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"La Voie du fantôme", de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

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HILLERMAN (Tony), La Voie du fantôme, [The Ghostway], traduction [de l’américain] de Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Noir, [1984, 1987] 1990, 252 p.

 

Et hop, un polar navajo de Tony Hillerman de plus. Dans La Voie du fantôme (titre évoquant, comme souvent, un rite guérisseur), nous retrouvons avec plaisir le jeune Jim Chee, plus que jamais partagé entre le monde des Blancs et celui du Peuple : doit-il intégrer le FBI, comme le lui « suggère » fortement sa compagne Mary Landon ? ou bien doit-il continuer d’apprendre les rites navajos pour devenir un yataalii, et éviter ainsi que la culture héritée du Peuple Sacré ne disparaisse ? Cruel dilemme qui traverse l’ensemble du roman, et prend ici une tournure inattendue, comme on aura bientôt l’occasion de le voir.

 

Une altercation, en plein jour, dans Shiprock, se solde par un mort et un blessé qui a pris la fuite. Jim Chee, au service de la police tribale navajo, assiste le FBI, particulièrement intéressé par cette affaire ; il faut dire que ce fait-divers sordide pourrait avoir un lien avec la mort d’un agent fédéral, il y a peu, à Los Angeles… Aussi Chee, comme souvent, se voit-il relégué à un rôle de larbin des fédéraux, qui ne veulent surtout pas que la police tribale navajo se mêle plus avant de cette enquête. Mais Chee, on le sait, est curieux… Or, quand on retrouve le cadavre du fugitif, un Navajo de L.A., près du hogan d’un vieil Indien orthodoxe, Chee ne manque pas de trouver le tableau quelque peu déconcertant : en apparence, les rites ont été respectés, mais il y a quelque chose d’étrange, qui coince, sans qu’il sache trop quoi…

 

Parallèlement, la petite-fille dudit vieillard fait une fugue. Et ça, c’est bien du ressort de la police tribale navajo. Bien entendu, les deux affaires se révèlent liées, très vite… Un véritable imbroglio familial apparaît, qui justifie une enquête approfondie. Mais pas seulement dans la juridiction de Jim Chee : en effet, et c’est là la grande originalité de ce roman, notre enquêteur va prendre sur son temps libre pour aller fouiner à Los Angeles, auprès notamment des Navajos « exilés » dans la grande ville, dans la misère la plus noire. Toute la complexité de l’affaire apparaît au fur et à mesure, riche en suspicions plus ou moins fondées et énigmes en apparence insolubles… et Chee doit en outre faire face à un redoutable tueur à gages, un taré survivaliste (pléonasme).

 

Un roman étrange, et peut-être un peu bancal, que cette Voie du fantôme, notamment, donc, dans la mesure où Tony Hillerman y délaisse temporairement le cadre habituel de ses polars pour tenter de se livrer à une enquête urbaine à bien des égards plus « traditionnelle ». Ce qu’il fait avec plus ou moins de talent, surtout, sans doute, si on le compare à ses confrères plus habitués au genre (mais là je manque d’éléments pour trancher). Cela dit, la thématique de ces Navajos « exilés » ne manque pas d’intérêt, et l’auteur sait nous concocter quelques jolies scènes urbaines (notamment, même si elle arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, la première apparition du tueur à gages, riche en suspense, ou encore l’interrogatoire laborieux d’un vieillard ayant beaucoup de mal à s’exprimer, dans un mouroir à pauv… une maison de retraite).

 

Pourtant, sans trop de surprise peut-être, le véritable intérêt du roman est ailleurs, et bel et bien dans la réserve navajo, ou du moins dans leurs rites. On avouera que le début du roman n’est pas très convaincant (mais j’ai l’impression que c’est assez récurrent chez Tony Hillerman), et que le lecteur ne commence véritablement à s’intéresser à tout ça qu’avec le détour par Los Angeles. Mais ce qui fait la force de La Voie du fantôme – une force toute relative, hein, on est quand même loin du brio de  Là où dansent les morts ou  Le Vent sombre –, c’est probablement l’intrication très forte de la dimension ethnologique coutumière de l’auteur à l’enquête à proprement parler. C’est une étrangeté brisant « l’harmonie » chère aux Navajos qui met la puce à l’oreille de Jim Chee, et c’est en définitive la connaissance – ou pas – des rites issus du Peuple Sacré qui déterminera la tournure de l’enquête, plus encore que d’habitude. Ce qui, bien entendu, s’accorde à merveille avec le caractère d’homme déchiré entre deux mondes de notre enquêteur.

 

La Voie du fantôme m’a donc laissé un sentiment mitigé : après une introduction un peu longuette, le roman ne manque pas d’intérêt, mais, assis le cul entre deux chaises, se montre plus ou moins adroit. Le fond est indéniablement intéressant, mais, par contre, et ce n’est certes pas là une particularité de ce roman, la forme pèche… En dehors de quelques jolies scènes de suspense, pour lesquelles Tony Hillerman est décidément très doué, on peine régulièrement devant la plume de l’auteur, sans doute guère fameuse à l’origine (on ne compte pas les brèves digressions factuelles sans intérêt), mais très probablement desservie par une traduction qui me paraît décidément calamiteuse. C’est vrai, bien entendu, de tous les romans de Tony Hillerman que j’ai lus jusqu’à présent, mais là, je dois dire que ce fut à l’occasion la proverbiale goutte qui fait déborder le vase… Franchement, tout ceci mériterait sans doute d’être revu, ou du moins dépoussiéré. Cela ne m’a pas empêché de prendre du plaisir à la lecture de La Voie du fantôme – le fond l’emportant en définitive – mais bon, merde, quoi.

 

Un roman correct, sans plus, donc. Tony Hillerman a fait bien mieux, sans doute. Mais ça se lit avec un certain plaisir, je ne prétendrai pas le contraire. Et je vais bien évidemment continuer sur cette lancée, en espérant toutefois davantage de la suite, qui devrait enfin réunir Jim Chee et Joe Leaphorn.

CITRIQ

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L
Je les ai tous, je les aime tous, je les relis de temps à autre et je ne m'en lasse pas.<br /> Le Papou
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N
<br /> <br /> J'avais cru comprendre.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Bien d'accord avec toi. Mais même dans un Hillerman "correct, sans plus", il reste une musique qui à mes oreilles n'appartient qu'à lui et m'emmène toujours assez loin. L'intensité de la déception<br /> n'en est que plus forte lorsque des scènes (notamment certaines violences) me laissent pantois, ressassant un pénible "Mais, mais, Tony, pourquoi as-tu fait ça ?".<br /> Bon, "Coyote Attend" reste mon préféré, justement parce qu'il semble ne rien s'y passer, qu'aucun mal n'y rode. Tu l'as lu ?
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N
<br /> <br /> Non, pas encore lu Coyote attend. Mais ça va viendre.<br /> <br /> <br /> <br />