"La Guerre olympique", de Pierre Pelot
PELOT (Pierre), La Guerre olympique, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, 1980, 319 p.
Suite de ma découverte des œuvres SF de Pierre Pelot. Après, il y a peu, le tout à fait recommandable Fœtus-party, passons donc à La Guerre olympique (probablement un des plus célèbres romans de science-fiction de l’auteur ; en tout cas, ça faisait un moment que je comptais le lire). Et, cette fois, je peux bien le dire d’ores et déjà, nous sommes bien en présence d’un excellent roman, aussi pertinent que palpitant. Un véritable modèle du genre. Qui, pourtant, repose sur un postulat a priori absurde, mais que l’on adopte vite sans soucis, en suspendant très volontiers son incrédulité. Comme dans la meilleure SF, quoi.
Nous sommes en 2222. Le monde a finalement peu changé depuis notre époque (ou plus exactement depuis 1980, date de publication du roman). L’humanité n’est pas partie à la conquête de l’espace (Lune exceptée, où l’on trouve des hôpitaux psychiatriques), et la Terre est surpeuplée, avec environ 15 milliards d’habitants (comme dans Fœtus-party, tiens). Technologiquement, rien n’indique véritablement un grand bond en avant.
Mais nous sommes, depuis 2200, à l’ère de la GUERRE OLYMPIQUE. La Terre est en effet scindée pour l’essentiel (il reste bien quelques non-alignés) en deux blocs : d’un côté, les libéraux, les BLANCS ; de l’autre, les socialo-communistes, les ROUGES. Si, idéologiquement, les positions des deux camps semblent irréconciliables (mais, au travers d’un des personnages, on pourra en douter…), il n’en reste pas moins qu’ils se sont mis d’accord pour adopter un mode original de résolution des conflits. Plutôt que de se livrer à une guerre « traditionnelle », avec tout ce que cela implique, les deux antagonistes se livrent donc à la GUERRE OLYMPIQUE. Tous les deux ans, des champions BLANCS et ROUGES se retrouvent et s’affrontent aux cours d’Olympiades violentes, virant au combat de gladiateurs.
Mais la compétition a des conséquences dépassant largement la seule confrontation sportive. En effet, chaque victoire à une épreuve (course piégée, lancer de hache, etc.) confère des points, tandis que la défaite débouche sur l’exécution automatique d’un certain nombre d’indésirables dans le camp vaincu, parias, criminels ou éléments subversifs qui se sont vus implanter une mini-bombe dans le crâne, et suivent avec une attention renforcée par la terreur les épreuves sur les Champs d’honneur (BLANCS) ou les Champs d’expiation (ROUGES). Pour cette 12e GUERRE OLYMPIQUE, les ordinateurs qui préparent tout ça tablent sur une fourchette d’environ 10 millions de morts en tout. C’est beaucoup moins qu’une « vraie » guerre, non ? À l’évidence, c’est donc là la solution idéale.
Le roman suit pour l’essentiel quatre personnages. On commence avec Pietro Coggio, champion BLANC, Français d’origine italienne, « acheté » à ses parents à l’âge de six ans pour en faire une bête de compétition. Un peu concon, mais sacré sportif. En fait, à partir du combat de lutte sur lequel s’ouvre le roman, et au cours duquel il massacre son adversaire chinois, on n’en doute plus (d’autant qu’il a déjà remporté deux autres épreuves) : il sera du Grand Parcours des Héros qui clôt la GUERRE OLYMPIQUE. Il a été dressé pour ça, faut dire. Entouré par un trio de préparateurs (entraîneur, médicopsy, soigneur-dopeman), Coggio fait preuve d’une habileté sans pareille qui le destine à en faire un grand nom de la compétition sportive.
Virginia Vorane est la petite amie de Coggio. Mais il n’est pas facile pour les deux de se voir au cours de la GUERRE OLYMPIQUE (pour des raisons de sécurité, vous comprenez ?). Mal à l’aise, elle ne fête même pas avec son amoureux sa victoire à la lutte, dernière occasion pour elle de le voir avant la fin de la compétition, ce qui passe mal et soulève quelques suspicions. Enfermée dans un appartement où elle est harcelée par la presse et sous la surveillance permanente de la Sécurité, la jeune femme, typique à en croire certains de la fiancée de champion, attend et redoute la performance de Coggio le Héros.
Yanni Bog Bonnefaye est français. Il y a peu encore jeune homme bien sous tous rapports, il a eu le malheur de tomber dans la sédition, distribuant des tracts très critiques à l’encontre du système et notamment de la GUERRE OLYMPIQUE. Ce qui lui a valu une condamnation, et donc l’implantation d’une mini-bombe. Les ROUGES l’emportent largement sur les BLANCS dans la première partie de la compétition, mais Yanni a survécu jusque-là. Reste néanmoins le Grand Parcours des Héros : à la fin de celui-ci, tous les condamnés du camp perdant meurent… Il suscite la curiosité de la journaliste américaine Slim O’Aokey, qui lui propose de le suivre, façon télé-réalité, durant les derniers jours de la GUERRE. Yanni commence par refuser, puis se plie au jeu ; l’occasion pour lui de confier ses craintes et ses rancœurs…
Reste enfin le Hongrois Mager Cszorblovski. Lui aussi est un condamné, mais du camp ROUGE, et droit commun (il a tué sa compagne). Cet ancien artiste comique redoute le Grand Parcours des Héros. Aussi cherche-t-il à s’assurer les services d’un « coupeur de têtes » à même d’ôter la mini-bombe dans son crâne…
Des Olympiades antiques aux contemporaines, en passant par les jeux du cirque, les tournois et les matchs de foot, sport et politique ont toujours entretenu des relations serrées, et hélas souvent douteuses. On ne m’ôtera pas de l’idée (d’ailleurs, suffit de me regarder…) qu’il y a quelque chose de fondamentalement pourri et vicieux dans le sport. Sans nécessairement aller jusqu’aux Dieux du stade (je parle du film de Leni Riefenstahl, pas du calendrier, mais à la limite…), et même si j’aurais bien envie de dire, à ma manière péremptoire, que c’est un truc de fafs, il suffit d’ouvrir les yeux pour constater ces liens : je me souviens, en 1998, du regain de popularité de Jacques Chirac suite à la victoire de la France à la coupe du monde de football (et, la même année, la très sérieuse revue politique Pouvoirs avait consacré un numéro entier, d’ailleurs passionnant, au foot…) ; et est-il nécessaire d’évoquer les enjeux de la désignation de telle ou telle ville pour les Olympiades ? Par ailleurs, si Nébal n’aime pas le sport et les sportifs, hors dimension purement ludique (malgré tout, j’ai donné…), il aime encore moins les supporters, brutes nationalistes à plus ou moins grande échelle, obunbilées par le légendaire « On a ga-gné ! », réflexe qui m’a toujours dépassé… Dès lors, le regard critique porté par Pierre Pelot sur les liaisons dangereuses entre sport et politique ne pouvait que me parler.
Ou presque. J’avoue, dans un premier temps, avoir émis quelques réserves, tant le postulat du roman peut, à le prendre au pied de la lettre, sembler absurde. Mais ces doutes ont été vite balayés par le talent remarquable de Pierre Pelot, qui traite de son sujet avec une pertinence des plus appréciables. La Guerre olympique est en effet un roman d’une grande intelligence (dans tous les sens du terme), qui sait pointer avec une astuce diabolique qui n’a d’égale que sa lucidité les collusions les plus abjectes du sport et de la politique. Le roman a de faux airs de fable noire, très noire, et se montre terriblement efficace.
C’est à l’évidence l’œuvre d’un grand écrivain, maître dans l’art de tenir ses lecteurs en haleine. Le lecteur, bon gré mal gré, vibre devant les exploits de Coggio, et tremble à chaque épreuve – et a fortiori lors du stupéfiant Grand Parcours des Héros –, tremble avec et pour Yanni et Mager ; après tout, l’un des deux au moins est destiné à périr… Pierre Pelot retranscrit à merveille l’excitation comme la peur qui imprègnent les rencontres sportives, à ceci près que les enjeux sont ici fatals, ce qui ne fait qu’en rajouter une couche.
Le roman, fort bien écrit – un style fluide, élégant dans sa simplicité –, se dévore tel un page-turner, sans abêtir pour autant. Leçon d’écriture maîtrisée et intelligente, La Guerre olympique est un excellent roman, aussi pertinent qu’haletant. Il jette un regard sans concession sur notre triste monde tragique, et le tableau qu’il dépeint, 32 ans plus tard et en dépit de la fin de la guerre Froide, n’a rien perdu de son actualité. Preuve s’il en était encore besoin du grand talent de Pierre Pelot.
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