"Le Baron perché", d'Italo Calvino
CALVINO (Italo), Le Baron perché, [Il Barone rampante], traduction de l’italien par Juliette Bertrand, revue par Mario Fusco, Paris, Gallimard, coll. Folio, [1957, 1960, 2001, 2002] 2012, 399 p.
Deuxième volet (et peut-être le plus célèbre) de la « trilogie héraldique », ou « Nos Ancêtres », d’Italo Calvino, après Le Vicomte pourfendu et avant Le Chevalier inexistant, Le Baron perché me faisait de l’œil depuis un sacré moment déjà. Un livre précédé par une réputation plus qu’élogieuse, c’est rien de le dire… et ça m’a sans doute quelque peu posé problème. Mais ne brûlons pas les étapes.
L’action débute en 1767, à Ombreuse, alors sur le territoire de la République de Gênes. Côme Laverse du Rondeau, âgé de douze ans, se rebelle contre son baron de père qui exigeait de lui qu’il mange des escargots. Et pour bien signifier son refus, le jeune Côme monte dans l’yeuse du jardin. C’est ainsi qu’il deviendra une figure pour le moins pittoresque, puisqu’il fait le serment de ne plus jamais toucher le sol, se promenant d’arbre en arbre tel un homme sauvage et s’arrangeant pour vivre ainsi sans avoir besoin de redescendre. Le temps passant, il deviendra baron à son tour, le baron perché (dans tous les sens du terme ?), sans jamais renier sa promesse.
Son petit-frère Blaise, dans ses vieux jours, nous conte l’histoire de ce noble excentrique, des premiers jours passés dans les arbres à la vieillesse et la mort. Et il en ressort un conte philosophique très voltairien dans la manière, mais qui est aussi l’occasion – et c’est là à mon sens l’intérêt essentiel de ce Baron perché – d’un hommage façon mise en abyme à une sorte de « long » XVIIIe siècle archétypal, de la réaction seigneuriale aux guerres napoléoniennes, en passant par l’apogée des Lumières et la Révolution française. En effet, s’il vit dans les arbres, Côme ne rejette pas pour autant tout contact avec la société. Ce rebelle jusqu’au-boutiste, ersatz inattendu du « bon sauvage », lit énormément, correspond avec Diderot et Rousseau, écrit des essais philosophiques, prend parti pour la Révolution… et assiste, si l’on ose dire, à sa chute.
(Donc, non, Wikipédouille, le fait que l’action se situe à cette époque et en ce lieu n’est certainement pas « anecdotique »…)
Un livre précédé par sa réputation, disais-je. Un chef-d’œuvre annoncé. Et c’est sans doute ce qui explique pourquoi, au cours de ma lecture et immédiatement après, j’ai été un brin (juste un brin, mais un brin tout de même) déçu. Je ne saurais prétendre en effet avoir dévoré avec le même enthousiasme Le Baron perché que Si par une nuit d’hiver un voyageur ou Le Vicomte pourfendu, mes deux seules lectures calviniennes jusqu’alors ; je m’étais régalé à chaque fois, mais, ici, je me suis un peu ennuyé pendant un bon moment (en gros la première moitié du roman, correspondant à l’enfance de Côme, à ses jeux et ses amours, et à l’organisation pratique de sa vie dans les arbres ; quand le baron perché se confronte à l’histoire, de suite, en toute logique, ça m’a nettement plus parlé).
Bien évidemment, je n’en déduirai pas pour autant que Le Baron perché est un « mauvais roman », ce qui serait absurde. Non, c’est bien, Le Baron perché, et même très bien (évidemment !) : c’est astucieux, indéniablement intelligent, parfois drôle, parfois émouvant, toujours bien vu, cohérent dans son absurdité apparente… Un beau conte philosophique, à n’en pas douter, qui sait édifier son lecteur tout en le distrayant, avec toujours une certaine légèreté dans le ton qui me paraît déjà typique de l’auteur. C’est aussi, bien sûr, merveilleusement écrit (et traduit, sans doute).
Avec le recul – encore léger, je n’ai fini ce livre qu’hier –, je confesse que les qualités remarquables de ce roman prennent de plus en plus d’importance face à ses défauts supposés. Et le fait est que j’ai aimé ce livre, que je suis heureux de l’avoir lu, et que je sens que ce sera d’autant plus vrai au fur et à mesure que les jours passeront. Peut-être, alors, n’en conserverai-je que tout le brillant, « oubliant » autant que possible les quelques bémols que j’ai pu émettre.
En l’état, cependant, je me sens quelque peu contraint, donc, de faire part d’une déception, toute relative mais non moins réelle. J’attendais sans doute trop de ce livre ; du fait de mes précédentes lectures de l’auteur, qui furent autant de plaisirs imparables, et de la réputation plus que flatteuse entourant ce célébrissime Baron perché, j’envisageais avec impatience de me prendre une nouvelle claque littéraire ; mais ce ne fut longtemps qu’un léger soufflet du bout des doigts (cette métaphore est nulle, j’en suis bien conscient, mais je fait ce que je peux…) ; il m’a fallu attendre que le roman se mette véritablement en place, et cela m’a paru un poil trop long. Après, bien sûr, je me suis effectivement régalé… Mais de là à en faire le chef-d’œuvre que l’on dit ? L’honnêteté m’en empêche. J’aurais sans doute pu me contenter de faire à mon tour dans l’éloge inconditionnel (après tout, vous êtes sur un blog, vous avez l’habitude…), gommant mes sensations pour mieux aller dans le sens du courant, mais non…
Alors voilà : c’est bien, Le Baron perché ; c’est très bien, même. Mais ce n’est pas pour autant la merveille que j’attendais, du fait de tous les éloges entourant ce (trop ?) célèbre roman. Je vous encourage bien entendu à le lire, ça vaut amplement le détour, et c’est bien évidemment très au-dessus (aha) du lot ; il n’en reste pas moins que, des trois romans de Calvino que j’ai eu l’occasion de lire jusqu’à présent, c’est incontestablement celui qui m’a le moins séduit immédiatement (mais le temps va jouer, je le sens déjà).
On se retrouvera prochainement pour conclure la trilogie avec Le Chevalier inexistant.
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