que je voulais lire du Clark Ashton Smith. Las, s’il fut pas mal traduit à une certaine époque (chez Néo, notamment), il est aujourd’hui quasiment impossible de mettre la main sur ces textes, accaparés par de perfides collectionneurs. Des années que j’en cherche (à des prix décents) sans en trouver. Aussi, quand Actes Sud a annoncé cette réédition dans une nouvelle traduction de La Flamme Chantante, j’ai quasiment sauté au plafond, et me suis empressé de faire l’acquisition de la chose. Et ce malgré un prix carrément prohibitif : 14 € pour une centaine de pages, ça relève quand même peu ou prou du foutage de gueule pur et simple. Mais bon, je ne suis pas en état de bouder : je voulais lire du Clark Ashton Smith, et j’en ai lu. Voilà. Et merci malgré tout.
Il y a Giles Angarth, auteur de fantastique, et son pote Ebbonly, illustrateur dans le même genre (un dédoublement de Clark Ashton Smith ?). Angarth s’est retiré dans un bungalow dans un trou perdu, non loin de Crater Ridge. Et, en se baladant dans les environs, il fait un jour une étrange découverte : deux pierres, qui donnent vaguement l’impression de débris de colonnes malmenés par le temps. Angarth aurait pu se contenter, comme précédemment, de laisser son esprit fantasque vagabonder sur ces étranges pierres, y cherchant des significations improbables, mais voilà : il passe entre les deux.
… et se retrouve propulsé dans un étrange monde parallèle, empli de créatures tout aussi étranges. Des pèlerins pour la plupart, sans doute, qui viennent rendre hommage à la Flamme Chantante, qui les attire comme des phalènes. Angarth résiste à la tentation de se jeter dans le feu ardent, mais n’en est pas moins sacrément perturbé (il faut dire qu’on le serait à moins). Dans les jours qui suivent, il revient plusieurs fois dans la cité de la Flamme, observant les déconcertants phénomènes qui s’y produisent.
Puis il disparaît, avec son comparse Ebbonly qui l’a rejoint, quasiment sans laisser de trace. Quasiment : il a laissé un journal adressé à son ami Hastane, qui relate l’étonnante découverte. Canular ? Récit authentique ? Hastane ne sait d’abord trop que penser. Mais après avoir livré à ses lecteurs le journal d’Angarth, il se rend à son tour à Crater Ridge, trouve les pierres, et…
Arrêtons-nous là. J’en ai probablement déjà trop dit…
Clark Ashton Smith, donc, était un correspondant de Lovecraft. Un de ses grands amis, même s’ils ne se sont jamais rencontrés. Le poète et fantastiqueur californien et le gentleman de Providence se sont à vrai dire mutuellement influencés. Et ça crève les yeux à la lecture de cette nouvelle datant de 1931. Si La Flamme Chantante évoque plus la fascination pour l’étrange que l’horreur pure, la parenté n’en est pas moins nette, et s’exprime dans un style chatoyant, que d’aucuns (on les comprend) pourront trouver abominablement chargé, souffrant de « l’adjectivite » souvent reprochée à Lovecraft. Mais votre serviteur, du coup, a l’habitude, avoue même bien aimer cette hérésie stylistique, et, dès lors, a pris beaucoup de plaisir à cette excursion dans un monde parallèle « grotesque » (le mot revient souvent, trop souvent, dans la traduction de Joachim Zemmour, qui n’exclut pas ainsi quelques répétitions sans doute plus fâcheuses en français qu’en anglais ; mais bon : ça reste dans l’ensemble du beau travail, avec un rendu délicieusement emphatique).
Aussi La Flamme Chantante prend-elle des allures de poème en prose. Riche en visions dantesques, le texte de Clark Ashton Smith se dévore, oscillant entre le pulp pur et dur et l’Art (oui, avec un grand « A »), démonstration éloquente que les deux sont loin d’être incompatibles. Mais, encore une fois, pour avoir beaucoup lu Lovecraft (…), je n’en doutais pas un seul instant. Toujours est-il que cette nouvelle de Clark Ashton Smith se joue des catégories, et devient une illustration sensible et forte de la Beauté (avec un grand « B », oui) (je mets des grands trucs si je veux).
Autant dire que je n’ai pas été déçu par cette lecture si désirée. Je n’espère désormais plus qu’une chose : que cette nouvelle traduction inaugure une nouvelle ère de publications de Clark Ashton Smith en français. Parce que, hein, bon, merde. Voilà.
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