"La Sagesse de l'éditeur", de Hubert Nyssen
NYSSEN (Hubert), La Sagesse de l’éditeur, Paris, L’Œil neuf éditions, coll. Sagesse d’un métier, 2006, 111 p.
Dans les jours qui arrivent, ce blog (miteux, oui) va connaître une tournure un peu particulière. En effet, dans l’espoir (?) d’intégrer éventuellement l’an prochain un Master 2 Politiques éditoriales à Paris, il me faut constituer un dossier pour lequel on me demande trois fiches de lectures prises dans une bibliographie bien précise se rapportant au métier d’éditeur. J’ai sélectionné quatre titres dans cette bibliographie, du plus court au plus long (notes non incluses) : La Sagesse de l’éditeur de Hubert Nyssen, donc ; Une histoire de la lecture d’Alberto Manguel ; La Traversée du livre de Jean-Jacques Pauvert ; et enfin Gaston Gallimard. Un demi-siècle d’édition française de Pierre Assouline. Priorité au travail : ce sont donc ces livres-là qui feront l’objet des prochains comptes rendus de lecture auxquels je me livrerai sur ce blog. J’ai cependant préféré vous épargner de trop scolaires fiches de lecture, pour me livrer à des comptes rendus plus traditionnellement nébaliens, qui me serviront en gros de brouillons…
Adonc, pour commencer cette odyssée littéraire, j’ai choisi un ouvrage très court, mais bien plus intéressant qu’il n’en a l’air au premier abord… qui a de quoi faire peur : la collection « Sagesse d’un métier » se demande en effet « si la pratique d’un métier était aussi un parcours initiatique, un chemin vers la connaissance de soi et du monde ? » Beuh… Quand on voit le catalogue, on n’est pas beaucoup plus rassuré (j’aime beaucoup, dans les « à paraître », La Sagesse de la courriériste du cœur… mais vous allez encore dire que je suis cynique).
Il est pourtant une chose qui tend ici à nous réconforter d’entrée de jeu, et c’est l’auteur lui-même : Hubert Nyssen, romancier et essayiste, est avant tout le fondateur des éditions Actes Sud, et c’est bien ce qui nous intéresse ici. Or, Actes Sud, je sais pas vous, mais moi, j’aime bien (ne serait-ce que pour Paul Auster et Yoko Ogawa, entre autres). Et l’auteur a tôt fait de nous rassurer sur ce qu’il entend par « sagesse », dès le premier chapitre : formé à l’école d’Érasme, il ne saurait la concevoir autrement, pour l’éditeur en tout cas, que comme une « folie », et il y reviendra maintes fois au cours de ce bref ouvrage. Aussi ne manque-t-il pas, dans un sens, de tordre quelque peu le propos de la collection, après avoir rappelé que ce métier est généralement et pour l’essentiel appris sur le tas (p. 9) :
« Alors, à quoi bon parler d’une sagesse de l’éditeur ? Ce serait postuler qu’il en est une, qu’elle lui est immanente, qu’elle a ses codes et qu’elle est transmissible. Pour éviter ce mensonge inaugural et cependant aborder le « parcours initiatique », le mieux est encore de ne pas se détourner de cette folie qui est source d’audace parce qu’elle a pour effet de libérer de la contrainte des réalités ceux qui en sont ou s’en font la proie. Et de céder au plaisir d’un livre d’humeur. »
Ce que sera en définitive cette Sagesse de l’éditeur, mêlant souvenirs et considérations théoriques tenant davantage de l’essai et des « pensées » que de la réflexion longuement mûrie ou de l’analyse solidement argumentée. Ce qui, pour n’avoir pas l’air très sérieux, n’en est pas moins agréablement rafraîchissant de par sa spontanéité, et n’exclut pas à l’occasion quelques belles idées.
Mais on avouera bien vite qu’avec Hubert Nyssen, nous ne sommes sans doute pas avec n’importe quel éditeur. Certes, tout n’est peut-être pas à prendre au pied de la lettre ici, et peut-être la réalité se montre-t-elle plus sordide, mais le fait est qu’il se dépeint ici en éditeur « à l’ancienne », aurait-on envie de dire, dans un sens « utopiste », par certains côtés ; mais « passionné » serait sans doute le mot le plus juste. Bien loin des margoulins qui font du livre un objet de consommation comme les autres, qu’il ne cesse de vilipender, ou de ces prétendus « éditeurs » – les mêmes probablement – qui avouent benoîtement « n’avoir pas le temps de lire ». Hubert Nyssen, lui, se veut, et par-là même se décrit en décrivant le type-idéal de l’éditeur, un « découvreur » et un « passeur » ; mais il ne viendra que tardivement au rôle de « passeur » (ou de « contrebandier »…).
Intéressons-nous donc d’abord à « l’art de la découverte », qu’il illustre chez Actes Sud par trois fameux exemples (p. 25) : « un oubli, un refus, un pari ». L’oubli, ce fut Nina Berberova, le premier grand succès d’Actes Sud, avec notamment L’Accompagnatrice ; le refus, ce fut bien entendu Paul Auster, qui connut le succès d’abord en France grâce à Actes Sud, puis en Europe, et enfin aux Etats-Unis (j’ai par ailleurs appris ici que c’était Paul Auster qui avait incité Hubert Nyssen à faire entrer dans le catalogue d’Actes Sud Don DeLillo et Russel Banks ; de bon conseil !) ; le pari, enfin, ce fut la nouvelle traduction de Dostoïevski…
Et de s’interroger ensuite sur le rapport de l’éditeur à l’écrivain et à l’écriture… tout en craignant là encore que l’obsession du chiffre ne vienne ruiner les lettres, ou que les idées reçues (par exemple celle selon laquelle il serait possible de s’abstraire de toute influence) ne fassent de même.
Il s’agit ensuite de savoir ce qu’est au juste « le livre, objet mal identifié », et désignant au moins à la base deux choses presque antinomiques : le contenant et le contenu. En effet, le contenant doit dans un certaine mesure s’effacer derrière le contenu, mais il doit en même temps le mettre en valeur… C’est également l’occasion d’esquisser quelques trop brèves réflexions, plutôt sceptiques et amusées, sur le livre électronique ; mais Hubert Nyssen évite cependant de sombrer dans le piège du « misonéisme » (p. 66), et met en garde, à grand renfort d’anecdotes, contre un conservatisme aveugle en la matière.
Reste un élément à faire intervenir dans l’équation : le lecteur. Mais lui aussi est difficile à identifier… et ne saurait être réduit, à en croire l’auteur, à un vulgaire consommateur de livres… a fortiori à celui qui a lu un livre dans l’année, comme dans certaines études sociologiques. Mais écrivains et éditeurs sont également des lecteurs, ce qui a son importance dans l’équation. Et notamment, donc, dans le rôle de « passeur », qui fait l’objet de l’avant-dernier chapitre de l’essai.
Quoi qu’il en soit, les relations qui unissent écriture, édition et lecture, à en croire l’auteur, se fondent sur une « folie » finalement assez proche, et sont en définitive unies par le plaisir, qui doit être le maître-mot en la matière. Une conception du métier qui doit sembler bien utopique à beaucoup de monde, j’imagine… Pourtant, je veux y croire… Et je noterai aussi dans un coin de mon crâne l’ultime conseil donné par Hubert Nyssen en guise de conclusion de son finalement sympathique petit ouvrage, qu’il emprunte au journal de Jules Renard (p. 111) : « Pour que le chef-d’œuvre vienne à vous, au moins faites-lui signe. »
…
Euh…
…
Y’a personne parmi vous qu’aurait une bonne méthodologie pour faire une fiche de lecture ?
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