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"Là où dansent les morts", de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

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HILLERMAN (Tony), Là où dansent les morts, [Dance Hall of the Dead], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1973, 1986] 2006, 249 p.

 

Là où dansent les morts est le deuxième roman consacré par Tony Hillerman à ses flics Navajos (à l’époque, le seul lieutenant Joe Leaphorn, déjà fabuleusement charismatique, comme une sorte de « force tranquille »), et, celui-là, je suis à peu près sûr d’en avoir entendu parler il y a de ça un bail : ce beau titre me disait quelque chose, et je pense qu’il figurait sur la bibliographie que nous avait recommandée mon excellent professeur d’ethnologie juridique, comme une manière ludique de s’initier à l’ethnologie. Ce serait à bon droit, en tout cas : déjà, à l’époque, Tony Hillerman, dans la lignée d’Arthur Upfield, mêlait à ses intrigues policières un arrière-plan ethnologique remarquablement fourni et tout à fait passionnant. En fait, des romans que j’ai pu lire de cet auteur jusqu’à présent, c’est probablement celui où l’ethnologie a le plus d’importance. Et je ne vais certainement pas m’en plaindre, dans la mesure où c’est ce « plus » incontestable qui me séduit chez cet auteur de polar, genre qui ne m’avait jamais vraiment enthousiasmé jusqu’alors, mais que je suis amené à découvrir petit à petit en compagnie de Joe Leaphorn, Jim Chee et compagnie.

 

Le roman se déroule aux environs du village de Zuñi, habité par les Indiens du même nom, qui ne s’entendent guère avec les Navajos des alentours, du fait d’une haine ancestrale qui mettra quelques bâtons dans les roues du lieutenant Joe Leaphorn. Celui-ci est pourtant amené à enquêter dans cette région, ainsi que toute une panoplie de représentants de la loi émanant de diverses institutions concurrentes (FBI et DEA compris), du fait des circonstances mystérieuses d’une double disparition. Le jeune Dieu du Feu Zuñi (c’est-à-dire Ernesto Cata, l’adolescent chargé d’incarner son rôle lors de prochaines festivités) a en effet disparu, laissant derrière lui une trace de sang ; le lendemain, c’est son ami Navajo George Bowlegs, que tout le monde s’accorde à considérer comme un peu fou, qui prend la fuite. Est-il responsable de la mort de Cata ? A-t-il vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir ? Et pourquoi a-t-il attendu le lendemain pour fuir, dans tous les cas ? Joe Leaphorn se met sur la trace du jeune Bowlegs, âgé de 14 ans, et entend bien mettre la main sur ce Navajo désireux de « devenir Zuñi » au plus tôt.

 

Pour ce faire, il ne dispose guère de pistes : le père de Bowlegs est un alcoolique indécrottable, son petit frère Cecil n’est guère loquace. Restent, en sus des Navajos (que Bowlegs ne fréquentait pas) et des Zuñis (qui ne se montrent guère coopératifs), deux « tribus » d’un genre bien particulier qui pourraient lui être d’un précieux secours : des anthropologues d’un camp de fouilles voisin qu’aimaient à fréquenter les deux adolescents, et une petite communauté de hippies (« die, hippie, die ! ») qui s’est installée sur la réserve Navajo, dans un hogan que l’on dit hanté.

 

Mais il s’agit de faire vite : si Bowlegs n’est pas le tueur, alors il y a fort à parier que ce dernier – un esprit vengeur ? – est sur ses traces… Et s’engage ainsi une impitoyable et haletante chasse à l’homme dans les montagnes enneigées de la région de Zuñi, chasse à l’homme qui pourra conduire Joe Leaphorn « Là où dansent les morts », c’est-à-dire aux Paradis selon les Zuñis…

 

Là où dansent les morts a remporté l’Edgar (prix du meilleur roman policier publié aux Etats-Unis) en 1973, et on ne s’en étonnera pas : c’est un vrai petit bijou de roman noir. Ce livre, court mais dense, est en effet passionnant et pertinent de bout en bout. S’il ne brille pas par les qualités stylistiques, il est néanmoins d’une lecture remarquablement fluide, et l’on tourne les pages sans même s’en rendre compte ; les personnages sont par contre fort bien campés, Joe Leaphorn en tête, et l’on ne peut que s’intéresser à leur sort ; l’enquête, enfin, est astucieuse, et débouche sur une conclusion étonnante et tout à fait satisfaisante (j’ai souvent du mal avec les conclusions des polars, mais là j’applaudis des deux mains) (il faut dire que d’une seule, c’est pas évident).

 

Mais ce qui fait bien entendu la force de Là où dansent les morts, et sa singularité, c’est l’imbrication extrême de l’ethnologie dans la trame policière : ce roman est une passionnante plongée dans la mythologie Zuñi (pour l’essentiel, mais on pourrait dire qu’il s’agit de mythologie comparée), mais aussi dans le lointain passé des Amérindiens, du fait des fouilles des anthropologues auxquelles on assiste. Les développements ethnologiques sont savoureux, sans jamais sombrer dans un pénible didactisme, d’autant qu’ils sont dans un sens mis en abîme, et servent indéniablement le propos policier : nulle gratuité n’est à craindre dans ce roman où le moindre mot est pesé.

 

Savamment construit, enthousiasmant et enrichissant du début à la fin, Là où dansent les morts est pour le moment le meilleur roman de Tony Hillerman que j’ai pu lire. En tout cas, il m’a donné sacrément envie de poursuivre l’aventure. Je n’ai donc pas fini de vous parler de cet auteur tout à fait remarquable…

CITRIQ

Commenter cet article

L
<br /> Un Hillerman c'est un rayon de soleil. Un des seuls auteurs que je relis pas pour l'histoire que je connais déjà mais pour ce monde des Navajos, et des amérindiens, qui me fascine.<br /> <br /> Le Papou<br /> <br /> <br />
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