"Le Cycle de Shub-Niggurath", de Robert M. Price (dir.)
PRICE (Robert M.) (dir.), Le Cycle de Shub-Niggurath, [The Shub-Niggurath Cycle], traduit de l’anglais par Philippe Poirier, Montiny-les-Metz, Oriflam, coll. Nocturnes, [1994] 1998, 279 p.
« Iä ! Iä ! Shub-Niggurath ! La Chèvre Noire des Bois ! Iä ! Iä ! La Chèvre aux Mille Chevreaux ! »
Tout amateur de Lovecraft et de lovecrafteries connaît nécessairement cette litanie ô combien récurrente. Iä ! Pourtant, Shub-Niggurath, dans les textes du Maître, n’apparaît guère que sous cette forme, et il y a un étonnant vide dans les récits du Mythe quant à cette figure pourtant célèbre, et c’est tout juste si l’on sait que ce Grand Ancien est associé à la fertilité et, bien sûr, à la forme caprine. Cela n’a pas empêché Robert M. Price de souhaiter rassembler une anthologie de texte consacrés à la Chèvre aux Mille Chevreaux, même si, comme on aura l’occasion de le constater, même chez les héritiers, celle-ci n’apparaît guère le plus souvent qu’en filigrane.
Passons donc sur la couverture atroce, contentons-nous de signaler que la traduction est au mieux et le plus souvent médiocre, au pire ignoble (l’introduction de Robert M. Price est tout bonnement illisible), et passons immédiatement aux textes.
L’anthologie s’ouvre sur trois récits que l’on dira « para-lovecraftiens », et donc à la limite du hors-sujet : seule la présence d’un démon caprin justifie leur présence ici, ce qui est un peu faible, tant l’image de ce genre de démons est répandue… « La Corne de Vapula » de Lewis Spence est ainsi un texte assez court et, disons-le, sans grand intérêt, sur une sorte de gargouille qui s’anime la nuit venue. On y préfèrera largement « La Chèvre démoniaque » de M.P. Dare, récit étonnamment lovecraftien jusque dans son outrance, et non dénué d’humour ; pas mal. Reste « La Chèvre de Glaramara » de J.S. Leatherbarrow, récit à la structure relativement complexe, mais qui tombe un peu à plat.
C’est – sans surprise ? – avec Ramsey Campbell et sa vallée de la Severn que l’on attaque vraiment le sujet. « Le Cristal lunaire » n’est au fond qu’un pastiche – pour ne pas dire plagiat – du « Cauchemar d’Innsmouth » à Goatswood, mais ça n’en est pas moins un récit très efficace, qui se lit tout seul.
« L’Anneau des Hyades » de John Glasby est nettement moins convaincant, et n’entretient qu’un rapport lointain avec Shub-Niggurath (le Grand Ancien de service est plutôt Hastur). Un récit onirique très convenu, sur lequel on pourra très légitimement faire l’impasse.
C’est ensuite à Robert M. Price de livrer sa version de Shub-Niggurath avec « Les Mille Chevreaux », nouvelle qui a pour ambition d’unir Sade à Lovecraft, et dont la conclusion n’est pas sans évoquer Society de Brian Yuzna. L’idée n’est pas forcément mauvaise, mais l’exécution indubitablement maladroite…
On change complètement de registre avec « La Semence du Dieu-étoile » de Richard L. Tierney, nouvelle façon péplum biblique s’inscrivant dans un cycle dont le héros n’est autre que Simon le Magicien. Alors, forcément, tout cela est très pulp, et évoque nettement plus Howard que Lovecraft, mais ça n’est pas forcément désagréable…
Ça ne soutient cependant pas la comparaison avec la nouvelle qui suit, « Le Blues de Harold » de Glen Singer, très certainement la meilleure nouvelle de cette anthologie. Interview d’un bluesman sur un autre bluesman de l’époque héroïque, c’est là un texte doté d’une superbe ambiance, et qui ne manquera pas d’évoquer les mânes de quelques célébrités du genre. Vraiment une belle réussite.
Après quoi, « Le Cauchemar de la maison Weir » de Lin Carter paraît nécessairement un peu falot… Récit très classique d’emprise onirique débouchant sur la folie, c’est un peu lu et relu, et ne laisse guère d’impressions vivaces. Quant aux « Visions de Yaddith » qui suivent, il s’agit de poèmes plutôt navrants fondant la base d’un nouveau tome du cycle. Sans intérêt.
M.L. Carter livre ensuite ce qui constitue probablement la pire nouvelle de cette anthologie avec « La Proie de la chèvre », mauvais remake de L’Exorciste et de Rosemary’s Baby avec Shub-Niggurath à la place du Diable. Lamentable.
Heureusement, « Le Sabbat de la chèvre noire » de Stephen M. Rainey remonte le niveau. Shubby n’y apparaît qu’à la marge, mais cette histoire de résurgence de la sorcellerie (la « vraie » qui s’immisce dans celle des wiccans) bénéficie d’une ambiance plus que correcte, malgré une chute un tantinet prévisible.
Suit un texte étrange, « Le Curé de Temphill » de Robert M. Price & Peter H. Cannon, où l’on retrouve le cadre de la vallée de la Severn, avec une louche de Templiers par-dessus. Shub-Niggurath n’y apparaît en fait pas, ce qui ne joue pas en faveur de la présence du texte dans l’anthologie. Si ce texte est indubitablement lovecraftien par certains de ses mécanismes, et plutôt intéressant par ailleurs, il finit néanmoins un peu trop en queue de poisson à mon goût.
« Grossie » de David Kaufman, qui ne mentionne pas davantage Shubby (…), est une évocation de la monstruosité reposant intégralement sur l’atmosphère et les sensations. C’est à cet égard plutôt réussi, et n’est pas sans rappeler, au-delà de Lovecraft, certains textes courts de Stephen King, ai-je trouvé.
Et l’anthologie de se conclure sur « Nettoyer la Terre » de Will Murray, récit très pulp et en même temps très Delta Green, empruntant un cadre antarctique plutôt sympathique ; mais, là encore, en faire un texte se rapportant à Shub-Niggurath, c’est aller un peu loin… Rigolo, un peu ridicule aussi, mais correct, sans plus.
Au final, ce Cycle de Shub-Niggurath est, sans surprise, une anthologie fort médiocre, au sens strict. On n’y trouve rien de véritablement scandaleux (à part peut-être – sans doute ? – le navet de M.L. Carter), mais pas grand-chose de vraiment bon (si ce n’est « Le Blues de Harold », à mes yeux en tout cas). Les amateurs de lovecrafteries dotés d’une certaine tolérance et d’un esprit bon public pourront le lire sans trop de regrets, mais bon, ça casse quand même pas trois tentacules à un shoggoth…
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