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"La Parallèle Vertov", de Frédéric Delmeulle

Publié le par Nébal

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DELMEULLE (Frédéric), La Parallèle Vertov, préface de Gérard Klein, Paris, Mnémos – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [2010] 2011, 473 p.

 

Voilà un livre qui aura connu une drôle d’aventure éditoriale. Initialement intitulé Nec Deleatur, il est refusé par un paquet d’éditeurs, dont Gérard Klein pour sa collection Ailleurs & Demain. Et c’est chez l’obscur et improbable Éditeur Indépendant que sortira ce titre. Gérard Klein, qui avait déjà remarqué et recommandé l’ouvrage sans le prendre pour autant (on jugera pertinentes ou non ses raisons, qu’il expose dans une préface qu’il vaut mieux lire en postface, même si elle se montre essentiellement « généraliste »), attire alors l’attention sur ce roman, notamment en en parlant, si mes souvenirs sont bons, sur le Cafard cosmique. Il faut croire que ça marche, puisque le roman est repris chez Mnémos, sous le nouveau titre La Parallèle Vertov. Et il est très vite repris en poche par – devinez – Gérard Klein, au Livre de poche Science-fiction.

 

Un roman qui traite du voyage dans le temps. Donc, très probablement, un roman qui fait mal à la tête – c’est courant avec ce thème, tant les paradoxes qu’il suscite sont éprouvants, je ne vous ferai pas l’affront de les rappeler ici. Et aussi un roman qui s’aventure sur un terrain très balisé, pour ne pas dire rebattu : depuis la séminale Machine à explorer le temps de Wells, on a beaucoup écrit (et lu) sur le sujet. Peut-on encore, aujourd’hui, faire quelque chose d’un tant soit peu original et palpitant à ce propos ? Eh bien, il semblerait que oui…

 

Nous sommes en 1910. Trois frères meurent dans des circonstances bizarroïdes en Angleterre. Deux journalistes, un Français et un Anglais, mènent l’enquête.

 

Nous sommes en 1993. Un homme qui se présente sous le nom de Campbell (…) fait l’achat… d’un sous-marin nucléaire soviétique, le Dziga Vertov (et ce n’est pas la seule allusion cinématographique de ce roman…). Pourquoi pas, hein ?

 

Nous sommes de nos jours (enfin, presque) (eh eh). Child Kachoudas – pourrait pas s’appeler Pierre Dupont, comme tout le monde ? –, historien mais plus exactement « recherchiste », se voit confier une mission par son oncle, José-Luis de Almédia (pourrait pas, etc.), qui lui demande de visionner les archives des funérailles d’Édouard VII en 1910, en regardant attentivement la foule. Child s’exécute, et remarque – il ne pouvait pas le manquer – un homme qui lance un coup d’œil vers la caméra : de toute évidence, il s’agit de son oncle… Ce qui est bien évidemment impossible.

 

Sauf que le bonhomme a découvert le voyage dans le temps ; et qu’il utilise pour ce faire le Vertov (pourquoi pas, hein ? d’autres ont bien utilisé une DeLorean ou une cabine téléphonique…). Et l’oncle et le neveu de s’embarquer pour Sélinonte en 117 après Jean-Claude, dans l’espoir d’y entrevoir Trajan, comme décrit dans une scène des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar (qu’il faut que je lise, ça peut plus durer).

 

Bien évidemment, ça ne se passe pas très bien. Et l’oncle et le neveu de se dire qu’ils ont commis une grosse boulette aux conséquences incommensurables…

 

La Parallèle Vertov démontre que oui, on peut bel et bien écrire encore de nos jours des trucs intéressants à propos du voyage dans le temps. Mais il faut dire qu’il se montre pour ce faire sacrément malin (un peu trop, même, parfois – et là, du coup, ça ne marche plus…), et promène son lecteur avec astuce tout au long d’une trame savamment orchestrée, encore que la construction puisse paraître quelque peu critiquable à l’occasion.

 

Le roman est en effet loin d’être parfait. S’il se montre toujours intelligent, il accuse à l’occasion quelques coups de mou. Je dois dire que le début du roman, avec les intrigues du XXe siècle, m’a paru particulièrement brillant, et qu’il m’a semblé très intéressant d’envisager ainsi la problématique du voyage dans le temps « de l’extérieur », en quelque sorte ; aussi, quand débute l’aventure plus conventionnelle de Child et de son oncle, j’ai été – temporairement (eh eh) – un peu déçu, d’autant qu’elle adopte un ton plus léger que ce qui précède, à plus ou moins bon droit. Mais Frédéric Delmeulle, qui use d’une plume simple mais efficace et même assez jubilatoire, finalement, récupère malgré tout assez vite son lecteur, et c’est avec un plaisir, certes pas constant, mais bien réel, que l’on suit l’épopée des deux hommes sur La Parallèle Vertov.

 

Sans être révolutionnaire, ce premier tome des « Naufragés de l’Entropie » sait renouveler le thème éculé du voyage dans le temps, et ouvre des perspectives fascinantes – comme un vrai bon bouquin de SF, quoi. Ce qu’il est, à n’en pas douter, malgré ses quelques faiblesses. Type même du divertissement intelligent, La Parallèle Vertov propose en outre une belle réflexion sur l’histoire – puisque c’est de voyage dans le passé qu’il s’agit ici, ce qui, dans un sens, inscrit ce roman dans la filiation de « La Patrouille du temps » de Poul Anderson… mais pour mieux en prendre le contre-pied en définitive. Ce qui est assez audacieux, mais finalement très convaincant.

 

Frais, efficace et stimulant, malgré quelques défauts « de jeunesse », c’est là un roman tout à fait recommandable. Il méritait bien, effectivement, que l’on attire l’attention à son sujet, et on ne peut qu’espérer que cette nouvelle vie en poche lui permettra d’obtenir tout le succès qu’il mérite.

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