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"La Maison du Cygne", d'Yves & Ada Rémy

Publié le par Nébal

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RÉMY (Yves & Ada), La Maison du Cygne, Paris, Robert Laffont – Presses Pocket, coll. Science-fiction, [1978] 1986, 282 p.

 

Dix ans après l’extraordinaire    Les Soldats de la mer, sept ans après Le Grand Midi qu’il me faudra bien lire un jour, les si rares Yves & Ada Rémy ont publié, dans la collection Ailleurs & Demain, La Maison du Cygne, un roman de science-fiction cette fois, couronné par le Grand Prix de l’Imaginaire, mais qui devait longtemps rester leur dernière parution (depuis, il y a eu  Le Prophète et le vizir, qu’il vous faut, bien entendu). Mon enthousiasme pour les œuvres précitées et pour leurs si sympathiques auteurs devait nécessairement m’amener un jour à lire ledit livre – et il va de soi que je ne saurais en traiter de manière totalement objective, du fait des publications des Rémy chez Dystopia, vous êtes prévenus. C’est aujourd’hui chose faite. Reste à trouver les mots pour en parler…

 

La première partie du roman se déroule dans la citadelle d’El Golem, au cœur du désert mauritanien. Sous la houlette d’un Maître aussi mystérieux qu’affectueux, 25 enfants de toutes origines y sont élevés, loin des regards. Ils dépendent de la Maison du Cygne, constellation engagée dans une lutte millénaire avec celle de l’Aigle, lutte dont on ne connaîtra véritablement l’enjeu et les modalités qu’à la toute fin du roman. Là, les enfants apprennent à développer leurs pouvoirs psioniques, afin de servir au mieux les intérêts du Cygne. Pour les enfants, le castel est tout d’abord un lieu idyllique, une utopie de l’éducation parfaite, où exercices étranges et jeux farfelus rythment une vie heureuse et sans questionnement. Pourtant, de temps à autre, un enfant disparaît dans le désert, ou subit un sort étrange au sein même de la citadelle que l’on croyait à l’abri de toute attaque. Le Maître le leur dit : il faut y voir les actions malintentionnées de l’Aigle, leur ennemi de toujours. Aussi doivent-ils être sur leurs gardes…

 

Mais vient l’adolescence, et avec elle les interrogations existentielles… et la révolte. Chez le jeune Passy, notamment, qui, après avoir mis en doute la réalité de l’Enseignement Nocturne, en arrive à se poser la question de l’existence même du castel et de ses habitants. C’est que les révélations de l’Ordonnateur du Cygne sur leurs « rêves » ont chamboulé le quotidien des enfants d’El Golem. Et trop de questions restent en suspens… Qu’est-ce, au juste, que le Cygne ? Qu’est-ce que l’Aigle ? Quel est ce plan dans lequel les enfants instrumentalisés jouent un rôle, et quel est ce rôle ? Pourquoi ces « rêves », pour Passy celui d’un jeune Français du nom de François Vost, qui n’a jamais entendu parler du castel, et vit une vie banale dans une famille banale de Passy ? Qu’est-ce que la réalité, dans ce monde où tout semble illusoire ? Et l’ambiance utopique des premières années d’El Golem de laisser la place à l’angoisse, au doute, au reniement. Viendra plus tard le temps des réponses… et des regrets.

 

Si Yves & Ada Rémy délaissent ici le fantastique pour la science-fiction, on reconnaît néanmoins leur patte si particulière, au travers de leur plume sophistiquée, de leur style très ciselé ; un peu trop, d’ailleurs, à mon sens, surtout au début de la seconde partie (où certains dialogues sont franchement trop ampoulés en ce qui me concerne ; autant vous prévenir, c’est la seule « critique » que je me sens en mesure d’adresser à ce livre). Les images sont marquantes, l’ambiance superbe, et le propos aussi intrigant qu’intelligent.

 

Bien loin de se cantonner au registre de « l’histoire secrète » avec le conflit insidieux opposant le Cygne et l’Aigle (dont les implications philosophiques sont néanmoins très intéressantes, et fort troublantes), La Maison du Cygne se révèle avant tout être un très beau roman sur l’enfance, l’adolescence et le passage à l’âge adulte. La destinée des enfants d’El Golem, et plus particulièrement de Passy, est ainsi l’occasion de livrer une réflexion subtile sur l’éducation, qui évoque avec brio les rêves utopiques en la matière, aussi bien ceux de la littérature classique que les expériences concrètes d’enseignement alternatif. Mais la perfection du castel mauritanien est bientôt mise en doute, et c’est, au-delà, l’instrumentalisation de l’enfance qui est questionnée, d’une enfance formatée même si d’une manière originale, et considérée avant tout pour son potentiel « utile ».

 

La révolte adolescente y est aussi superbement décrite, avec des mots qui touchent, des images fortement évocatrices. Il y a de la parabole dans le destin de Passy/François Vost et dans ses interrogations si légitimes sur sa place dans l’univers. Le lecteur, à n’en pas douter, s’y retrouvera, y observera avec une fascination mêlée d’angoisse son propre reflet dans un miroir par nature trompeur.

 

Puis viendra le temps de la nostalgie, des regrets… Ce qui nous vaudra une conclusion absolument magnifique (qui rachète à merveille les quelques écueils stylistiques du début de la seconde partie, mentionnés plus haut).

 

Aussi l’argument science-fictif, pour intéressant qu’il soit, n’est-il largement à mes yeux qu’un prétexte, plus que jamais. La Maison du Cygne relève bien du genre, et mérite amplement sa récompense ; c’est un très bon roman de science-fiction, oui. Mais il s’inscrit dans une lignée utopique et fabuleuse qui dépasse le seul champ science-fictif, et les pouvoirs psioniques qui en sont ici le principal « cliché » ne jouent finalement qu’un rôle limité dans l’histoire, de même que la lutte entre le Cygne et l’Aigle est en définitive ramenée à des considérations toutes terrestres, n’impliquant pas véritablement, si ce n’est pour les besoins de la fable, de conjuration venue d’ailleurs. C’est l’humain qui intéresse ici les auteurs, un humain mis à nu, dans sa fragilité comme dans son potentiel. Et, ce qui marque, c’est bien cette subtile, et aussi tendre que douloureuse, évocation des années perdues de la prime jeunesse, avec tout ce qu’elles impliquent de joies comme de peines, d’espoirs comme de peurs.

 

Je ne vous cacherai pas que j’ai cependant largement préféré Les Soldats de la mer à La Maison du Cygne : les Rémy me semblent plus à l’aise dans le format de la nouvelle comme dans le registre du fantastique, et leur style si particulier s’y déploie à meilleur escient à mon sens. Mais ce roman est néanmoins des plus intéressants, et mérite bien qu’on s’y attarde ; c’est à n’en pas douter un des très grands romans de la science-fiction française.

 

Voilà : décidément, j’aime, j’adore les Rémy. Non, je ne suis pas objectif. Mais je m’en passe très bien, merci.

CITRIQ

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G
Encore un Ailleurs et demain.<br /> <br /> Et pas un mot sur l'affreuse couverture?<br /> On a connu Nébal plus virulent.
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