"La Formation de la Terre du Milieu", de J.R.R. Tolkien
TOLKIEN (J.R.R.), La Formation de la Terre du Milieu, [The Shaping of Middle-Earth], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par Daniel Lauzon, Paris, Christian Bourgois, [1986] 2007, 408 p. [+ 4 p. de pl.]
Quatrième tome de « l’Histoire de la Terre du Milieu » (après les deux volumes du Livre des contes perdus et Les Lais du Beleriand, et avant La Route perdue), La Formation de la Terre du Milieu, au titre éloquent dans son double sens, est probablement le livre le plus aride de cette série qui l’est tout de même pas mal à la base. Et, je plaide coupable, je l’ai à l’occasion survolé…
Il faut dire que sa lecture dans la foulée des précédents (et encore, il y avait eu Le Silmarillion et les Contes et légendes inachevés juste auparavant…) était probablement une mauvaise idée, dans la mesure où il s’agit à bien des égards d’une élaboration progressive, sous forme de synthèse souvent lapidaire, du « Légendaire » du Premier Âge, reprenant dès lors tout ce qui avait été développé auparavant de manière très abrupte, et augurant ainsi de ce qu’allait devenir Le Silmarillion. Dès lors, si l’on ne peut que reconnaître qu’il s’agit d’une étape fondamentale dans l’élaboration de l’histoire de la Terre du Milieu (et qui prend place à un autre moment fondamental, puisque ces textes ont été rédigés entre la composition des Lais du Beleriand et celle, qui devait changer la donne, de Bilbo le Hobbit), on avouera tout de même que sa lecture, surtout ainsi entourée, a quelque chose de passablement fastidieux.
Passons rapidement sur les quelques fragments en prose postérieurs aux Contes perdus (qui, du coup, font quelque peu figure d’intrus dans ce volume, placés là parce qu’on ne savait pas les placer ailleurs). Le gros de l’ouvrage est consacré à des textes dessinant le futur Silmarillion sous la forme que l’on connaît, entendre par là celle d’une synthèse d’un corpus plus vaste. Mais ce caractère de synthèse est ici particulièrement affirmé, bien plus que dans Le Silmarillion publié, ce qui nous vaut des textes secs, dénués de dialogues, résumés laconiques de la grande fresque ébauchée dans Le Livre des contes perdus de manière autrement développée, et dont le cadre (la « chaumière du jeu perdu ») est définitivement abandonné, même si l’on y trouve encore, comme une hésitation, mention d’Eriol ou d’Ælfwine (et donc du projet initial de « mythologie pour l’Angleterre » si fondamental dans les Contes perdus).
Nous trouvons tout d’abord « l’Esquisse de la Mythologie », ou « Premier Silmarillion ». Ce court texte synthétique, destiné semble-t-il à présenter le fond des Lais du Beleriand, mais qui constitue tout autant un document de travail, une référence en somme, présente en quelques pages toute l’histoire du Premier Âge. Il est suivi de la « Quenta », ou « Quenta Noldorinwa », plus détaillée (c’est le plus long chapitre de ce quatrième volume, a fortiori si l’on tient compte des notes et commentaires de Christopher Tolkien), mais encore très sèche, et plus proche de son alter-ego de La Route perdue que de la forme finale du Silmarillion. Dans le même esprit de sécheresse et de référence (poursuivi à nouveau dans La Route perdue), on trouve en fin de volume « Les Premières Annales du Valinor » et « Les Premières Annales du Beleriand » : tout est dans le titre, il s’agit donc ici de décrire les événements dans l’ordre chronologique, année après année. Autant de textes cruciaux pour Tolkien lui-même dans son travail, et qui ont pu lui servir à approcher les éditeurs pour leur présenter son grand-œuvre « elfique », mais qui, pour le lecteur contemporain lambda, sont d’un abord plutôt pénible… Ils ne sont à vrai dire « intéressants », au-delà de leurs qualités propres admises et répétées, que pour les plus acharnés des exégètes tolkieniens, désireux de se lancer dans une entreprise exhaustive de comparatisme entre les différents états des récits des Jours Anciens ; ce qui n’est pas vraiment mon cas… et à vrai dire encore moins dans le cadre forcément restreint de ce compte rendu, où il ne m’apparaît pas opportun de me lancer dans de savantes dissertations sur, disons, la généalogie des Gnomes, ou encore les histoires parallèles de Nargothrond, Doriath et Gondolin, etc.
Je passe donc aux documents plus brefs qui constituent le milieu du volume, et qui éclairent sous un autre jour ce titre de Formation de la Terre du Milieu. C’est à dessein que je parle de « documents », dans la mesure où il ne s’y trouve véritablement qu’un seul texte, « L’Ambarkanta ou Forme du Monde », complexe (quand bien même très brève, la densité de règle dans ce volume est ici particulièrement impressionnante) description cosmogonique de la Terre du Milieu (et l’on comprend enfin la justification de ce terme, qui n’a jamais été aussi bien explicité qu’en ces pages) et de ce qui l’entoure. Faut tout de même vouloir se le farcir, même si c’est probablement, d’un point de vue « objectif », le texte le plus enrichissant de cette Formation de la Terre du Milieu… Parallèlement, on trouve un certain nombre de cartes, plus ou moins lisibles, qui constituent néanmoins de précieux documents pour la cosmogonie et la géographie tolkieniennes, la plus importante étant (là encore document de référence fondamental) « La Première Carte du Silmarillion », en couleurs sur deux planches centrales. Ici encore plus que pour les premiers états du Silmarillion, il me semble inopportun de me lancer dans une entreprise comparative pour ce compte rendu, même si les complexes notes de Christopher Tolkien, érudites comme de juste, sont là encore des « pousse-au-crime ». Je noterais juste en passant, car cela a forcément retenu mon attention, que le premier nom du Beleriand, longtemps conservé, était ici « Broseliand »…
Mais vous voilà prévenus : si La Formation de la Terre du Milieu a pleinement sa raison d’être en tant qu’ensemble de documents fondamentaux pour la genèse de l’œuvre tolkienienne, c’est néanmoins un volume d’un abord difficile, et qui ne se montre clairement pas satisfaisant sur le pur plan littéraire. J’avais dit que les Contes perdus ne constituaient pas une lecture « récréative », et le maintiens ; la fascination jouait à terme, cependant, et l’on pouvait à bon droit se régaler de la créativité tolkienienne dans son premier état, et même de sa langue si particulière, quand bien même on y achoppait régulièrement. Ici, cette expression paraîtrait cependant bien faible, voire carrément inappropriée, dans la mesure où nous ne sommes pas dans la littérature, mais dans la documentation. Si les exégètes les plus enthousiastes (que je pense comprendre tout en n’en étant pas moi-même un) y trouveront leur bonheur, les « simples » lecteurs pourront à bon droit faire l’impasse sur cette somme aride ; ce qui est assez vrai de la plupart des volumes de « l’Histoire de la Terre du Milieu », certes, mais jamais autant qu’ici.
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